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Définition et formalisation de la Computer Ethics

Maner cherche les prémisses de la définition de la Computer Ethics à partir de six prérequis justifiant les fondements de ce nouveau champ d’étude61 :

1. Les professionnels de l’informatique se doivent d’avoir des repères pour agir de manière responsable vis-à-vis des outils qu’ils ont à disposition ;

2. L’étude des ordinateurs s’avèrera de plus en plus nécessaire pour mieux comprendre les erreurs ou les biais émanant de nos relations avec ces nouveaux outils ;

3. L’évolution des technologies informatiques fait émerger de fait des vides légaux, politiques et éthiques ;

4. Les impacts éthiques liés aux technologies informatiques nécessiteront des études approfondies spécifiques à chaque transformation de principes issus de nos référentiels juridiques et moraux, telle que la propriété intellectuelle par exemple ; 5. L’évolution des technologies informatiques génèrera toujours plus de nouveaux

problèmes éthiques qui devront, pour être compris et analysés, reposer sur de nouveaux champs de recherche ;

6. Enfin, la computer ethic englobe une si large palette de spécificités éthiques propres aux techniques informatiques qu’elle suffit à définir, théoriquement, un nouveau champ.

Voici la définition qu’il donnera alors à la Computer Ethics:

60 Vallaeys François, Les fondements éthiques de la responsabilité sociale, thèse de doctorat soutenue en 2011,

p.298

61 Maner Walter, « Unique ethical problems in information technology ». Science and Engineering Ethics, 2(2),

L’éthique dans l’histoire de l’informatique

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« À mon avis, l'éthique informatique est l'analyse de la nature et de l'impact social de la technologie informatique, la formulation et la justification […] des politiques d'utilisation éthique de cette technologie. »62

Cette définition est, au départ, « centrée agent ». L’objectif de la démarche d’une Computer

Ethics est de formuler des règles d’usages éthiques des outils informatiques. Nous n’en

sommes pas encore à une réflexion sur l’éthique de la conception, en amont des usages finaux, mais il s’agit d’une première étape nécessaire au positionnement de l’éthique dans le champ de l’informatique. Et ce positionnement permet de réfuter le fait qu’une éthique normative puisse suffire à traiter les problématiques propres à l’informatique. Même si certaines questions sont similaires entre les affaires courantes et le monde de l’informatique (comme le vol, l’usurpation, le harcèlement etc.), les principes d’une éthique normative ne recouvrent pas toutes les spécificités intrinsèques aux objets informatiques. Ce vide éthique vient, entre autres, selon James Moor, d’un manque de clarification conceptuelle des objets informatiques. La Computer Ethics doit permettre de mieux comprendre les technologies informatiques (en conceptualisant leurs natures, leurs fonctionnements, leurs impacts), pour mieux formuler certaines questions éthiques spécifiques.

Maner opère également ce renversement essentiel dans l’approche de l’éthique informatique en remarquant qu’on ne peut pas se contenter de faire de l’éthique informatique simplement sur des cas où l’outil informatique joue un rôle annexe dans la définition du problème éthique (par exemple le problème de piratage reconsidère le vol à l’aune des outils informatiques, mais le problème central reste le vol). Il faut se concentrer sur les cas où l’informatique a un rôle central dans la formulation d’un problème éthique.

« Nous avons intégré, à tort, dans le domaine de l’éthique informatique tout acte non éthique impliquant un ordinateur. A l’avenir, nous devrons être attentifs à nous limiter aux quelques cas où les ordinateurs ont un rôle essentiel plutôt qu’accessoire. »63

62 Moor James H., “What is Computer Ethics?” In Metaphilosophy 16 (4):266-275, 1985, p.266

63 Maner Walter, « Unique ethical problems in information technology ». Science and Engineering Ethics, 2(2),

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Maner prend soin de distinguer ces deux formes dans la Computer Ethics. La première, qu’il nommera « perspective faible » (weaker view), évoquera la façon dont l’usage de l’ordinateur altère certains problèmes éthiques anciens :

« […] certaines questions éthiques sont tellement modifiées par l'utilisation des ordinateurs qu'elles méritent d'être étudiées pour elles-mêmes, dans leurs formes radicalement altérées. »64

La seconde, qu’il nommera « perspective forte » (stronger view), évoque la spécificité éthique des techniques informatiques :

« […] l'implication des ordinateurs dans la conduite humaine peut créer des questions éthiques entièrement nouvelles, propres à l'informatique, qui ne se posent pas dans d'autres domaines. »65

En se fondant sur cette dualité, nous pouvons donc affirmer que, d’une part, l’informatique réinterroge de manière propre des problématiques éthiques anciennes (vie privée, vol, harcèlement, usurpation d’identité…) et que, d’autre part, l’informatique pose de nouvelles questions éthiques du fait de sa spécificité technique. Cela est d’autant plus flagrant avec l’évolution récente de l’informatique permettant l’identification automatisée, la catégorisation de masse, le traçage des comportements en ligne, l’augmentation des risques socio-techniques dus à toutes les « normativités » du numérique (que nous définirons plus loin) comme l’infobésité, la connectivité permanente ou encore à la norme d’instantanéité renforcée par les mécanismes des notifications. En outre, la technique reconfigure les problèmes moraux, et c’est cela qui est à la base des analyses contemporaines en philosophie des techniques.

Maner définira la spécificité éthique de l’informatique en ces termes :

« Par "uniques", j'entends les questions et problèmes éthiques qui se caractérisent par l'implication primaire et essentielle de la technologie informatique, qui

64 Maner Walter, « Unique ethical problems in information technology ». Science and Engineering Ethics, 2(2),

137–154, 1996, p.139

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exploitent une propriété unique de cette technologie et qui n'auraient pas vu le jour sans l'implication essentielle de la technologie informatique. »66

La spécificité éthique viendra donc des caractéristiques uniques des technologies informatiques, tout comme la spécificité de la génétique, de la biologie, ont donné des éthiques spécifiques, traitant à la fois des pratiques et des possibilités créatrices de l’homme manipulant du vivant. L’un des signaux en faveur d’une spécificité éthique de l’informatique est que, dans la plupart des cas, aucune analogie (faisant référence à une tradition morale classique) ne semble pouvoir aider à saisir et à traiter un problème éthique inhérent à l’informatique. C’est pourquoi, certains théoriciens affirment qu’il faut conceptualiser davantage l’objet qui est le nôtre pour mieux saisir ses implications morales.

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