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Les débuts incertains de la guerre de Succession d’Espagne

Première partie : Le rôle de la bataille dans le déroulement des opérations militaires

U NIQUA RATIO REGNI ?

1.2. Les débuts incertains de la guerre de Succession d’Espagne

1.2.1. Les forces en présence

À ce noyau de l‟Alliance vint s‟adjoindre une constellation de petits États ou de puissances moyennes du nord de l‟Europe. Certains voyaient surtout dans cette guerre l‟occasion de faire subsister, à moindre frais, une armée que la paix aurait démobilisée. Les armées nationales étaient souvent louées comme des troupes mercenaires ; les justifications politiques ou religieuses jouant un rôle assez faible. Le cas du Danemark est exemplaire : des négociations avaient été menées en 1701 entre des envoyés français et des ministres danois. Le roi Frédéric IV avait souligné « qu‟il désirait [l‟alliance avec la France] plus que jamais, mais que tout dépendait des conditions [et] que, pour le bien de son État, il s‟attacherait au parti qui lui ferait les conditions les plus favorables »63. Dans ces conditions, l‟or anglais et hollandais, plus abondant que celui de France, avait emporté l‟adhésion.

Certains recherchaient plutôt des avantages politiques que seul l‟Empereur pouvait leur accorder. L‟Électeur de Brandebourg rejoignit le camp des Alliés en échange d‟un traité, où Léopold lui accordait le titre de roi en Prusse, et lui promettait de soutenir ses prétentions sur

61 A. Legrelle, La diplomatie…, op. cit., t.

V, p. 10.

62

Ibid., t. IV, p. 328-329.

63 Ibid., t.

le trône d‟Angleterre à la mort de la reine Anne. Des subsides étaient également prévus. En échange, le nouveau roi fournit des troupes à l‟Alliance64.

Le ralliement de l‟Électeur Georges-Louis de Hanovre cumulait la plupart des motifs imaginables : la reconnaissance envers Léopold tout d‟abord, qui avait créé en 1692 pour son père Ernest-Auguste, duc de Brunswick-Lunebourg, un neuvième électorat, celui de Hanovre. Les intérêts territoriaux, puisqu‟il s‟empara en 1702 de terres de la maison de Wolfenbüttel, favorable à la France. Enfin, et surtout, l‟intérêt dynastique : il savait que Guillaume III l‟avait choisi pour succéder à la reine Anne à la tête du royaume d‟Angleterre, en tant qu‟arrière- petit-fils de Jacques Ier.

Les autres princes allemands étaient motivés autant par l‟appât du gain que par la crainte de voir s‟élever la France. Ils vendaient en général leurs services à la Hollande : on peut ici citer le landgrave de Hesse-Cassel, le prince de Darmstadt, l‟évêque de Würzburg65… L‟Électeur palatin quant à lui n‟avait pas pardonné à Louis XIV le ravage de ses États.

Les quatre Cercles méridionaux de l‟Empire, inquiets de voir les Français envahir leurs territoires, furent plus circonspects. Ce n‟est qu‟en mars 1702 qu‟ils se proclamèrent membres du foedus Caesaro-anglo-belgicum66. La conséquence du ralliement de la quasi-totalité des principaux princes allemands à la coalition, à l‟exception des deux maisons de Wolfenbüttel et de Wittelsbach, fut la déclaration de guerre de la Diète d‟Empire à la France, le 28 septembre 170267.

Le cours de la guerre vit s‟adjoindre à cette coalition deux puissances moyennes méridionales, dont la position stratégique, plus que l‟ampleur des effectifs, offrait des perspectives nouvelles à la Grande Alliance. La Savoie, longtemps hésitante, rejoignit le camp impérial en 170368. Le Portugal, traditionnel allié de la France dans la mesure où ce pays le protégeait contre son puissant voisin, bascula la même année dans l‟Alliance, en échange de gains territoriaux et d‟avantages dans les Indes occidentales. La défection du Portugal entraîna en outre un « changement de signification » de la guerre69. La reconnaissance de l‟archiduc Charles comme roi d‟Espagne était en effet le prétexte de l‟entrée du royaume de Pierre II dans la guerre aux côtés des Alliés. C‟est pourquoi, le 12 septembre 1703, l‟Empereur

64 Ibid., t.

IV, p. 321.

65

Ibid. t. IV p. 403.

66 B. Auerbach, op. cit., p. 256.

67 A. Legrelle, La diplomatie…, op. cit., t.

V, p. 59.

68

Voir infra, section 1.3.2.2.

