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Cadre théorique : l’innovation et la qualité de l’emploi, une relation qui s’inscrit dans une perspective institutionnelle

INTERACTIONS ENTRE L ’ INNOVATION ET LA QUALITE DE L ’ EMPLO

IV.1 Cadre théorique : l’innovation et la qualité de l’emploi, une relation qui s’inscrit dans une perspective institutionnelle

et évolutionnaire

La revue de littérature des travaux pouvant s’inscrire dans la relation entre innovation et qualité de l’emploi nous conduit à adopter un cadre théorique large empruntant aux approches institutionnelles et évolutionnaires.

L’approche évolutionnaire se justifie car elle part du principe que l’innovation prend nécessairement des formes différentes selon les technologies sur lesquelles elle se fonde75. Sans pour autant rejeter l’idée selon laquelle l’innovation produit des effets en

tant que phénomène économique propre, notre cadre d’analyse suppose que les effets spécifiques des technologies véhiculées par ces innovations s’y ajoutent. C’est une caractéristique de la perspective évolutionnaire de considérer que l’étude de la relation innovation emploi change de nature dans le temps. Une telle perspective renforce la pertinence de notre démarche, puisque, si des régularités avec des faits économiques passés peuvent être relevées, les spécificités technologiques actuelles conduisent à caractériser une relation inédite à certains égards. Cela revient donc à adopter le concept de « cycles technologiques », et par conséquent à prendre en considération les technologies d’automatisation et du numérique, qui caractérisent ce qui est communément qualifié de « troisième révolution industrielle ». La notion de cycle technologique conduit à inscrire l’analyse de l’innovation dans le cadre des particularités technologiques à l’œuvre, c’est-à-dire à considérer que les innovations observées au 21ème siècle sont caractérisée en partie par les spécificités des technologies

75 Les auteurs évolutionnaires s’appuient sur deux concepts clés de la théorie schumpétérienne,

l’information locale et contextuelle et le cycle technologique. Le deuxième concept traduit une vision dynamique des technologies, qui ont des effets différents au cours du temps et selon leur maturité, il s’agit donc pour une entreprise de gérer l’ensemble du cycle technologique et non pas l’adoption ou la production d’innovation à un instant donné. L’information locale et contextuelle est à l’origine de modèles à firmes hétérogènes où plusieurs stratégies peuvent être efficace d’une part, et d’autre part elle implique qu’une entreprise est en concurrence vis-à-vis d’elle-même plus que par rapport aux autres firmes (Patel et Pavitt, 1997 ; Dosi et Nelson, 2010).

93 numériques (nouvelles technologies de l’information et de la communication – NTIC)76.

L’approche institutionnelle s’inscrit une logique très similaire en ce que le contexte dans le lequel s’inscrit une relation (la relation entre innovation et qualité de l’emploi en l’espèce) est déterminant. Sans viser l’exhaustivité, le cadre institutionnel cherche plus spécifiquement à intégrer les éléments de contexte les plus susceptibles d’influencer la relation étudiée. Dans notre cas, les normes et pratiques de l’emploi, la réglementation du travail mais aussi les systèmes et stratégies d’innovation sont structurants. La façon dont une innovation se diffuse est fortement liée aux pratiques et normes en vigueur au sein du secteur ou même du pays77. Dans cette perspective, les

concepts de « système institutionnel d’emploi » et de « système d’innovation » sont essentiels à notre analyse car ils donnent un cadre au sein duquel se construisent les relations économiques.

Enfin, un dernier élément conceptuel, qui s’inscrit pleinement dans le cadre proposé, mérite d’être adopté. Issu des travaux néo-schumpétériens, le concept de « régime d’innovation » justifie l’existence d’hétérogénéités des formes d’innovation. La notion de régime d’innovation trouve son origine dans la distinction des modèles dits Schumpeter Mark I et Schumpeter Mark II, proposée par Nelson et Winter dans leur ouvrage séminal (An evolutionary theory of economic change, 1982).

76 Ces dernières ont comme particularités de permettre des productions à coût marginal très faible, de

s’appuyer sur des logiques de marché multi-versant, de produire de la non-rivalité, de décentraliser les organisations, de réduire les coûts de transaction et d’information et d’accroitre les effets monopolistiques. Toutes ces propriétés impliquent une reconfiguration des systèmes sociaux, au-delà des seules sphères économiques. Elles impliquent bien entendu aussi une transformation des processus de production et de diffusion de l’innovation. Ce sont également ces caractéristiques qui conduisent à justifier les évolutions de la structure de l’emploi présentées précédemment (II.2).

