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- Présidence de M. Christian Cambon, président -

Audition du Général de division aérienne Michel Friedling, commandant de l'Espace

M. Christian Cambon, président. – Nous accueillons aujourd’hui le général Michel Friedling, commandant de l'Espace de l’Armée de l’Air et de l’Espace, pour une audition consacrée aux enjeux stratégiques de l’espace.

Mon Général, nous vous remercions d’avoir accepté cette audition, à un moment où nous assistons à une militarisation toujours accrue de l’espace.

Le développement des activités dans l’espace exo-atmosphérique ne cesse de s’accélérer. On compte désormais plus de 3 300 satellites en orbite dont 1 270 ont été lancés en 2020. Cette intensification est notamment liée à la croissance des activités spatiales commerciales et de ce qu’on appelle le New Space.

Dans le même temps, l’espace est plus que jamais un terrain de compétition entre les États. Si la domination américaine reste pour le moment incontestable, l’espace est aujourd’hui une priorité pour la Chine - particulièrement sur le plan militaire – et est également investi par d’autres États, notamment l’Inde, l’Iran, les deux Corées et les Émirats arabes unis.

Ces évolutions induisent des conflits d’usage et de nouvelles menaces, qu’il s’agisse d’actes hostiles volontaires ou d’accidents liés à la présence d’un nombre toujours plus important de débris en orbite.

Il y a aussi la question de la militarisation croissante de l’espace. La maîtrise de l’espace est aujourd’hui une condition essentielle de la supériorité militaire, qu’il s’agisse d’observer, de recueillir du renseignement, de guider des opérations dans les autres milieux ou tout simplement de communiquer. Mais l’exemple récent de la destruction d’un satellite spatial par un tir de missile russe dans le cadre d’un exercice militaire montre que l’espace tend à devenir un milieu d’opérations à part entière. On s’inquiète aussi de son arsenalisation.

Mon Général, quelles sont les spécificités des modes d’action dans l’espace exo-atmosphérique qui, malgré les stratégies qu’y déploient les puissances, demeure et doit demeurer un espace commun ? Quelles difficultés spécifiques cela pose-t-il ? Je pense notamment à la caractérisation de l’origine d’un éventuel acte hostile.

Par ailleurs, où en est aujourd’hui, deux ans après son rattachement à l’Armée de l’Air, le Commandement de l’Espace ? Sa montée en puissance se fait-elle au rythme prévu ? Quelles sont ses grandes priorités ? Quel bilan tirez-vous du premier exercice militaire français dans l’espace AsterX réalisé en mars 2021? Sera-t-il reconduit ?

Par ailleurs, l’OTAN a choisi, elle aussi, de faire de Toulouse un centre d’excellence pour le spatial, en pleine synergie avec notre effort national. Vous pourrez nous dire si cela génère, selon vous, des synergies qui pourraient bénéficier à notre écosystème et à nos capacités.

Mon Général, je vous cède la parole pour un exposé liminaire, à la suite duquel nos collègues vous poseront leurs questions.

Général Michel Friedling, commandant de l'Espace. – C’est un plaisir et un honneur de me retrouver parmi vous. Dans mon propos introductif qui sera accompagné d’une présentation powerpoint, je vous rappellerai le contexte dans lequel nous nous situons, les fondements de la stratégie spatiale de défense, notre montée en puissance et les actions en cours pour mettre en œuvre cette stratégie.

En premier lieu, je rappelle que l’espace est essentiel à notre mode de vie car il irrigue aujourd’hui tous les secteurs de l’activité humaine, que ce soit l’environnement, l’éducation, le développement, l’agriculture, l’énergie, la santé, la mobilité, l’appréhension des risques et des catastrophes naturelles, les infrastructures…

En 2020 l’économie spatiale représentait environ 350 milliards d’euros et ce chiffre va être multiplié de 3 à 5, voire davantage, dans les 10 à 15 ans qui viennent et représenter entre 1 000 et 3 000 milliards d’euros. Selon les études de la Commission européenne, plus de 150 000 emplois directs et indirects sont liés à l’espace en Europe et plus de 10 % du PIB de l’Union européenne dépend des services de l’espace, soit plus de 1 000 milliards d’euros, un million d’emplois européens dépendant des services de localisation et de navigation (Global Navigation Satellite System ou GNSS) par GPS et Galileo.