Léopold renonça pour lui et son fils aîné à tout l‟héritage. Une telle décision, qui garantissait la séparation des territoires espagnols et autrichiens, modifiait en retour les exigences des puissances maritimes. Elles substituèrent donc à leurs réclamations initiales – le partage de l‟empire espagnol – la reconnaissance de Charles et la revendication de la cession intégrale de l‟héritage à l‟archiduc. À cette date, une exigence aussi ambitieuse n‟était probablement de la part des puissances maritimes qu‟une façon de manifester leur détermination. Ce n‟est que quelques années plus tard, au vu des succès rencontrés, que les Anglais et les Hollandais purent réellement espérer ravir à Philippe V l‟ensemble de son royaume.

Les Deux-Couronnes conservaient ainsi bien peu de soutien en Europe. Les deux seuls alliés dont la puissance ou la situation géographique pouvaient compter étaient deux frères : les Électeurs de Cologne et de Bavière. Dès mars 1701, un traité « d‟étroite alliance » conclu entre Louis XIV et l‟aîné des Wittelsbach prévoyait que la Bavière fournirait un corps de dix mille hommes à opposer aux ennemis de la France, contre l‟envoi de 400 000 livres tournois annuelles70. Le ralliement de Max-Emmanuel entraîna celui de son cadet, l‟Électeur de Cologne Joseph-Clément. La solidarité familiale n‟était pas la seule en cause : l‟alliance française était la garantie d‟une source de subsides, que les « États » (die « Stände ») de son électorat lui refusaient continuellement71. Le traité signé à Bruxelles avec le parti des Deux- Couronnes le 13 février 1702 lui garantissait ainsi 75 000 livres par an72, ainsi que le revenu des contributions qui pourraient être levées sur les pays limitrophes de ses territoires, en échange de la levée extraordinaire de troupes destinée à participer à l‟effort de guerre contre les Alliés73. Au-delà d‟une simple source de revenus, c‟est le modèle français qui inspirait Joseph-Clément : la gloire militaire et l‟aide extérieure étaient censées lui permettre d‟imposer à ses sujets l‟absolutisme louis-quatorzien qui le fascinait tant, et de faire taire définitivement les revendications des « États »74.

La diplomatie française avait également tenté, sans succès, d‟établir une force de diversion, hostile à l‟Empereur, au nord de l‟Allemagne. Elle réussit à s‟attirer l‟assistance

70

HerbertLüthy, La banque protestante en France, de la Révocation de l’édit de Nantes à la Révolution, Paris, SEVPEN, 1959, t. I, p. 263. La somme monta bientôt à 600 000 livres annuelles.

71 Max Braubach, Die Politik des Kurfürsten Josef Clemens von Köln: bei Ausbruch des spanischen

Erbfolgekrieges und die Vertreibung der Franzosen vom Niederrhein (1701-1703), Bonn, Leipzig, Schröder,

1925, p. 17.

72

H. Lüthy, op. cit., t. I, p. 263.

73 Les articles secrets du traité sont édités dans M. Braubach, Die Politik des Kurfürsten…, op. cit.,

p. 218-220. Les articles officiels du traité stipulaient seulement que l‟archevêque devait prôner la neutralité de l‟Empire au Reichstag, et interdire le passage sur son territoire aux troupes hostiles à la France. Ibid., p. 32.

des princes de Saxe-Gotha et Wolfenbüttel, irrités par la création d‟un neuvième électorat. Mais ces petits États exigeaient avant d‟agir que la Saxe, dont l‟Électeur était roi de Pologne, se déclarât en faveur de la France, afin d‟attaquer le Brandebourg. Louis XIV ne ménagea pas ses deniers en 1700 et 1701. Mais face à l‟ambiguïté de l‟Électeur de Saxe, toujours enclin à accepter des avances, et rarement à s‟engager, il finit par se lasser75

. Pendant que les négociations continuaient, Auguste de Saxe, soucieux de mener une politique prudente, signa le 11 mars 1702 une alliance offensive et défensive contre la France. Moyennant 200 000 écus par an, il fournissait 8 000 hommes à Léopold, qui se chargeait quant à lui de convaincre la Hollande d‟en employer 12 000 supplémentaires76

. Comment expliquer ce revirement ? L‟attitude du Saxon était en fait empreinte de prudence. Dans le camp de l‟Empereur, l‟Électeur de Saxe avait peu à craindre d‟une défaite des Alliés. En revanche, l‟Autriche victorieuse aurait pu l‟accabler s‟il s‟était trouvé dans le camp de la France. A. Legrelle parle de « coup de maître » de la cour de Vienne77.

