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Déclinaison d’une approche systémique et institutionnelle au niveau macroéconomique sein des pays de l’Union européenne

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Ce chapitre étudie les interactions entre l’innovation et la qualité de l’emploi au sein des pays de l’Union européenne, dans une perspective macroéconomique. L’intérêt est double. Premièrement il s’agit d’un niveau d’analyse où l’ensemble des relations présentées dans le chapitre précédent se superposent. Deuxièmement, une telle analyse offre un panorama large de la relation à même de nourrir les travaux des chapitres suivants, qui se concentreront sur les autres niveaux d’analyse (employé, secteur, entreprise).

Comme nous l’avons souligné dans l’introduction de thèse la qualité de l’emploi est un enjeu majeur pour le développement de l’économie du bien-être. Dans le même temps, l’économie de la connaissance et de l’innovation sont perçues comme les leviers essentiels pour la poursuite du bien-être social. Néanmoins, au-delà de cet objectif affiché, il est intéressant de se pencher sur la pertinence d’articuler des modèles économiques fondés à la fois sur l’innovation et sur l'amélioration de la qualité des emplois. D’un point de vue analytique, les théories économiques montrent que l’innovation est un moteur de la croissance, conduisant ensuite à accroître le nombre d’emplois (et la qualité de ces derniers par des effets de redistribution). Cette relation est, cependant, très dépendante des institutions en place dans chaque pays. Des travaux récents ont par exemple montré, dans une perspective institutionnelle, qu'au sein des économies développées, une large part de la population n’a pas bénéficié de la croissance des dernières années (Lakner et Milanovic, 2016 ; World Inequality Lab, 2017). Les retombées de la croissance sur la quantité et la qualité des emplois sont donc variables et dépendent largement des systèmes sociaux. Par ailleurs, la relation peut aussi être soutenue dans le sens inverse, un certain nombre de travaux empiriques en sciences économiques s’intéressent ainsi aux potentiels effets de certains systèmes d’emploi dans les dynamiques d’innovation (cf. chapitre introductif).

De ces contributions économiques émergent un ensemble de questionnements portant sur les déterminants et les conséquences du bien-être au travail en lien avec les dynamiques d’innovation. Cela pose aussi la question des interactions qui sont à l’œuvre au niveau des économies européennes. Au sein des économies européennes, observe-t-on des relations entre innovation et qualité de l’emploi récurrentes à un niveau global, ou bien, observe-t-on au contraire des relations spécifiques propres à certains pays ? Répondre à ces questions revient donc à déceler parmi les nombreuses

109 relations soulignées dans le chapitre précédent, celles qui s’observent au niveau des pays. S'il existe déjà des travaux en macroéconomie qui s’intéressent justement aux liens entre croissance et emploi, notre démarche se démarque par la conception multidimensionnelle de nos objets d’études (l’innovation et la qualité de l’emploi). Conformément au cadre d’analyse adopté, la qualité de l’emploi et l’innovation possèdent de multiples caractéristiques. Dans cette perspective, ce chapitre cherche à identifier comment ces différentes dimensions s’articulent entre elles. C’est une approche complémentaire à des travaux macroéconomiques qui étudient les effets du progrès technique sur le chômage, car dans ce cas, l’emploi et l’innovation sont mesurés sous un seul angle.

Il est néanmoins nécessaire de circonscrire et de définir les modalités d’une telle démarche. A partir de plusieurs ensembles de données (rassemblant plusieurs dimensions), cette étude s’attache à définir les différentes caractéristiques que prennent les systèmes d’innovation et d’emploi et leurs évolutions. Dans un second temps, ce chapitre fournit une analyse préliminaire des combinaisons et interactions entre ces systèmes au sein des pays européens. Si une telle démarche peut s’apparenter à dresser des faits stylisés au niveau macroéconomique sur l’emploi et l’innovation, il s’agit en réalité plutôt d’identifier les relations et complémentarités entre les systèmes d’innovations et d’emploi. En d’autres termes, ce chapitre s’attache à répondre aux questions suivantes : existe-il différents systèmes d’emploi et d’innovation en Europe ? S’inscrivent-ils dans des analyses institutionnelles plus larges (comme par exemple les travaux sur les variétés des capitalismes) ? Ont-ils évolué ces dernières années ? Convergés ou divergés ? Y’a-t-il des combinaisons différentes de ces systèmes ? Quels types de contraintes ces arrangements institutionnels pourraient exercer sur la relation innovation-qualité de l’emploi à des niveaux plus désagrégés ?

La section suivante (1) s’attache à définir le cadre d’analyse et la méthodologie empirique adoptés dans ce chapitre. La section 2 présente plus en détail le concept de système d’innovation pour ensuite en fournir une analyse à partir de deux ensembles de données. Cette deuxième partie articule les résultats obtenus afin de dresser les caractéristiques et particularités des systèmes d’innovation au sein de l’UE. La partie suivante (section 3) se concentre sur les méthodologies multidimensionnelles permettant d’appréhender la qualité de l’emploi au niveau des pays. Puis, elle fournit

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une analyse à partir de deux bases de données, l’une focalisée sur des mesures agrégées et l’autre fondée sur les expériences d’emploi, permettant de faire ressortir deux réalités des systèmes d’emploi en Europe. Enfin, la section 4 concrétise l’ambition de ce chapitre à travers l’articulation des systèmes d’emploi et d’innovation. Une telle analyse permet de faire ressortir certaines caractéristiques des interactions entre innovation et qualité de l’emploi au niveau macroéconomique. La dernière partie (V) propose des éléments de discussion et dresse des perspectives pour les chapitres suivants.

