• Aucun résultat trouvé

INTERACTIONS ENTRE L ’ INNOVATION ET LA QUALITE DE L ’ EMPLO

IV.2 Cadre empirique : causalité, niveaux d’analyse et données disponibles

Comme nous l’avons vu, proposer une étude de la relation entre innovation et qualité de l’emploi conduit à faire face à deux difficultés empiriques ; d’une part, le sens

- L’introduction de nouveaux produits.

- L’introduction de nouvelles méthodes de production. - L’ouverture de nouveaux marchés.

- Le développement de nouvelles sources d’approvisionnement en matières premières ou en autres intrants.

96

de la causalité et d’autre part, le niveau de l’analyse et sa temporalité. Les différentes contributions de cette thèse spécifient clairement les choix retenus en la matière, mais un rapide aperçu des questions que soulèvent ces deux difficultés permet de mieux saisir l’enjeu des contributions dans ce champ.

IV.2.1 Une relation à plusieurs niveaux avec une double causalité

Le sens de la causalité représente un défi de taille ; selon les déclinaisons et les dimensions retenues, l’innovation peut impacter les formes et la qualité de l’emploi, mais l’inverse est aussi possible. Par exemple, l’accroissement du nombre de personnel de R&D (qualifié) peut être une stratégie pour améliorer les performances d’innovation, mais peut aussi être la conséquence de l’adoption d’une innovation qui nécessite d’être approfondie. De même, comme nous l’avons vu, certains auteurs (Zhou et al., 2011 ; Kleinknecht et al., 2014) cherchent à montrer l’importance d’une main d’œuvre stable pour l’innovation (en rejoignant l’hypothèse dite Schumpeter Mark II), tandis que d’autres montrent l’impact des innovations sur la stabilité de l’emploi (Calvino et Virgillito, 2017). Dès lors, faut-il chercher un effet de l’innovation sur les variations d’emploi où l’inverse ? Traditionnellement, l’existence de modèles théoriques permet de baliser et d’orienter le sens des relations empiriques, mais comme nous l’avons vu, la nature même de l’innovation en fait un phénomène difficile à intégrer dans des relations de types « cause à effet ».

En approfondissant les travaux, cependant, il s’avère que les deux types de variations d’emploi visés dans chacun des sens de la relation sont de natures différentes et ne portent pas forcément sur les mêmes emplois. Malgré tout, le fait que l’innovation nécessite un investissement en capital humain et de l’accumulation de connaissances d’une part, et d’autre part que ce même phénomène induise des variations de l’emploi, compliquent les tentatives d’isoler un sens causal dans les relations.

A cette première difficulté s’ajoute la gestion des niveaux d’analyse et la temporalité retenue dans la mesure des effets. L’adoption d’une innovation peut avoir un effet positif pour l’emploi dans une entreprise et, dans le même temps, un effet globalement négatif au niveau du secteur, par des effets de concurrence (vol de part de marché) et d’externalité. Par ailleurs, en plus d’une différenciation en coupe (pays / secteur /

97 entreprise / employé), il est aussi nécessaire de prendre en considération une dimension temporelle. Une innovation peut dans un premier temps détruire des emplois pour ensuite en créer par effet richesse (report de consommation vers d’autres secteurs), comme l’ont souligné les revues de littérature précédemment citées (Vivarelli, 2014 ; Calvino et Virgillito, 2017).

Prendre en considération ces effets permet de faciliter l’interprétation de résultats qui peuvent, au premier abord, sembler contradictoires. A travers ses différentes contributions, cette thèse tente de fournir des analyses à des niveaux différents avec des temporalités variées. Prenant en considération les difficultés portant sur la causalité, notre démarche consiste à combiner des analyses visant à identifier clairement un sens de la causalité avec des analyses qui discutent de la possibilité d’une intrication plus forte. Le tableau A0.3 en annexe schématise la spécificité du cadre d’analyse de cette thèse, fondée sur une articulation de programmes de recherche à différents niveaux, interrogeant des sens de causalité différents. Néanmoins, si nous devons garder une tête ces caractéristiques, cette thèse s’attache plus particulièrement à identifier les effets de l’innovation sur la qualité des emplois. Ce choix se justifie par les caractéristiques de l’innovation (émergence et diffusion de techniques qui viennent perturber l’existant), mais il se justifie également par l’importance accordée à ce sens de la relation au sein de la littérature.

IV.2.2 Aperçu du support empirique : des données nombreuses mais peu calibrées pour étudier les interactions entre l’innovation et la qualité de l’emploi

Cette thèse contribue à fournir des analyses empiriques quantitatives permettant de caractériser la relation entre l’innovation et la qualité de l’emploi. Une telle démarche nécessite de disposer de matériaux empiriques adaptés. La démonstration de l’intérêt de traiter ce sujet dans la perspective des sciences économiques doit s’accompagner d’une analyse des données disponibles. Cette analyse est d’autant plus essentielle que les données conditionnent les contributions possibles.

Etant donné que l’articulation entre l’innovation et la qualité de l’emploi constitue un champ de recherche émergent en économie, les données disponibles sont relativement

98

peu adaptées à cette approche. Il n’existe pas d’enquête ou de base de données dédiée à cette question. Traditionnellement, les enquêtes visent à collecter des données sur une thématique bien spécifique au sein de laquelle on peut trouver des sous- thématiques qui s’y rattachent. On trouve donc des enquêtes ou des bases de données administratives dédiées à l’emploi ou à l’innovation, mais presque aucune n’aborde explicitement les deux thématiques ensemble. Bien entendu, on peut retrouver quelques éléments se référant à l’autre thématiques, mais ils sont bien souvent très parcellaires et contraignent fortement le périmètre de l’analyse.

