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1-2 La défaite comme horizon du tragique

DÉCENTREMENT DU TRAGIQUE ?

II- 1-2 La défaite comme horizon du tragique

Quelques (rares) pièces à conflit militaire présentent la défaite au dénouement : le spectateur est tenu en haleine par de très nombreux rebondissements avant l’échec final. Les caprices du sort sont particulièrement mis en relief. L’intrigue galante peut être également un élément qui permet de compliquer l’action et de créer ces rebondissements. La trame, sans doute plus romanesque, plus soumise aux rebondissements et aux péripéties, parfois en grand nombre, emprunte là sans doute au modèle tragi-comique.

Péripéties guerrières

Quand la défaite est présentée à la fin de la pièce, les retournements de situation nourrissent en permanence l’action, les conséquences psychologiques suivent : la problématique est héroïque et psychologique. La Mort de Brute et de Porcie de Guérin de Bouscal est une pièce remarquable à plusieurs titres, nous l’avons montré, en particulier en étudiant les multiples hérauts, porteurs de l’annonce de la défaite380. Les péripéties guerrières expliquent le nombre de ces intervenants, puisque, à chaque fois, l’un complète ou corrige les événements rapportés précédemment. La défaite définitive de Brutus n’est reconnue qu’à la scène 3 de l’acte V, mais depuis le début de la pièce, une alternance surprenante de victoires et de défaites a embrouillé le spectateur et mis en évidence le caractère relatif de toute réussite. C’est la leçon que l’on peut tirer finalement de la pièce : plus qu’une réflexion politique, c’est le constat tragique de l’impuissance humaine et la nécessité de se soumettre aux caprices du sort qui domine la pièce :

Qui considérera l’ordre de l’Univers, Il verra chaque jour son visage divers, Et connaîtra par là que quelque providence Par le seul changement prévient sa décadence, Et qu’ainsi notre Rome ayant pu se porter A cet extrême point qu’on ne peut surmonter, Il fallait que suivant cette règle divine, Elle redescendit devers son origine ; Tu m’en as fait douter, impuissante vertu, Et c’est sous ta faveur que Brute a combattu, Espérant le secours de ta force opportune, Mais je t’ai vu tomber aux pieds de la fortune.381

380

Voir supra, p. 91 et 93. 381

Guérin de Bouscal, La Mort de Brute et de Porcie, éd. cit., V, 4, p. 82. La révolte tragique de Brutus est approfondie plus loin, p. 137.

Le même Brutus est aussi un personnage de La Mort de César de Scudéry382. La pièce est intéressante, là aussi, pour ses rebondissements multiples, qui reculent la mort de César à la fin de l’acte IV et paradoxalement, puisque Brutus est le commanditaire de la mort de César, la révélation de sa défaite au dernier acte. Ces rebondissements sont d’ordre psychologique, comme il convient à une pièce à complot, mais aussi produits par les événements extérieurs, comme dans les pièces à conflit militaire. La problématique psychologique est nourrie par les arguments et les doutes de Brutus qui prépare le complot (acte I), par les tentatives d’Antoine et de Lépide pour convaincre César du danger qui le menace (II, 1 et III, 1), par les annonces prémonitoires du destin de chacun : le songe de Calpurnie qui prédit la mort de César (II, 2), les oracles hostiles à Brutus que Porcie consulte (II, 4). La problématique héroïque s’appuie sur le véritable rebondissement de l’action : Artemidore, un rhétoricien grec favorable à César a surpris les conjurés (III, 3) et se prépare à le prévenir, en lui glissant un billet. Son intervention a lieu directement sur scène (IV, 6) et Brutus, pour empêcher César de lire le billet, doit se livrer à un jeu de scène que nous révèlent ses paroles et les didascalies :

Brutus : Faisons agir l’adresse avec le jugement ; La mine est éventée, ou mon âme est déçue : […]

(Il l’empêche de lire) Déchargez-vous la main d’un fardeau si pesant ; Si fâcheux à souffrir et si peu nécessaire ;

César : Lisez.