Malgré le grand nombre d‟États qui rejoignirent la Grande Alliance de La Haye, on constate un certain équilibre des forces. La France était en effet le pays le plus peuplé d‟Europe, malgré les dégâts de la crise des années 1694-1695. La croissance démographique ne fut pas entravée par la guerre : la France comptait environ 21 500 000 habitants en 1700, et 22 600 000 en 172078.

Selon les calculs d‟André Corvisier, l‟armée française aurait totalisé en moyenne, sur l‟ensemble de la guerre, 380 000 hommes pour l‟infanterie et la milice, et 600 000 en ajoutant les autres armes, les petites milices, la marine et les gardes-côtes79. John Lynn est parti de ces travaux, et les a comparés aux documents administratifs que représentent les « routes » et les « étapes », pour tenter d‟approcher les effectifs réels de l‟armée française au XVIIe siècle. L‟historien américain a effectué, pour différentes villes, et pour toutes les armes, une moyenne du nombre réel de soldats dans un type d‟unité donné, compagnie ou régiment, en marche vers le front. Comparant ce chiffre au nombre théorique de soldats que doit comprendre ce type d‟unité, il a obtenu un pourcentage indiquant le rapport entre l‟effectif théorique et l‟effectif réel. Appliquant ce pourcentage à l‟effectif théorique de l‟armée

75

A. Legrelle, La diplomatie…, op. cit., t. IV, p. 418-421.

76 Ibid., t.

V, p. 55.

77 Ibid. 78

Jean Meyer, « Louis XIV et les puissances maritimes », dans XVIIe siècle, n°123, avril-juin 1979, p. 170.

79 A. Corvisier, dir., Histoire militaire de la France…, op. cit., t.

française de la guerre de Succession d‟Espagne (380 000 hommes), il obtient un total de 255 000 hommes servant en même temps sous les drapeaux français80.

Pour faire face aux Deux-Couronnes, les Alliés disposaient de près de 450 000 soldats réguliers, soit, en rajoutant les troupes de marine et les milices locales, le même chiffre théorique de 600 000 hommes81. Une bonne part de l‟effort était assurée par l‟Autriche, avec 129 000 hommes82, sans compter les contingents allemands au sein de l‟armée des Cercles. Cette forte mobilisation avait été rendue possible par les progrès réalisés par les États de la maison d‟Autriche depuis le milieu du XVIIe siècle. Les plaies démographiques de la guerre de Trente Ans en Bohême avaient été comblées en une génération. Les progrès réalisés à l‟Est lui avaient permis de lever plus de troupes. La date de 1683 représenta dans le domaine économique, comme dans de nombreux autres, un tournant : « La levée du siège de Vienne marque vraiment le point de départ d‟un essor économique indéniable, caractérisé par la reconstruction définitive des pays héréditaires, la reconquête de la Hongrie, l‟industrialisation des pays tchèques »83.

Cette reconstruction était d‟autant plus importante qu‟elle assurait à elle seule la croissance des ressources financières de la monarchie. Incapable de faire suffisamment contribuer la noblesse et les riches propriétaires fonciers, le régime autrichien parvint à tripler ses ressources en trente ans, de 1670 à 1700, grâce à leur collaboration et leur bonne volonté croissante, et grâce à l‟amélioration de la situation économique84

. Les finances de Léopold, malgré leurs faiblesses, lui permirent ainsi de ne pas licencier ses troupes après la paix de Karlowitz contre les Turcs en 1699, en prévision de la succession espagnole85. Ses troupes étaient par ailleurs aguerries par les luttes incessantes contre la Sublime Porte, et bien encadrées par des officiers italiens, lorrains, wallons ou allemands.

80 J. Lynn, Giant…, op. cit., p. 55. L‟auteur indique lui-même que ce chiffre est probablement trop bas,

puisque les régiments étrangers employés par la France, et pour lesquels il ne dispose pas de données chiffrées, sont probablement plus complets. Quoi qu‟il en soit, ces chiffres sont largement inférieurs aux 340 000 hommes alignés par la France pendant la guerre de la ligue d‟Augsbourg.

81 A. Corvisier, dir., Histoire militaire de la France…, op. cit., t.

I,p. 531.

82 Jean Bérenger, Finances et absolutisme autrichien dans la seconde moitié du

XVIIe siècle, Paris,

publications de la Sorbonne, 1975, p. 276.