I. U

NE ANALYSE MULTIDIMENSIONNELLE

:

CONCEPTS ET

OPERATIONNALISATION EMPIRIQUE

I.1 Inscrire l’analyse multidimensionnelle au sein d’un cadre

institutionnel et systémique

Douglas North (1986, 1990), contributeur à l’approche néo-institutionnelle, souligne le rôle essentiel et déterminant des institutions dans le jeu économique, il en donne la définition suivante « des contraintes humainement conçues qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales. Elles consistent en contraintes informelles (sanctions, tabous, coutumes, traditions et codes de comportement) et en règles formelles (constitutions, lois, droits de propriété) ». Une approche institutionnelle en économie présuppose d’adopter deux hypothèses (Hodgson, 2017). La première postule l’existence de contraintes (institutions) formelles et informelles s’exerçant sur les comportements des agents (individus, entreprises, organisations, etc.). La seconde stipule que ces institutions évoluent dans le temps selon les caractéristiques d’un système (Robert et Yoguel, 2016). Dès lors, adopter une approche institutionnelle implique d’observer les contraintes institutionnelles (ou systémiques) qui s’exercent sur la relation sociale étudiée. Dans un second temps, l’étude de ce fait social doit également nourrir une réflexion sur les ressorts d’une évolution de ces contraintes.

Dans cette perspective les travaux portant sur les systèmes d’innovation ont permis une meilleure compréhension des dynamiques d’innovation. A cet égard, on peut

111 notamment souligner la caractérisation de différents modèles d’innovation à l’œuvre, comme le modèle japonais (J-form) par Freeman (1988), ou les modèles scandinaves (learning organisation) par Lundvall (1985). Ces derniers ont fait office de référence dans la réflexion sur les différentes formes d’organisation de la connexion entre l’appareil productif et technologique. L’ouvrage de référence de Amable, Boyer et Barré, Les systèmes d’innovation à l’ère de la globalisation (1997) défend l’intérêt d’étudier l’imbrication entre différents systèmes institutionnels. Les auteurs évoquaient la possibilité d’une convergence entre les différents systèmes socio- technologiques dans le courant des années 2000. Cependant, des travaux plus récents (Godinho et al., 2005 ; Groenewegen et Van der Steen, 2006 ; Hollanders et van Cruysen, 2008 ; OECD, 2010a ; Carrincazeaux et Gaschet, 2012 ; Arvanitis et Bolli, 2013), ainsi que les régulières publications des organismes statistiques (Eurostat et OCDE notamment, OECD, 2017a ; European Commission, 2018 ; OECD, 2018b) portent un regard plus mitigé sur les convergences à l’œuvre.

Ces travaux insistent, d’une part, sur l’existence de disparités institutionnelles fondées sur les concepts de sentier de dépendance et de complémentarité institutionnelle. D’autres part, ils soutiennent la pertinence du concept de systèmes d’innovation pour observer les évolutions à l’œuvre et traiter des problématiques de divergence ou de convergence des modèles économiques.

Du côté de l’emploi, plusieurs chercheurs fournissent des cadres empiriques d’analyse permettant d’appréhender l’emploi et ses multiples dimensions (Green, 2006 ; Bustillo et al., 2011a ; Eurofound, 2012 ; Greenan et al., 2012a ; Green et al., 2013). Ces travaux permettent à la fois d’identifier des ensembles institutionnels d’emploi à partir d’une grille d’analyse préalablement définie (se référant à plusieurs indicateurs), tout en créant des connexions avec la littérature plus large des formes de capitalisme (Davoine and Erhel, 2007 ; Davoine et al., 2008 ; Gallie, 2009 ; Guergoat-Larivière and Marchand, 2012).

La perspective institutionnelle au niveau européen est particulièrement pertinente, car deux dynamiques politiques se combinent. Le rôle des État-nations est historiquement structurant dans l’établissement de normes et d’institutions spécifiquement nationales, tandis que le développement d’une entité politique supranationale vise à l'homogénéisation d'une partie de ces institutions. Le cadre institutionnel en Europe,

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à la fois soumis à des logiques nationales et supranationales, offre donc une comparabilité entre pays pertinente, ni trop homogène ni trop hétérogène. De plus, au sein de cet espace, les données produites sont de qualité, nombreuses et standardisées, ce qui facilite l’étude empirique des spécificités et des complémentarités institutionnelles qui sont à l'œuvre. Enfin, c’est un espace économique au sein duquel des pays avec des niveaux de développement différents interagissent, ce qui offre la possibilité d'observer les potentiels effets de ces écarts de développement.

Ce chapitre vise donc à étudier explicitement les interactions entre systèmes d’emploi et systèmes d’innovation à un niveau agrégé, permettant d’identifier les contraintes que ces systèmes induisent dans la relation innovation-emploi. A partir de données de référence, produites et utilisées par les organismes statistiques communautaires, ce chapitre fournit une analyse descriptive des relations entre des ensembles de variables portant sur la qualité et l’organisation du travail, les institutions de l’emploi et les systèmes d’innovation. Il s’appuie sur des données collectées en 2005, 2010 et 2015 afin d’étudier également les mutations institutionnelles qui ont caractérisé la période récente.

I.2 Opérationnaliser

empiriquement

une

analyse

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