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Une approche critique

Dans le document Thèse de Doctorat de François Texier (Page 101-106)

F. Recentrage de la problématique et des hypothèses

2. Une approche critique

Peut-être faut-il prendre aux pédagogues ce regard critique ?

Avant de prendre part au débat sur les nouvelles technologies en éducation, il conviendrait de savoir s'il s'agit là d'un vrai débat – c'est à dire d'une vraie question – ou d'un vrai-faux87 débat. Si les analyses d'Eco font parfois sourire lorsque l'auteur se demande quelle est la part du vrai et du faux dans les nombreuses imitations matérielles que nous côtoyons, il n'en demeure pas moins que, concernant une recherche, il devient nécessaire de savoir si la question que l'on choisi d'explorer est une "vraie" question ou une "vraie fausse" question. Sur le sujet des technologies éducatives, je trouve que les analyses d'Eco sur le "vrai" et le "faux" ont une grande pertinence.

En effet, on peut se demander si l'introduction des nouvelles technologies n'est pas une réponse à une fausse question. Le développement de projet, comme ceux concernant l'informatique, s'appuie sur un argumentaire. Nous sommes dans une société de la justification. Cette justification n'est d'ailleurs pas une réponse à la suspicion, cette justification se veut explication. Le politique est entrée dans une ère pédagogique où, pour convaincre, il convient d'expliquer plutôt que d'imposer. Ainsi, la mise en place de projet politique s'accompagne d'un débat. Le débat public est devenu la forme de la démocratie la plus prisée de sorte qu'il est de plus en plus difficile de distinguer les vrais débats des faux. Dans l'univers médiatique qui nous entoure, la question de la véracité du débat n'est jamais posée, seules les conditions du débat font l'objet d'une attention particulière. Il s'agit bien sûr de veiller à ce que chacun puisse s'exprimer dans les mêmes conditions.

Le problème d'une recherche universitaire, c'est bien de formuler une question pertinente de débat et de créer les conditions scientifiques de ce débat.

Malheureusement pour les chercheurs, une vraie question du débat médiatique peut très

87 Entre le vrai et le faux, je ne peux que faire référence à Eco : Eco, Umberto, La guerre du faux, Grasset

& Fasquelle, Paris, 1985.

bien être une fausse question scientifique : une fausse problématique. Alors, on comprend qu'il soit parfaitement possible d'établir un vrai débat scientifique, sur une fausse question. Or, il est impossible d'envisager de soutenir une thèse ainsi construite.

La fin de l'armistice, c'est bien sûr le retour de la guerre du faux dans le débat universitaire. Dans le contexte que nous offrent les nouvelles technologies : un contexte d'actualité, nous ne pouvons faire l'économie d'une vigilance particulière. Il faut veiller à poser de vraies questions, à construire de vrais débats, à apporter de vraies réponses.

Mais, le camouflage de l'actualité rend très difficile cette chasse au faux. La profusion des pensées dissimule leur structure. Je pense qu'il convient de distinguer deux choses : le débat et la médiatisation du débat. Le débat est actuel, en revanche, la médiatisation du débat est à la mode

L'explosion, ou, devrais-je dire, la démocratisation fulgurantes des outils multimédia éducatifs, s'accompagne d'une production massive d'écrits, à tel point que certains auteurs88 en viennent à s'excuser d'aborder la question.

Par ailleurs, nous signalons que des enquêtes d'opinion étaient réalisées quasiment chaque semaine (à la fin du siècle dernier). Bref, je ne sais s'il y a un débat sur les nouvelles technologies, en revanche je constate qu'il y a un bouillonnement de productions sur le sujet. Face à ce constat, je me demande si, avant d'être un enjeu pédagogique, le débat sur les nouvelles technologies n'est pas d'abord un enjeu médiatique et politique. Cette question interroge elle-même la recherche car, en produisant une thèse sur le sujet, je ne fais que prendre part au débat. Mais quel enjeu vais-je choisir de défendre ? En tant que scientifique, je vais chercher à prouver la légitimité de mon sujet en définissant certains enjeux. Alors, on comprend que la confusion, l'amalgame entre enjeux scientifiques et enjeux politiques ou médiatiques est très tentant. Peut-on même éviter cet amalgame ? La réponse n'est pas évidente, mais je pense que la question mérite d'être posée.

88 Robert, Richard, L'écrit en révolution, Esprit N°262, mars-Avril 2000. Paris

On pourrait se demander quelle est la pertinence d'une interrogation sur l'interrogation concernant la saturation du débat. En effet, une telle approche ne contribue-t-elle pas saturer encore davantage un débat – dans le seul objectif d'en dénoncer la saturation -. Comme le note Robert, une révolution technologique par génération, cela fait déjà beaucoup. Que dire alors de notre société qui accouche de révolutions technologique sans jamais avoir besoin de gestation.