83 Ibid., p. 205. 84

Ibid., p. 500. Sur la puissance autrichienne au XVIIIe siècle, voir également Karl Otmar vonAretin, Das

Alte Reich: 1648-1806, Stuttgart, Klett-Cotta, 1997-2000, 5 vol. (le volume 2 : Kaisertradition und

österreichische Grossmachtpolitik, 1684 - 1745) ; et MichaelHochedlinger, Austria’s wars of emergence, 1683-

1795, Londres, Longman, 2003, XVIII-466 p.

Du côté des puissances maritimes, l‟importance des effectifs mobilisés s‟explique par leur puissance économique. Un crédit à faible taux était garanti par la confiance que l‟on accordait à la banque de Hollande, et à celle d‟Angleterre, dont la fondation, en 1694, fut liée à l‟arrivée de Guillaume d‟Orange sur le trône. Les Anglais, comme les Hollandais, recrutaient des troupes à la fois sur leur propre territoire et auprès d‟Alliés. Intéressons-nous d‟abord aux troupes régnicoles de l‟armée britannique. On constate à partir de la déclaration de guerre une forte augmentation du nombre de sujets engagés – cette augmentation était d‟autant plus nécessaire que le Parlement n‟acceptait pas le maintien d‟une armée importante en temps de paix : il y avait 30 000 « subjects troops » en 1702, 50 000 en 1706, 75 000 en 1711 – à partir de cette date, on observa une baisse86.

Cet effectif était complété par le financement de troupes étrangères. Une telle pratique n‟était pas nouvelle, puisqu‟à la fin de la guerre de la ligue d‟Augsbourg, les Britanniques entretenaient en Flandre quelques 68 ou 69 000 officiers et soldats, dont 48 000 régnicoles et 20 500 étrangers, soit plus d‟un quart de troupes non-anglaises. Toutefois, durant la guerre de Succession d‟Espagne, la part des troupes provenant d‟États alliés finit par représenter la plus grande partie des forces à la solde d‟Angleterre. Ainsi, l‟année 1710 vit servir dans les Pays- Bas espagnols 69 000 hommes à la solde d‟Angleterre, dont 42 500 étrangers87. Les Britanniques furent également été amenés à diversifier les fronts où ils opérèrent (ils intervenaient désormais en Espagne) et les troupes qu‟ils subventionnèrent (ils soutenaient en effet la Savoie ou l‟Autriche). Ainsi, l‟effort de guerre se serait situé à son maximum en 1710- 11, avec l‟entretien de plus de 170 000 hommes, dont 58 000 anglais et 114 000 étrangers88

. Le financement des troupes étrangères représentait le quart du budget militaire anglais89.

86

D. Chandler, The Oxford history…, op. cit., p. 71-74. Chandler n‟indique là encore que des effectifs théoriques.

87 Dwyryd Wyn Jones, War and economy in the age of William III and Marlborough, Oxford, B.

Blackwell, 1988, p. 9.

88 Ibid., p. 11. Chandler a tendance à donner des chiffres plus importants pour le nombre de Britanniques

engagés : il indique en effet qu‟en 1709, l‟Angleterre entretient 150 000 hommes, dont 69 000 Britanniques : D. Chandler, The Oxford history… op. cit., p. 74. Le chiffres donnés par J. Brewer pour 1701-1711 s‟appuient sur les déclarations de Robert Harley, alors chancelier de l‟Échiquier : il affirme que les Anglais entretiennent 139 000 hommes dans leurs régiments nationaux, sans compter 105 000 étrangers, ainsi que 48 000 marins. Ces estimations sont théoriques, mais elles semblent tout de même trop élevées : JohnBrewer, The sinews of power.

War, money and the English State, 1688-1783, 2e éd. Londres, Routledge, 1994, p. 42.

89 Ibid., p. 32. Un tel effort est assez remarquable pour qu‟il ait été souligné par Voltaire : « Il arrive dans

toutes les alliances que l‟on fournit à la longue beaucoup moins qu‟on avait promis. L‟Angleterre, au contraire, donna cinquante mille hommes dans la seconde année, au lieu de quarante ; et vers la fin de la guerre elle entretint, tant de ses troupes que de celles des Alliés, sur les frontières de France, en Espagne, en Italie, en Irlande, en Amérique, et sur ses flottes, près de deux cent mille soldats et matelots combattants ; dépense presque incroyable ». Voltaire, Le siècle…, op. cit., t. XX, p. 2.

L‟importance de cette charge ne doit pas occulter l‟ampleur du fardeau qui reposait sur les Hollandais. Dès 1702, ces derniers entretenaient déjà 110 000 hommes90. En outre, la plupart du ravitaillement des forces alliées opérant aux Pays-Bas espagnols leur revenait, les Anglais n‟étant pas à même d‟acheminer vivres et denrées par la mer91

.