Le deuxième élément de contexte est le bouleversement de l’écosystème spatial international avec l’arrivée du secteur privé. Elon Musk est aujourd’hui l’acteur mondial spatial le plus innovant et aussi le plus redouté. Il maîtrise l’ensemble des capacités, de la construction à la mise en orbite de satellites jusqu’au ravitaillement de la station spatiale internationale. Il a également permis aux États-Unis de retrouver leur autonomie en matière de vols habités alors qu’ils avaient dû sous-traiter ce segment à la Russie après l’arrêt de la navette spatiale, et il est en train de déployer une constellation pour fournir des télécommunications en haut débit sur l’ensemble de la planète. Jeff Bezos, le patron d’Amazon, se consacre quant à lui désormais exclusivement à Blue Origin, sa société spatiale, en concurrence frontale avec celle d’Elon Musk, SpaceX.

Lorsque j’ai pris mes fonctions fin 2018, il y avait 1 800 satellites actifs en orbite, fin 2020, il y en avait près de 4 000 et ils sont environ 5 000 fin 2021. On en attend 20 000 de plus dans les 10 à 15 prochaines années. En 2020, ont été lancé environ 1 300 satellites, 10 fois plus que 10 ans auparavant.

Des nouveautés arrivent avec le Spurring Private Aerospace Competitiveness and Entrepreneurship (SPACE) Act américain qui permet l’exploitation des corps célestes par des acteurs privés et avec les accords Artemis qui régissent les activités sur la lune. L’espace entre dans son deuxième âge avec de nouveaux acteurs, de nouveaux secteurs d’activité et une nouvelle dynamique.

Le troisième élément de contexte est constitué par les capacités spatiales qui sont essentielles pour notre autonomie stratégique et nos opérations militaires, fournissant de l’aide à la décision par l’imagerie ou le renseignement, des communications sécurisées haut débit et des services de navigation pour les 30 000 militaires déployés sur le terrain. Communiquer, voir, entendre, cibler, renseigner, naviguer… tout cela est désormais permis par l’espace aujourd’hui. L’espace jouera un rôle essentiel dans la connexion des plateformes des systèmes de combat collaboratifs qui sont en développement, notamment le système de combat aérien du futur (SCAF), le système de la Marine et de l’Armée de Terre.

Le dernier élément de contexte concerne la défense et la sécurité. L’espace est un milieu à part entière dont les spécificités et la singularité ont été soulignées par la revue stratégique de 2017 et par la stratégie spatiale de défense de 2019. L’Otan en a fait un domaine opérationnel en décembre 2019 et lors du Sommet de Bruxelles en juin 2021, il a été déclaré que l’agression d’une capacité spatiale d’un pays membre serait couverte par l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.

Les systèmes spatiaux sont exposés à des risques non intentionnels croissants mais aussi à des menaces intentionnelles.

Les risques sont constitués essentiellement par la météo, les rayonnements cosmiques et les débris spatiaux. Avec le dernier tir russe, on compte environ 35 000 objets de plus de 10 cm en orbite dans l’espace et plus de 900 000 débris de plus d’un centimètre !

S’agissant des menaces, il existe plusieurs formes d’actions hostiles avec des effets réversibles ou non. Cela va de la menace cyber au renseignement, l’interception, le brouillage, la neutralisation à l’aide d’armes à énergie dirigée, des menaces co-orbitales avec le développement de satellites saboteurs, remorqueurs ou désorbiteurs et armés. Ces derniers peuvent être mis en œuvre par des opérateurs privés, ce qui rend difficile la caractérisation et l’attribution de la menace. Quatre pays disposent de missiles anti satellites : la Chine depuis 2007, les États-Unis depuis 2008, l’Inde depuis 2019 et la Russie depuis le 15 novembre dernier. La Chine et la Russie considèrent que l’espace est essentiel aux opérations militaires modernes, et par conséquent, que des capacités de neutralisation des moyens spatiaux adverses sont indispensables pour réduire l’efficacité militaire américaine et occidentale en cas de conflit et rétablir une sorte de symétrie. En 2015, ces deux pays ont réorganisé leurs forces dans le domaine spatial. La multiplication des actions dans l’espace de la part de nombreux acteurs nous a amenés à améliorer nos processus, à monter en compétences et à progresser dans notre capacité à travailler avec nos partenaires et alliés, et enfin à valider notre feuille de route capacitaire.