Le choix de circonscrire l’analyse à l’espace européen se justifie tout à fait sur le plan conceptuel comme nous l’avons vu. Il s’agit d’une zone relativement unifiée avec des écarts de développement suffisamment prononcés pour entrevoir des divergences sans pour autant créer des ruptures conceptuelles. De plus, il s’agit d’un ensemble de pays reliés à la fois par des flux commerciaux importants et des politiques communes. Cependant, de façon plus pragmatique, se focaliser sur l’Europe est aussi un atout majeur en termes de disponibilité de données. L’Union européenne, par le biais d’Eurostat, de l’Eurofound et des instituts statistiques des pays membres, produit un grand nombre d’enquêtes couvrant des thématiques très diversifiées. La qualité et la régularité de ces données représentent également un avantage certain.

Le tableau A0.4 (en annexe), présente de façon non–exhaustive un certain nombre d’enquêtes et de bases de données pouvant être utilisées dans le cadre de la thématique de cette thèse80. Après avoir passé en revue les principales caractéristiques des

différentes sources, les deux dernières colonnes du tableau présentent les principaux avantages et inconvénients d’une utilisation dans le cadre du sujet de cette thèse. Par ailleurs, ne pouvant étudier l’ensemble des productions de données nationales de chaque pays européen, il apparait néanmoins intéressant de reporter les principales productions pour le cas français. Cela permet d’identifier les compléments fournis aux données européennes. Ces enquêtes nationales ont souvent l’avantage de rassembler plus d’individus sur un périmètre plus restreint et plus homogène. C’est un avantage

80 Il convient de préciser que les base de données considéré ici sont uniquement celle permettant

d’obtenir des mesures à des niveaux inférieurs à celui des pays. Dans ce cas le périmètre s’étendrait aux méthodologies de publications mélangeant analyse et données macro-économiques dédiées (comme par exemple la méthodologie de l’Europe sur l’innovation : le European Innovation Scoreboard).

99 en termes de degré de représentativité des effets statistiques obtenus (erreur de 2ème

espèce).

A partir des éléments reportés, quels sont donc les bases de données qui semblent les plus pertinentes dans le cadre de cette thèse ? Les quatre bases de données qui apparaissent comme les plus pertinentes sont : l’enquête européenne sur les conditions de travail (ECWS), l’enquête européenne sur les entreprises (ECS), l’enquête communautaire sur l’innovation (CIS) et enfin l’enquête française REPONSE sur les relations professionnelles.

L’EWCS est une référence en matière de qualité de l’emploi, son utilisation fréquente est un atout en termes méthodologique ainsi qu’en termes de comparabilité. En revanche, uniquement l’édition 2010 contient des questions qui se réfèrent à l’adoption de nouvelles technologies. Cette base de données est donc très déséquilibrée en faveur de l’emploi, elle a néanmoins l’intérêt de combiner des aspects relatifs à la qualité du travail mais aussi à l’organisation des tâches de travail.

L’ECS, de son côté, a l’avantage de contenir plusieurs variables sur l’innovation et le changement technologique ainsi que des éléments de mesure de l’organisation du travail. Elle est, en revanche, relativement limitée en termes de mesure de la qualité de l’emploi. Par ailleurs, des travaux récents montrent que les déclarations d’innovation issues de cette enquête semblent agréger des stratégies d’innovation très différentes, ne permettant pas une analyse très précise (Bustillo et al. 2017 ; Eurofound, 2017b). Construit sur la méthodologie du manuel d’Oslo (OECD, 2005), le CIS est une référence en matière de mesure de l’innovation. Il s’agit de l’enquête la plus complète qui a en plus la particularité d’être conduite sur de larges échantillons, tous les deux ans. Le principal inconvénient est que cette enquête ne contient que très peu d’éléments sur l’emploi. Elle fournit une indication (déclarative) des évolutions d’emploi, ainsi que quelques informations sur l’organisation de l’entreprise. Dans le cadre de notre objet d’étude, il est nécessaire de combiner cette enquête avec d’autres. Enfin, l’enquête REPONSE est l’équivalent français d’une combinaison de l’ECS et l’EWCS, en termes de champ couvert. Cependant, si cette enquête est très fournie sur

100

la mesure de l’organisation du travail (avec des informations provenant de l’entreprise, des représentants du personnel et des employés), elle contient relativement moins d’éléments sur la qualité de l’emploi que l’EWCS, et moins d’éléments sur les innovations que l’ECS. De plus, étant donné qu’elle est restreinte au cas français, il est sans doute nécessaire de l’utiliser en complément d’une analyse plus large, si l’on ne souhaite pas réduire la portée de l’analyse.

En résumé, les contraintes qui proviennent des données disponibles nous poussent à conduire des analyses qui reposeront sur des données déséquilibrées soit en faveur de l’innovation soit en faveur de la qualité de l’emploi. Par ailleurs, l’absence de données produites en panel ainsi que l’intervalle de réalisation des enquêtes portant sur la qualité de l’emploi rend toute analyse en dynamique délicate. Le cadre temporel est pourtant essentiel pour déceler le sens des effets et les liens causaux. En mêlant les niveaux d’analyse, le type de variable et les stratégies statistiques, nos travaux cherchent à surmonter cette difficulté.

Enfin, il convient de préciser que ces contraintes empiriques conditionnent l’ambition des hypothèses empiriques qui sont testées dans cette thèse.

IV.3 Hypothèses empiriques de recherche : réinterroger les

Outline

Documents relatifs