77 Par exemple, le Japon, qui est un pays connu pour ses performances en termes d’innovation

numérique, a un taux de pénétration des caisses automatiques très faible (15%) alors même qu’il les a introduites très tôt, dès le début des années 2002, malgré plusieurs tentatives et un pic du taux de pénétration à 50% en 2005, ce nombre est redescendu à 15% en 2018. En revanche, la France qui les a introduites plus récemment (2004) a un taux de pénétration de plus de 50%. Cet écart s’explique principalement par des facteurs culturels, les Japonais considérant le service de caisse comme essentiel, là ou d’autre pays y sont moins attachés. Il s’agit d’un exemple illustratif qui justifie l’importance du contexte institutionnel dans l’étude des effets des innovations sur l’emploi.

Source :https://www.kotoba.fr/semiserufu-reji/ ;

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Ils se fondent sur les deux visions, a priori antagonistes, de Schumpeter sur la génération d’innovation afin d’établir une typologie des modes d’innovation78. Le

premier modèle renvoie à une stratégie d’innovation conduite dans un environnement fortement concurrentiel et avec de faibles coûts d’entrée, dans ce cas les innovations sont guidées par des nouveaux entrants (innovation dite « de garage »). Le second modèle, lui, s’inscrit dans un environnement peu concurrentiel avec peu d’acteurs et des barrières très importantes à l’entrée du fait d’un besoin important d’accumulation de connaissance et de compétence (innovation routinière). Le progrès technique s’effectue au sein de ce second modèle à travers une logique d’accumulation de connaissance et de stratégie de développement technologique continu.

Ces deux modèles qui peuvent s’apparenter à des idéaux-types de l’innovation (ou bien des bases conceptuelles à d’éventuelles complexifications) ouvrent la voie à des analyses différenciées des relations de l’innovation. Dans la logique d’accumulation de connaissances et de compétences, les entreprises innovantes doivent bénéficier d’un environnement peu concurrentiel avec une main d’œuvre stable et bien formée. Elles doivent tisser des liens durables et étroits avec de nombreux acteurs. La situation est très différente si on se situe dans le cadre d’un modèle de type Mark I ; dès lors, le besoin en flexibilité de main d’œuvre est important (pour favoriser le processus de destruction - création). De plus, si les coûts d’entrés sont accrus par certains arrangement institutionnels, la dynamique d’innovation en sera réduite.

En résumé, cette approche offre clairement un cadre d’analyse de l’effet des institutions sur l’innovation et en particulier celles de l’emploi. Par extension, ces réflexions ont conduit aux analyses différenciées des effets de l’innovation selon les types de secteurs ou les types d’entreprise (Malerba et Orsenigo, 1993, 1995 ; Malerba, 2005 ; Peneder, 2010). Au sein de travaux néo-schumpétériens, ce concept de « régime d’innovation » se décline également à travers une analyse des différentes stratégies d’innovation adoptées par les entreprises79 (Dosi, 1982 ; Nelson et Winter, 1982 ; Patel et Pavitt,

1997 ; Dosi et al., 2017).

78 Même si certains auteurs (Meunier, 2013) soulignent l’absence de réelles contradictions dans la

pensée de Schumpeter à l’origine de cette distinction (car elles ne sont pas de même nature), il n’en demeure pas moins que l’analyse de deux paradigmes technologiques différents dans Capitalism, Socialism and Democracy (1942) est empiriquement riche.

95 D’un point de vue empirique, ce concept implique un travail approfondi sur la mesure de l’innovation. A contrario, les nombreux travaux qui adoptent une unique mesure de l’innovation se privent de la possibilité d’entrevoir plusieurs stratégies à l’œuvre dans la relation entre innovation et qualité de l’emploi. Ainsi, deux innovations de produit déclarés peuvent être de nature très différente, et donc conduire aussi à des effets différents sur l’emploi. Afin de prendre en considération l’importance des stratégies d’innovation, notre méthodologie s’inscrit dans une mesure multidimensionnelle de l’innovation dans la perspective des travaux du manuel d’Olso (OECD, 2005).

En plus des éléments contextuels et institutionnels, nous retenons cinq principaux critères qui permettent de spécifier la stratégie de l’innovation : le type d’innovation, le degré de diffusion (ou de nouveauté), l’objectif de l’innovation, la portée de l’innovation, et le statut vis-à-vis de l’innovation. Le tableau A0.2, en annexe, présente les différentes déclinaisons de ces critères. Il propose aussi quelques exemples de classifications d’innovations à partir de cette grille. Cette méthodologie peut à la fois servir d’identification d’une innovation mais aussi définir la stratégie dominante d’une firme.

Ces critères ne sont pas toujours identifiables en fonction des données utilisées, mais ils servent néanmoins de points de repère. Une telle grille permet de mieux cerner la forme d’innovation que recouvrent les variables utilisées dans chaque étude. Ainsi, les chapitres suivants s’appuieront sur cette liste de critères pour définir plus clairement l’innovation qui est visée dans l’étude empirique.

IV.2 Cadre empirique : causalité, niveaux d’analyse et données

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