Brutus : (Il feint de se moquer) Ha l’impudence ; ô l’importante affaire ! Lui qui veut une charge est digne de l’avoir :

Mais voici le Sénat qui vient vous recevoir ; Mêlez un peu le grave avec la modestie.383

L’action n’est pas terminée avec la mort de César à l’acte IV, et un titre comme « la défaite de Brutus » pourrait aussi bien convenir, puisque la pièce est construite autour de la préparation, de l’exécution et des conséquences du complot de Brutus contre César, et ces conséquences sont présentées dans l’acte V sous forme de défaite (et donc d’un nouveau rebondissement) pour Brutus384.

Les pièces où l’action est militaire et qui repoussent l’annonce de la défaite à la fin sont donc celles où les rebondissements sont les plus importants et où, par conséquent, le constat de la versatilité du sort, thème récurrent dans nos pièces sur la défaite, est le plus fréquemment et le plus longuement traité :

Ô comme la fortune a montré son pouvoir ! Elle ne t’éleva que pour te faire choir.

Dieux, ne savais-tu point la maxime importante,

382

Voir supra, p. 36. Nous avons montré, en abordant le thème du complot avant 1640, que la représentation du complot que cette pièce offrait était très proche de celle du conflit militaire.

383

Scudéry, La Mort de César, éd. cit., IV, 6, p. 60-61. 384

Que puisqu’elle était femme, elle était inconstante ? Qu’elle aime pour trahir, se plaît au changement, Et fait tout par caprice, et rien par jugement.385 • L’intrigue amoureuse

En dehors des péripéties militaires, on constate que l’intrigue amoureuse peut être un autre moyen de compliquer l’action et d’entraîner une révélation de la défaite au dernier acte. Dans ces années 1634-1640, la tragi-comédie, mais aussi la tragédie, se retrouvent, selon l’expression de Jacques Truchet, « contaminées » par le roman386. L’amour, thème essentiel de la tragi-comédie, se retrouve également « avec tous les caractères de la passion »387 dans certaines tragédies. Rappelons, en effet, que la tragi-comédie, genre dominant dans la décennie 1630-1640388, a attiré avec la même ferveur nos auteurs de tragédies : Du Ryer, Mareschal, Rotrou, Scudéry, Desmarets, Boisrobert, Gabriel Gilbert, Desfontaines, Guérin de Bouscal, Corneille, Mairet, Boyer… Au demeurant, « la frontière » est parfois plus floue qu’il n’y paraît entre tragi-comédie et tragédie389. Si nous avons retenu dans notre corpus des tragi-comédies390, c’est parce que le thème de la défaite y était traité, et donc aussi celui de la guerre, de la rivalité militaire et des revers de fortune. Bien des traits essentiels de la tragi-comédie se trouvent partagés par certaines tragédies. L’extrême complication des intrigues de tragi-comédies s’apparente à celle des tragédies dites « implexes » de Corneille, mais aussi à celle de nombreuses pièces de la période 1653-1663. Nous aurons l’occasion de traiter en détail le thème du déguisement et du changement d’identité dans les tragédies de la même période qui est aussi un topos de la

385

La Mort de César, éd. cit, V, 1, p. 67. Voir infra, deuxième partie, p. 140 « Un sceptre est dans leurs

mains un fragile roseau » et p. 226 « Inconstance, reine du monde ». Ce sont parfois aussi les pièces les plus proches du modèle héroï-comique, celles dont le lexique et les images ne s’orientent pas toujours vers la plus parfaite noblesse, comme La Mort de César de Scudéry. Le thème de l’inconstance féminine à l’acte V ou le jeu des acteurs pour empêcher César de lire le billet à l’acte IV sont sans doute des ressorts trop romanesques pour convenir pleinement à la dignité tragique.

386

J. Truchet, La Tragédie classique en France Paris, PUF, 1975, p. 116. On vient d’ailleurs de le constater avec le motif du billet dans Scudéry.

387

R. Guichemerre, La Tragi-comédie, Paris, PUF, 1981, p. 127. 388

Comme l’a montré le tableau établi par Jacques Schérer sur la « popularité des divers genres du théâtre aux différentes époques du XVIIe siècle », La Dramaturgie classique, op. cit., p. 459.