Comme le cyber, l’espace est devenu un véritable enjeu de sécurité nationale, donnant lieu aux travaux de la revue spatiale entre 2008 et 2019 puis à la publication d’une Stratégie spatiale en juillet 2019 et à la création du commandement de l’Espace en septembre 2019. Les principales lignes de la stratégie spatiale sont les suivantes : il s’agit de répondre aux menaces émergentes dans l’espace, de défendre nos intérêts spatiaux et de saisir toutes les opportunités pour construire notre autonomie stratégique. Parmi ces opportunités, il s’agit d’élargir nos coopérations au domaine des opérations en l’ouvrant à des nouveaux partenaires.

Notre feuille de route comporte quatre axes : une nouvelle doctrine pour les opérations spatiales militaires, une nouvelle ambition en matière de capacités, le développement de l’expertise spatiale au sein du ministère des Armées et l’adaptation de la gouvernance du spatial militaire avec notamment la création du commandement de l’Espace et de nouvelles relations entre le CNES et le ministère des Armées.

La doctrine est basée sur l’idée nouvelle que nous sommes en mesure de protéger et défendre nos intérêts spatiaux. Sur la gouvernance, le commandement de l’Espace a été créé en 2019. C’est à la fois, un commandement inter-armées et un commandement de l’armée de l’Air, sous une double tutelle, fonctionnelle de la part du chef d’état-major des armées pour ce qui concerne la politique spatiale militaire et les opérations, et organique de la part du chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace. C’est un commandement à la fois opérationnel et organique en charge de proposer la politique spatiale militaire. Cela concerne les capacités spatiales de défense, les capacités de maîtrise de l’espace, les stratégies d’acquisition, les coopérations et la maîtrise de l’environnement spatial. Nous sommes associés à de nombreux acteurs, au premier rang desquels le CNES, mais aussi la Direction générale de l’armement (DGA), l’état-major des armées, le ministère des Affaires étrangères et le Secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN).

Le commandement de l’Espace employait 219 personnes lors de sa création et environ 300 aujourd’hui, réparties sur quatre sites à Paris, Creil, Toulouse et Lyon. L’effectif devrait atteindre 520 personnes environ à l’horizon 2025 incluant le centre d’excellence de l’OTAN. Cette montée en puissance se concrétise chaque année par 40 à 50 nouveaux arrivants.

S’agissant des capacités, nous vivons une période assez inédite dans l’histoire des Armées puisqu’en l’espace de trois ou quatre ans, grâce à la loi de programmation militaire (LPM), nous avons renouvelé l’ensemble des capacités. Nous avons également lancé deux des trois satellites CSO – le dernier lancement étant prévu pour 2022 – et les trois satellites CERES offrant une véritable première capacité opérationnelle de renseignement électromagnétique depuis l’espace. Nous avons enfin lancé récemment le premier des deux satellites Syracuse 4, le second étant prévu pour mi-2022. Nous avons ainsi complètement renouvelé nos capacités d’appui aux opérations. Un troisième satellite Syracuse devrait arriver en 2028. Nous avons aussi lancé le programme à effet majeur Action et Résilience Spatiale (ARES) qui est la concrétisation de la nouvelle ambition spatiale en matière de doctrine et qui intègre les composantes de surveillance de l’espace et de défense active et passive ainsi que les outils de commandement et de contrôle de l’ensemble des capacités spatiales. Ce programme a été lancé en juillet 2021 et devrait permettre en 2025 de disposer d’une première capacité de commandement spatial afin d’établir une représentation de la situation spatiale d’intérêt défense par la fusion des données souveraines parmi lesquelles celles du patrouilleur dans l’espace (Yoda) et du successeur du radar de surveillance GRAVES. Nous avons établi une feuille de route globale de nos futures capacités spatiales avec l’idée d’une architecture plus connectée et distribuée, validée par la ministre des armées en juillet 2021. Nous préparons déjà le lancement des opérations IRIS et CELESTE qui vont succéder aux satellites Composante Spatiale Optique (CSO) et Capacité de Renseignement Électromagnétique Spatiale (CERES). Dans le domaine spatial, il y a cette particularité que les systèmes doivent être renouvelés environ tous les 10 ans.

