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définition du terme "idéologie"

Dans le document Thèse de Doctorat de François Texier (Page 86-93)

E. Entre utopie et idéologie, le statut du discours sur la technique et la communication

3. définition du terme "idéologie"

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3. définition du terme "idéologie"

Pour Habermas70, les idéologies vont apparaître lorsque la critique, devenue effectivement pertinente, aura démonté les systèmes de légitimation traditionnels ( dogmes) . Les idéologies remplacent ainsi les légitimations traditionnelles qu'Habermas qualifie de légitimation de la domination bourgeoise. Par ailleurs, se fondant sur une critique, les idéologies sont indissociables de la critique de l'idéologie. Ce qui, en ce sens, les différencie des dogmes.

Comme le souligne Habermas71, la nouvelle forme d'idéologie se distingue de l'ancienne car elle dépolitise les critères de justification idéologique et subordonne ces critères à une finalité.

70 Habermas, Jürgen, La technique et la science comme "idéologie, Gallimard, 1973. P.34

71 Habermas, Jürgen, La technique et la science comme "idéologie, Gallimard, 1973. P.57

a) L'idéologie de la science et de la technique

L'utopie de la communication promettait nombre de choses de sorte que l'on peut se demander si le discours que cette utopie véhicule ne serait pas davantage idéologique qu'utopique. Nous allons donc définir brièvement le terme "d'idéologie" avant de présenter quelques réflexions sur cette idéologie.

On peut dire que l'idéologie de la science et de la technique se définirait davantage comme un sens de l'histoire humaine prédéfini et indépendant de toute action humaine, ou plus exactement, l'idéologie de la science et de la technique fonctionne comme si toutes les actions humaines se conformaient à ses ambitions. Ainsi apparaît comme un hymne au destin technicien dont il faut retenir la principale caractéristique.

Elle consiste à transmuer le possible en probable, le probable en inéluctable et l'inéluctable en souhaitable. L'avenir sera désormais un rêve enfin réalisé. On pourrait se demander si nous sommes sortis du fossé creusé entre Bacon et D'Alembert. Rappelons que pour Bacon, le but véritable et légitime du savoir est de permettre l'amélioration de la condition humaine alors que d'Alembert a une vision beaucoup plus désintéressée de la science.

Le terrain de l'innovation technique est porteur d'utopie sociale, et ceci ne date pas d'hier. Par exemple, la télévision par câble dans les années 1970-1980 devait redessiner les rapports humains de telle sorte qu'apparaîtrait, en filigrane, une vrai démocratie locale. Le câble vient désormais arroser les écrans télévisuels de mes voisins, une quelconque cité savante n'est pourtant pas au programme du collectif de mon immeuble.

Pour Lipovetsky72 le sujet devient objet dans l'univers de la mode et de l'éphémère. "Le propre de l'idéologie de la communication n'est pas d'introduire le sujet, devenu objet, dans l'univers de la mode, de l'éphémère, comme le pense par exemple, Gilles Lipovetsky, mais bien de donner l'illusion que le réel peut être vu, mis en formules, à travers et par la société."73 Cette remarque est importante car elle contribue à mieux cerner la notion d'idéologie concernant la communication.

En effet, il faut distinguer l'idéologie définie comme discours de légitimation à caractère institutionnel de l'idéologie sociale, que l'on peut définir comme un mythe partagé. Concernant la communication, on peut parler d'idéologie sociale dans la mesure où le développement des technologies se nourrit d'un principe évolutionniste de la société –darwinisme social-. Pour résumer : la technologie nous promet un monde meilleur. La notion d'idéologie sociale concernant la communication permet à nouveau à la société de comprendre son propre développement, et de lui donner un sens. On voit bien, dès lors, que cette idéologie sociale ne peut être réduite à des syllogismes – alors que l'on a pris l'habitude de pointer les syllogismes des idéologies politiques et de réduire les idéologies à ces syllogismes -.

L'idéologie sociale se présente comme le fil intellectuel d'Ariane, fil sans lequel le développement ainsi que l'action humaine se retrouvent totalement dénués de sens.

Cependant, même si elle reste pour l'instant une idéologie sociale, la communication n'est pas, aux yeux de la sociologie, à l'abri de devenir une idéologie politique car s'il existe une limite entre ces deux formes d'idéologie, il est fort probable que celle-ci soit très mince.