389

Jacques Truchet et Hélène Baby ont bien insisté sur la difficulté à cerner cette frontière, J. Truchet, op.

cit., « Inflexions », « la tragi-comédie » p. 119-129 ; H. Baby, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, éd.

cit., ch. III, « les marges de la tragi-comédie, la frontière tragique », p. 75 sqq. 390

Rappelons-en les titres et les auteurs : Tyr et Sidon de J. de Schélandre, Le Cid de Corneille (devenu tragédie en 1648), Scipion et Mirame de Desmarets, L’Amour tyrannique de Scudéry, Marguerite de France de G. Gilbert, Bélisaire de Desfontaines, Le Fils désavoué et Oroondate de Guérin de Bouscal, Le

Couronnement de Darie de Boisrobert, Venceslas de Rotrou, Aritodème de Boyer, Nitocris et Dynamis de Du

Ryer, Amalasonte de Quinault. On remarquera que les sujets de ces tragi-comédies sont souvent historiques (par exemple Scipion, Marguerite de France, Le Fils désavoué, Bélisaire, Le Couronnement de Darie), bien que l’invention romanesque soit considérée comme une des caractéristiques de la tragi-comédie, préconisée par La Mesnardière dans La Poétique : « Je conseille aux écrivains de n’user de cette licence [inventer les sujets] que dans les tragi-comédies, dont le sujet est plus propre aux aventures de roman », éd. cit., p. 43.

tragi-comédie. Les relations familiales conflictuelles et perturbatrices (rivalité amoureuse entre père et fils ou amitié amoureuse - qui frôle l’inceste - entre frère et sœur) sont des thèmes courants des tragi-comédies. Nous venons de l’évoquer391. Nous en reparlerons bientôt392. Mais c’est l’amour, passion privilégiée de la tragi-comédie, qui nous intéresse ici. Il revêt une telle importance dans certaines tragédies qu’il est capable de les nourrir, bien plus parfois que les actions héroïques, au point de repousser la révélation de la défaite au dénouement. Ainsi, par l’importance accordée à l’intrigue galante, La Mort d’Achille de Benserade pourrait être rapprochée de « la tragi-comédie des amours contrariés » dont parle R. Guichemerre393. En effet, le premier acte présente un Achille mal à l’aise recevant Priam, Hécube et Polixène, leur fille, venus réclamer le corps d’Hector. Il tombe aussitôt amoureux de Polixène394. A partir de cet instant, son comportement est dicté par le désir de protéger Polixène et les siens, désir de protection (galant) qui sait trahir un désir de possession. L’action dans les actes suivants est entièrement justifiée par cet amour et par ce désir. L’acte II le montre essayant d’établir la paix entre Troyens et Grecs, en dépit de toute raison395. Dans l’acte III, il s’oppose farouchement à ses amis grecs, Ajax et Ulysse, qui veulent attaquer les Troyens396, à Briséide qui lui reproche son ingratitude : aucune mise en garde ne le fait plier, il se retire même du combat et la victoire penche du côté troyen. Si ce qui caractérise le personnage de tragi-comédie est de l’ordre « de l’instinct, du caprice, de l’irresponsabilité »397, Achille, le fougueux, le bouillant, est un personnage adapté au genre. S’il en vient à se battre finalement, c’est parce que Troïle, frère de Polixène, va déjouer ses efforts de paix, et, à force de provocations, l’obliger à se défendre et à le tuer. Voilà pourquoi c’est seulement à l’acte IV que la défaite de Troie est constatée et définitive. Mais les conséquences de la passion amoureuse d’Achille pour Polixène ne sont pas terminées. Hécube, après la mort de son fils et la chute de Troie, est prise d’une haine pour Achille aussi forte que l’était auparavant son amitié, une haine qui se déverse en visions sanglantes398. Si elle parvient à se venger de lui et à l’attirer dans un piège pour que

391

Chapitre I, « le conflit familial », p. 72. 392

Dans les seconde et troisième parties, p. 278 (« L’ambiguïté identitaire ») et 367 (« De l’État divisé au héros divisé »).

393

La Tragi-comédie, op. cit., p. 52.

394

« Je me rends, et le rends, / Vos larmes ont éteint ma vengeance enflammée, / Ce que n’aurait pas fait le pouvoir d’une armée, / Une simple douceur calme nos passions, / Et des humilités ont vaincu les lions », éd. cit., I, 3, p. 14.