S’agissant du développement de l’expertise spatiale, on parle plus de systèmes que d’hommes. Mais il est nécessaire d’attirer des talents, de les former, de les garder et de leur offrir des parcours leur permettant d’évoluer, ce qui est aussi un axe de la stratégie spatiale. Le développement de l’expertise repose sur la conduite d’opérations réelles. Nous fournissons un appui aux opérations militaires et autres exercices, comme la mission

«Heifara» dans le Pacifique. Nous fournissons environ 500 images satellitaires par jour, soit plus de 160 000 images par an, pour le renseignement, la géographie, le ciblage ou l’appui aux opérations.

En 2021, nous avons repéré 27 entrées atmosphériques à risque, dont 12 ont fait l’objet d’un suivi prioritaire et nous avons traité l’ensemble des activités suspectes et l’évolution des menaces en lien avec nos partenaires étrangers, notamment les Américains.

La formation initiale « espace » nous a permis de former plus de 200 personnes en deux ans afin de créer un socle commun de connaissances. Nous lançons également le recrutement de jeunes officiers sous contrat, diplômés d’écoles d’ingénieurs ou spécialisés dans le spatial. Enfin, nous avons la formation à l’emploi de nos opérateurs spatiaux par le CNES.

La préparation opérationnelle repose sur quatre principaux exercices, dont trois multinationaux : Schriever Wargame, exercice politico-militaire américain de niveau stratégique, Global Sentinel, dédié à la surveillance de l’espace, Sprint Advanced Concept Training (SACT), dont l’objectif est le développement technologique en matière de surveillance de l’espace et AsterX, notre exercice national tactique et opératif. AsterX a été le premier programme de ce genre en France et en Europe, et a reçu un écho mondial, y compris en Chine et en Russie. Une deuxième édition aura lieu en 2022 et intéresse de nombreux pays étrangers.

L’exercice Hackathon consacré à l’espace s’est adressé à des étudiants ou jeunes diplômés avec comme objectif le rayonnement du spatial de défense et l’émergence d’idées originales. Ça a été un grand succès que nous comptons renouveler en 2022.

J’en termine avec les coopérations, troisième axe de notre feuille de route. Nous avons vocation à les développer. Historiquement capacitaires, ces coopérations sont maintenant davantage orientées vers les opérations, l’interopérabilité et la sécurité dans l’espace.

Ces coopérations peuvent se tenir dans un cadre multilatéral, au sein du Combined Space Operations, forum aux sept nations, les cinq nations anglo-saxonnes, la France et l’Allemagne, l’Union européenne et l’OTAN. Dans le cadre de cette dernière coopération, nous avons concouru pour accueillir le centre d’excellence de l’OTAN. La première conférence de ce centre a eu lieu à Paris il y a un mois et a été un véritable succès avec la participation de 25 pays ! Plus de dix pays ont d’ores et déjà annoncé leur participation ferme à ce centre d’excellence et six autres leur participation probable. Des coopérations bilatérales existent aussi, notamment avec les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie, qui sont des partenaires historiques, et de nouveaux partenaires stratégiques comme l’Inde, les Émirats ou le Japon.

Enfin, nous menons des travaux sous la direction du Quai d’Orsay en lien avec la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère, sur les normes de comportement responsables dans l’espace. Nous avons contribué à la résolution 75-36 de l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 2020, au rapport remis par la France au Secrétaire général des Nations-Unies en mai 2021 et au nouveau projet de résolution adopté en novembre 2021 pour la mise en place d’un groupe de travail relatif à ces normes de comportement.

C’est un travail collectif et j’observe la détermination des acteurs pour mettre en œuvre cette stratégie, notamment le CNES et l’OCDE.

M. Olivier Cigolotti. – Si la France s’est dotée de capacités spatiales autonomes, cela ne l’empêche pas de nouer des partenariats. Les tensions russo-américaines ont fragilisé la coopération spatiale jusqu’à présent épargnée, la Chine a renforcé son budget dans ce domaine, estimé à plus de 8 milliards de dollars et les rapprochements sino-russes se renforcent. Pensez-vous que cette rivalité, qui rappelle la Guerre froide, peut être source de tensions sécuritaires dans l’espace ? Pouvez-vous nous en dire plus sur Yoda, qui est un concept de défense active visant à protéger nos intérêts dans l’espace et à dissuader nos adversaires d’y porter atteinte ?