72 Lipovetsky, Gilles, L'empire de l'éphémère, Gallimard, 1987.

73 Sfez, Lucien, Coutlée, Gilles, Musso, Pierre, (sous la direction de), Technologie et symbolique de la communication. Colloque de Cerisy, Presses Universitaires des Grenoble, 1990. P.97

b) L'idéologie de la communication

Si l'idéologie de la communication semble encore aujourd'hui forte, ce n'est pas seulement grâce aux mythes qu'elle entretient. En effet, en tant qu'idéologie, la communication adopte une définition qu'elle présente comme exhaustive et pertinente, ce qui lui permet précisément d'entretenir cette idéologie. En quelque sorte, l'idéologie de la communication s'auto-organise par un discours auto-référé et auto-justificateur.

Aussi, dès lors que l'on entre dans ce système d'idées, il devient impossible de penser la communication autrement.

Pour Wolton "autant la communication a du mal à s'imposer comme enjeu scientifique et théorique, autant l'idéologie de la modernité s'impose avec force."74 Ainsi, la démarche de Wolton – penser la communication – consiste à comprendre le mieux possible la communication afin d'éviter de croire que cette idéologie de la modernité va résoudre tous les problèmes. La modernité semblerait donc à l'origine de cette idéologie, elle en constituerait en quelque sorte les fondements. Cependant, il conviendrait de comprendre davantage ce qu'est la modernité afin de voir dans quelle mesure elle aurait pu porter cette utopie, devenue idéologie de la communication.

Pour Touraine cette utopie réduit "la communication à l'écoute attentive de l'autre, à la délibération soucieuse avant tout du bien commun, il faut opposer ce qui s'interpose entre les consciences, le flux des informations, des langages et des représentations, contrôlé par des pouvoirs au même titre que les flux d'argent et de décisions."75

Pour Touraine, si les nouvelles technologies de communication nous ont rapprochés les uns des autres et nous ont donné conscience d'appartenir au même monde, il ne faut pas oublier d'ajouter que ce monde ressemble à un kaléidoscope.

74 Wolton, Dominique, Internet, et après ? Une théorie critique des nouveaux médias. Flammarion, 2000 P.54

"Nous appartenons tous au même monde, mais c'est un monde brisé et fragmenté."76 Ce sentiment d'appartenance n'est que le trompe l'œil d'une image de la modernité, fuyante au plus haut point et déjà bien loin. Pour que cette image de la modernité tapisse la réalité, il faudrait qu'il soit possible d'établir un système capable d'intégrer les contradictions. Pour Touraine, la question n'est donc plus de savoir si ces technologies nous ont permis de mieux nous comprendre, mais de savoir dans quelle mesure elles contribuent à l'atomisation du social. Il y aurait donc un double risque : un éclatement de la société et un nouvel obscurantisme.

c) Critique de cette idéologie de la communication

Une première forme de critique consiste à réduire la communication à son aspect fonctionnel, renvoyant les utopies qu'elle génère, au rang des mythologies techniques77. Comme le souligne Roqueplo, "on semble admettre que la communication est tout simplement ce que les moyens de communication effectuent"78.

Pour Barthes, le mythe est un système sémiologique. Cependant Barthes constate que le mythe est un système sémiologique second car il s'identifie à partir d'une chaîne sémiologique qui existe avant lui. Or, il semble au contraire que l'utopie s'ancre davantage dans le futur, espace temporel du possible. L'utopie, même si elle s'appuie sur des structures du passé, ne serait pas de l'ordre de l'impossible, dans la mesure où elle n'a pas encore été mise à l'épreuve. Elle est de l'ordre du virtuel, du potentiellement possible. Ainsi, il semble que l'on ne puisse pas réduire la communication à son aspect technique, sans tenir compte des enjeux humains qu'elle fait émerger. En ce sens, la communication serait bien de l'ordre de l'utopie et non de la mythologie.