395

Alcimède, son écuyer, se désespère : « Où va ce pauvre aveugle ? Il court au précipice,[…] Il perd en un seul jour plus de neuf ans de gloire, / Et s’abaisse, vaincu, par de simples regards, / Jusqu’à rendre à l’Amour ce qu’il a pris à Mars », éd. cit., II, 3, p. 27.

396

« Ajax : Allons, Ulysse, il est inexorable, […] Ulysse : Achille, un ennemi ne se doit fréquenter, / C’est gloire de le perdre, et non de le hanter », ibid., III, 1, p. 40.

397

J. Truchet, op. cit., p. 124. 398

« Détestable et perfide ennemi de ma joie, / Tigre, qui dans mon sang as presque noyé Troie, / Que ne tiens-je ton cœur sous mes avides dents, / Et que ne puis-je faire en mes désirs ardents, / En te le dévorant, et rongeant tes entrailles, / A ton corps demi vif de longues funérailles », ibid., IV, 1, p. 58-59.

Pâris le tue (IV, 4), c’est bien parce que, aveuglé par l’amour, il ne se doute de rien399. On pourrait parler pour cet acte IV d’un premier dénouement, puisque l’on aboutit à la défaite des ennemis (les Troyens) et à la mort (paradoxale) du vainqueur. En fait, on assiste là au dénouement de l’action portée par l’intrigue amoureuse, et si ce dénouement n’était pas malheureux, on pourrait presque dire au dénouement de la tragi-comédie. Mais Benserade, comme s’il était conscient que cette intrigue ne pouvait soutenir à elle seule l’action de la tragédie, a désiré ajouter, dans l’acte V, un épisode : « la dispute de ses armes », qui se présente, reconnaît-il, comme « une pièce détachée »400 et qui ne dure que deux scènes, où sont exposés des thèmes appropriés à la tragédie401. On peut donc considérer que dans cette tragédie, l’amour est le sujet essentiel. C’est l’intrigue amoureuse et elle seule qui retarde l’action guerrière et recule la révélation de la défaite au dénouement. La problématique est donc nettement psychologique, plutôt qu’héroïque.

Ce n’est pas le seul exemple : on trouve dans d’autres pièces une utilisation comparable de l’intrigue amoureuse, dans le but de retarder l’issue du conflit, mais elle se présente différemment, sous forme de rivalité, par exemple. Le sort du héros est suspendu au bon vouloir d’un rival qui peut, à son gré, le sauver ou le condamner et qui exerce un chantage sur la femme aimée. Dans Cléomène de Guérin de Bouscal, la rivalité amoureuse entre le roi d’Egypte, Ptolémée IV, et Cléomène, roi de Sparte à qu’il a offert asile, est aussi un des moyens de retarder la défaite et la mort de Cléomène402. Ptolémée, amoureux d’Agiatis, femme de Cléomène, veut pousser celui-ci à partir se battre en Grèce, en laissant Agiatis en otage. L’acte second est celui des hésitations de Cléomène. Plus tard, Ptolémée, devant les pleurs d’Agiatis, hésitera aussi avant de sacrifier Cléomène (acte IV). D’autres péripéties d’ordre politique et psychologique maintiennent le doute sur le destin de Cléomène (les accusations du marchand Nicagoras à l’acte III ou le soutien du frère de Ptolémée, Magas, dès l’acte II), mais l’amour joue un rôle non négligeable sur l’issue de la pièce, ne serait-ce que pour les remords de Ptolémée et l’ultime combat désespéré de Cléomène qui, apprenant la mort d’Agiatis, demande à ses propres soldats de

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Ou du moins, il est prêt à tout accepter, même la mort, de la part de Polixène. Alcimède l’ayant mis en garde contre une possible vengeance d’Hécube, il répond : « Achille concevrait une sotte terreur ? / Ha, qui fait tout trembler ne doit pas avoir peur ! / Il faut, quoi qu’Ilion contre lui s’évertue, / Que pour le voir mourir Polixene le tue, / Si tu pleures sa vie en de si belles mains, / Il te dira mourant, je te hais, tu me plains, / L’arrêt de mon destin sortira de sa bouche, / Et puis pour me frapper il faut qu’elle me touche, / Entre les plus heureux qui le fut jamais tant ? », ibid., IV, 3, p. 67.