M. Gilbert Bouchet. – Je voudrais revenir sur l’essai anti satellite russe du 15 novembre dernier, qui traduit le contexte d’hyper-tensions internationales dans lequel nous vivons. Après avoir gagné les océans, cette hyper-tension s’attaque à l’espace extra-atmosphérique. Cela nous interroge sur les moyens de détection, les dommages portés aux stations spatiales habitées et sur le volet relatif à l’exploitation commerciale. Nous avons également pu observer des mouvements de réorganisation et de rapprochement entre les commandements de l’espace et le secteur privé, notamment aux États-Unis.

Quel est votre axe prioritaire d’action pour que la France puisse rester dans la course ? Avez-vous des partenariats avec le secteur privé ? Comment favoriser le recrutement de profils de haut niveau alors que la France semble décrocher dans les classements

scientifiques internationaux ? Envisagez-vous des campagnes de communication auprès des jeunes pour les sensibiliser à ces enjeux et susciter l’envie de travailler dans ce domaine ?

M. Jean-Marc Todeschini. – Je note votre optimisme sur la montée en puissance de la France dans ce domaine, à l’horizon 2025. Depuis l’affaire des sous-marins australiens, les médias mettent en exergue les problématiques posées par le développement de la puissance militaire de la Chine dans la zone Indopacifique. Ils parlent moins de la stratégie chinoise dans le domaine spatial dont le volet militaire est important et qui peut lui permettre d’accroître ses capacités stratégiques en cas de conflit. Comment analyser vous le déploiement chinois ? A-t-on les moyens de répliquer ? La France est-elle capable de se doter d’une capacité de dissuasion dans l’espace, de la même manière qu’elle a une capacité de dissuasion nucléaire ?

M. Jacques Le Nay. – Quel lien le commandement de l’espace entretient-il avec l’industrie spatiale française et avec l’Agence de l’innovation de défense (AID) ? Le droit international de l’espace est-il menacé ? Les pays émergents jouent-ils un rôle spécifique dans l’apparition de nouveaux risques ? Comment la France peut-elle lutter contre ces risques ? Enfin, quelle sera la plus-value de l’implantation du centre d’excellence de l’OTAN dédié à l’espace à Toulouse ?

M. Philippe Folliot. – L’Occitanie et Toulouse entretiennent une longue histoire avec le secteur spatial. C’est aussi pour cela qu’il a été décidé que le siège du Commandement de l’Espace serait implanté à Toulouse. Quelle sera la montée en puissance de ses moyens et quelle sera l’articulation avec le centre d’excellence de l’OTAN ? Concernant la difficulté du recrutement de spécialistes, quel est pourrait être l’apport de la réserve ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. – La guerre de l’espace se prépare dans l’ombre. C’est le nouveau domaine de confrontation des ambitions terrestres, comme cela a été le cas pendant la Guerre froide entre les États-Unis et l’URSS. L’imagerie spatiale devient la principale source de données pour le recueil de renseignement non intrusif. Pouvez-vous nous dire comment la France se positionne en termes d’accès et de maîtrise des nouvelles technologies, mais aussi de moyens pour faire face à certaines grandes puissances, notamment en matière d’écoute électromagnétique ?

Général Michel Friedling. – S’agissant de la rivalité entre la Chine et les États-Unis, tout le monde redoute un conflit et souhaite l’éviter. C’est le principal sujet de préoccupation pour les Américains et leur approche repose sur un rattrapage ou du moins une accélération technologique et sur le développement des alliances et des partenariats. Les Américains considèrent que dans l’espace plus qu’ailleurs, le fait d’avoir des alliés et d’agir en coalition constitue un atout stratégique majeur. Ils sont demandeurs de partenaires offrant des capacités, tant sur le plan technique que politique. Sur le plan technique, les puissances spatiales capables de mettre en œuvre des moyens militaires sont peu nombreuses. Le volet déclaratif est très fort en matière d’alliance. Les Américains parlent de dissuasion dans l’espace et le Secrétaire à la Défense vient de parler du concept d’integrated deterrence, la défense intégrée touchant tous les milieux, dont l’espace. Personne n’a intérêt à un conflit dans l’espace. Selon le syndrome de Kessler, représenté au cinéma par le film « Gravity », un débris heurte un vaisseau spatial américain créant d’autres débris, cette réaction en chaîne générant une pollution rendant impossible toute activité spatiale. C’est la raison pour laquelle la France a fermement condamné le tir d’essai russe car ce type d’action crée des débris d’une durée de vie longue qui constituent un danger pour la soutenabilité des activités dans l’espace.