75 Touraine, Alain, Critique de la modernité, Fayard, 1992 P.431

76 Touraine, Alain, Critique de la modernité, Fayard, 1992 P.279

77 Barthes, Roland, Mythologies, Le seuil, 1957. En particulier le chapitre intitulé le mythe comme système sémiologique, P.183 à 191

78 Sfez, Lucien, Coutlée, Gilles, Musso, Pierre, (sous la direction de), Technologie et symbolique de la communication. Colloque de Cerisy, Presses Universitaires des Grenoble, 1990. P.405

Même si Bourdieu79, pour qui les journalistes dictent ce qu'il faut penser de l'actualité, s'insurge encore contre la télévision, la dénonciation de la manipulation de la parole et de l'information tend à s'estomper. A l'embouchure du tuyau de la Hague, quelques écologistes campent parfois pour dénoncer les mesures radioactives de la Cogéma, mais, dans l'ensemble la critique de la manipulation a disparu. Est-ce parce que la manipulation a elle-même disparu, je ne me risquerai pas à engager de telles affirmations. Ce qui est probable, en revanche, c'est qu'il n'existe plus de grandes causes susceptibles de justifier – politiquement – la manipulation. La guerre froide ayant disparu, la grande idéologie sur laquelle repose notre société, le libéralisme en l'occurrence, n'est plus directement menacée. Une partie de la manipulation a disparu faute "d'ennemis" à combattre. De plus, il est fort probable que la dénonciation de la manipulation ne fasse plus recette. Je me risquerai même à dire que, finalement, la mode n'est plus à la dénonciation des médias. La phobie de la manipulation semble en voie de guérison.

L'automne de la phobie de la manipulation médiatique constitue l'annonce d'un climat plus favorable à l'arrivée du multimédia dans les classes. Dans la mesure où la critique adressée au média tend à perdre de sa vélocité, l'information et la communication n'apparaissent plus comme le venin de l'éducation.

Les médias ni n'évoquent ni ne convoquent, les médias fascinent et obnubilent l'individu qui "perd alors son pouvoir de rêver et d'être affecté."80

"On réduit ainsi la capacité de compréhension entre des peuples, des cultures, des régimes politiques que tout sépare par ailleurs, au volume et au rythme d'échanges entre les collectivités permis par les réseaux. Comme si la compréhension entre les

79 Bourdieu, Pierre, Sur la télévision suivi de l'emprise du Journalisme, Raison d'agir, Paris, 1996. P.52

80 Sfez, Lucien, Coutlée, Gilles, Musso, Pierre, (sous la direction de), Technologie et symbolique de la communication. Colloque de Cerisy, Presses Universitaires des Grenoble, 1990. P.305

cultures, les systèmes symboliques et politiques, les religions, et les traditions philosophiques dépendaient de la vitesse de circulation des informations ! … Comme si échanger plus vite des messages signifiait mieux se comprendre."81

C'est probablement la dimension économique de cette utopie de la communication qui engendre les critiques les plus virulentes. En effet, l'utopie de la communication, basée sur des principes humanistes, n'existe que par sa dimension économique. Ainsi pour Guillebaud, "Le marché, ivre de lui-même anéantit, au sens propre du terme, toute réalité qui n'est pas susceptible de vendre."82 Cela veut dire que l'idée qui consisterait à rapprocher les peuples et à former un citoyen éclairé ne pourrait se réaliser que dans la mesure où elle serait économiquement viable.

Pour Wolton83, il convient d'interroger la dimension politique de ces utopies afin de déterminer de quelle nature ils sont réellement. Economique ou social ?

Cette idéologie de la communication aurait des conséquences sur l'organisation du social. En effet, il apparaît que si l'utopie de la communication laissait entrevoir une modification de l'organisation du social, il semblerait que l'idéologie engendrerait des modifications au niveau du "penser" le social. Ainsi on peut se demander dans quelle mesure les cadres théoriques de la communication traduisent uniquement des modifications de la société ou s'ils changent la façon dont on pense cette même société.

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81 Wolton, Dominique, Internet, et après ? Une théorie critique des nouveaux médias. Flammarion, 2000 P.43

82 Guillebaud, Jean-Claude, La trahison des Lumières. Enquête sur le désarroi contemporain, Le seuil, 1995. P.239

83 Wolton, Dominique, agriculture et communication, même combat, le Monde du 14 Avril 2001. P.14

4. Une implication de l'idéologie de la communication :

Dans le document Thèse de Doctorat de François Texier (Page 86-93)