400

Le titre exact de la pièce est en effet La Mort d’Achille ou la dispute de ses armes. Voir l’explication que Benserade donne, dans son avis « Au lecteur », de cette dérogation à l’unité d’action p. 49, note 166.

401

Ajax et Ulysse exposent en deux très longues harangues (six pages chacune) leurs arguments pour obtenir les armes d’Achille en cadeau (scène 1). La dernière scène montre Agamemnon et le conseil des Grecs rendant leur jugement et attribuant les armes à Ulysse, ce qui provoque le suicide d’Ajax, non sans qu’il ait auparavant manifesté son aigreur devant l’injustice et l’ingratitude des Grecs, son désir de gloire et de reconnaissance et son amour de la vertu et du courage, thèmes et valeurs de prédilection de la tragédie. 402

s’entretuer403. Enfin, toujours dans cette étude des pièces où le thème de l’amour nourrit le conflit jusqu’au dénouement, suscitant de si nombreuses péripéties qu’on peut à bon droit penser au schéma traditionnel de la tragi-comédie, on évoquera le cas de Marguerite de France, sachant qu’il s’agit cette fois d’une tragi-comédie génériquement désignée et que l’importance de ce thème et de celui de la rivalité y est donc pleinement justifiée. Le roi d’Angleterre, Henri II, est en guerre contre son fils, par amour de Marguerite, sa belle- fille404. Seul l’amour, déplacé, du roi pour sa bru fonde les péripéties : colère d’Aliénor, la reine mère, qui l’accuse de la déshonorer et le menace de la colère du Ciel (I, 3), tentative de séduction du roi auprès de Marguerite (II, 3), inquiétudes du Prince sur la fidélité de sa femme (II, 2), affrontement verbal du père et du fils (III, 3), toutes ces péripéties liées à l’amour relèguent le combat et la défaite du Prince à l’acte IV405. L’amour est donc un thème qui permet, en concentrant l’intérêt du spectateur / lecteur, de retarder l’action guerrière en toute fin de pièce et d’imposer une révélation de la défaite au dénouement.

Ainsi, les péripéties guerrières et parfois l’intrigue amoureuse permettent, dans un petit nombre de tragédies de la période 1635-1643, de repousser l’annonce de la défaite au dénouement, la problématique politique s’effaçant alors derrière une problématique pleinement héroïque (péripéties guerrières) ou psychologique (péripéties amoureuses). Le choix du sujet (l’inventio) n’est donc pas sans conséquence sur le moment où la défaite est annoncée (dispositio), et ce choix place ces tragédies dans un genre que nous pourrions qualifier d’hybride, dans la mesure où l’influence de la tragi-comédie y est perceptible. Celle-ci se traduit soit à travers la problématique héroïque par les revirements du sort, la multiplication des périls et obstacles, la complexité de l’action, soit à travers la problématique psychologique par l’importance accordée à l’intrigue sentimentale et la présence de certains motifs ou objets plus particulièrement attachés à l’univers romanesque (comme le billet). C’est peut-être ce qui distingue ces tragédies de celles où le moment de la défaite est situé au début de la pièce et dont l’action ensuite est entièrement dépendante de la problématique politique consacrée au traitement du vaincu par le vainqueur, au comportement de l’entourage (celui du vaincu et celui du vainqueur) et au débat politique

403

« Quoi, la Reine est donc morte ? Et la Parque a fermé / Ces adorables yeux que j’avais tant aimés ? / Celle qui fut un charme à ma douleur secrète, / Cette divine bouche est pour jamais muette ? / Agiatis n’est plus, et sans respect de rang, / De beauté ni de sexe, on a versé son sang ? / Le Ciel a vu ce crime ? Et l’Egypte inhumaine / A produit, et soutient les bourreaux d’une Reine ? / […] Sus donc, mes compagnons, faisons que nos épées / Du sang des ennemis encor toutes trempées / Se lavent dans le nôtre […] / Coupons avec nos fers la trame de nos vies, / Avant que par leurs mains elles nous soient ravies », éd. cit., V, 12, p. 107-108.

404

Ce n’est pas évidemment la version historique, mais c’est ce qu’expose Marguerite à sa confidente : « Le crime est dans son cœur et parle par sa bouche ; / En voulant de son fils déshonorer la couche, / Il tâche à