Ainsi, les adeptes des performances techniques nous prouveront certainement par A + B que les ordinateurs d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec ceux d'hier : leur existence matérielle est révolue. En cela, ils ont raison de parler de révolution. Les chercheurs en Sciences de l'Education resteront plus prudents, les pratiques pédagogiques d'hier ne sont pas révolues sous prétexte que le nouveau pentium X est sorti.

Les conditions du débat sont plus difficiles à discerner dès lors que l'évolution technique apparaît comme le cocon de l'évolution intellectuelle. L'écrit électronique porte, par exemple, l'empreinte de cette perspective. L'écrit électronique n'est-il pas, en quelque sorte, la matérialisation technique de la pensée scientifique, il est révisable indéfiniment. Plus encore, il est fondé sur ce principe de révision et assoit sa légitimité sur ce principe tout en oubliant de préciser que cette caractéristique n'est qu'une qualité intrinsèque, a priori. Sans nul scientifique pour le reprendre et le faire évoluer, il restera à jamais figé.

Pendant longtemps j'ai entretenu, vis-à-vis de mon objet de recherche, une certaine mauvaise humeur. Mauvaise humeur que je tentais de présenter ci-dessus. Ce n'est donc pas la neutralité, si celle-ci existe, qui a guidé ma recherche. Aussi j'ai dû lutter contre la critique gratuite et le dénigrement que certains documents m'inspiraient.

Ce ne fut pas toujours simple car j'entretiens une certaine affection pour les duels (de plumes). Peut-être ai-je présumé de mes qualités en cherchant à souffler sur ce château (que je pensais de papier) que constituait le paysage documentaire, mon objet de

recherche. Pour être sincère, je pensais que les documents, en particulier les livres et les documents scientifiques, n'étaient pas très sérieux, qu'ils comportaient un certains nombre d'erreurs concernant l'usage des concepts et que certains raccourcis méthodologiques étaient plus que discutables.

Cependant, j'ai dû confondre critique méthodique et démantèlement anarchique.

Aussi ma mauvaise humeur s'est transformée en mauvaise foi de sorte que mes bonnes intentions épistémologiques se sont traduites par des interprétations qui n'avaient plus grand chose de scientifique. Je pense que la directrice de cette recherche a dû nourrir de grandes inquiétudes vis-à-vis de cette attitude. Elle m'a donné de forts bons conseils pour me sortir de cette ornière et j'espère que j'ai su les suivre. Rectifier le tire à quelques mois de la soutenance, cela ressemble à une tâche pharaonique et on se demande si l'on va réussir à relever le défi. Il ne s'agissait donc pas seulement de changer l'organisation d'un travail de doctorat, mais de changer l'attitude du chercheur qui avait mené le travail. Ce n'était donc pas seulement un défi de dactylographe : remplacer des chapitres par d'autres. C'était un défit d'étudiant : changer d'attitude, se former. Le défi de la formation, sans doute pourrais-je écrire quelques pages pour recracher les théories qui existent sur la question en sciences de l'Education. Mais… Le relever ?

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Conclusion

J'ai essayé de présenter brièvement la problématique, les hypothèses et l'objet de cette recherche. Ce n'est donc pas une recherche sur les pratiques pédagogiques utilisant l'informatique qu'il s'agit de conduire, mais une recherche sur les discours qui sont issus de ces pratiques. Cette recherche ne se veut pas exhaustive mais critique. Aussi il nous faut construire un cadre théorique qui permette à la fois de définir la pédagogie comme discours et qui permette de comprendre dans quel paysage réflexif ces discours émergent.

Le développement du cadre théorique montre que la pédagogie se manifeste comme discours. Cela ne signifie pas que le discours pédagogique puisse rendre compte de toutes les dimensions de la pédagogie. Cela signifie que le discours constitue une forme stable et identifiable par laquelle une analyse va être possible. Aussi, si l'on veut comprendre comment fonctionne la pédagogie de l'utilisation de l'informatique à l'école, il va falloir s'intéresser aux discours que cette pratique fait naître.

Par ailleurs, le cadre théorique définit de quelle nature peuvent être les savoirs issues de la pédagogie. Pour synthétiser nous pensons que les sciences de l'Education ont pour vocation de produire un discours scientifique, la littérature pédagogique un discours axiologique, les acteurs de terrain un savoir praxéologique. Cependant, si le cadre théorique nous a permis d'identifier ces trois sortes de savoirs, il n'en demeure pas moins que nous pouvons interroger ce modèle théorique afin de savoir comment il fonctionne concrètement dans les discours.

Dans le document Thèse de Doctorat de François Texier (Page 101-106)