Dans le domaine maritime, la balance ne pencha du côté de l‟Alliance que progressivement92. En 1701, la Navy ne disposait que de 150 vaisseaux de guerre, contre 206 pour la Royale93. Mais à partir de 1705 le nombre de navires de ligne français déclina, tandis que les puissances maritimes soutenaient l‟effort. En 1710, les Anglais pouvaient compter sur 313 bâtiments, alors que la France n‟en avait que 209. La différence était encore plus marquée en 1714, avec un rapport de 247 contre 113.

Du point de vue stratégique, toutefois, c‟était le parti des Deux-Couronnes qui semblait bénéficier d‟avantages incontestables. En premier lieu, la position géographique de la France, sa situation au centre du Continent, lui permettait de jouxter la plupart des possessions espagnoles à défendre, à l‟exception de Naples et des territoires extra européens. Ensuite, le parti des Deux-Couronnes contrôlait, dès le début de la guerre, l‟ensemble des territoires dont la possession était l‟enjeu de cette guerre. C‟était à leurs adversaires de conquérir villes et places fortes, alors que les Franco-Espagnols pouvaient compter rester sur la défensive en attendant que le temps et la lassitude jouent en leur faveur. Mais c‟est peut-être cette situation, favorable en apparence, qui fut fatale aux Bourbons, en les incitant trop souvent à la prudence et à la temporisation.

1.2.2. Les opérations en Italie

Le cas de l‟Italie est à cet égard caractéristique. Les Deux-Couronnes étaient maîtres de la Lombardie et de Naples ; les autres États étaient des alliés plus ou moins sincères, ou étaient neutres. Avant le début de la guerre, ces petits États avaient tenté d‟empêcher la guerre

90

H. L. Zwitzer, « The Dutch army during the Ancient Regime », Revue internationale d’Histoire

militaire, n°58, La Haye, 1984, p. 28.

91 D. W. Jones, War and economy…, op. cit., p. 35.

92 Sur les questions maritimes durant la guerre de Succession d‟Espagne, voir John HelyOwen, War at

sea under Queen Anne, Cambridge, Cambridge University Press, 1938, 316 p. ; GeoffreySymcox, The crisis of

French sea power, 1688-1697 : from the « guerre d’escadre » to the « guerre de course », La Haye, Nijhoff,

1974, 267 p. ; Martine Acerra, André Zysberg, L'essor des marines de guerres européennes : vers 1680-1790, Paris, CDU-SEDES, 1997, 298 p. ; et Nicholas A. M. Rodger, A naval history of Britain. 1649-1815. The

command of the ocean, Londres, A. Lane, National maritime museum, 2004, LXV-907 p.

de s‟étendre dans la Péninsule. Sous la houlette du Pape, une confédération avait été esquissée, dont l‟objectif était de demander la neutralité des États dépendant de l‟Espagne en Italie. Cette confédération regroupait les républiques de Gênes et de Venise, les duchés de Savoie, Mantoue, Toscane, Parme, et Modène94. Cette entreprise échoua dans la mesure où tous ces petits États étaient incapables de s‟opposer par la force aux passages de troupes ennemies. Qui plus est, les préférences de chaque État pour l‟un ou l‟autre parti, les intérêts à retirer d‟une guerre victorieuse, eurent bientôt fait de faire échouer l‟entreprise. C‟est pourquoi, lorsque la guerre entre Bourbons et Habsbourg éclata, la Savoie et Mantoue firent alliance avec la France. Gênes proclama sa neutralité, mais en acceptant le passage des troupes françaises. Venise annonça de même une neutralité destinée à changer au gré des circonstances. Les États de Toscane, Parme, Guastalla et Modène, qui se méfiaient d‟une domination française sur la péninsule, préféraient secrètement la maison d‟Autriche, mais ils gardèrent leur neutralité en attendant de pouvoir accueillir des troupes impériales95.

L‟importance stratégique de la Lombardie explique pourquoi l‟Empereur décida d‟y commencer la guerre. La région était en effet un véritable carrefour : vers le sud, elle ouvrait le passage vers le royaume de Naples ; vers l‟ouest, elle donnait accès à la Provence, dont les ports jouaient un rôle crucial en Méditerranée ; vers le nord et l‟est, elle offrait, par le Tyrol, un débouché vers la Bavière ou vers l‟Autriche. Les territoires espagnols en Italie portaient également une charge symbolique extrêmement forte : ils étaient la trace et la manifestation du fait que la couronne du Roi Catholique n‟avait pas seulement vocation à s‟étendre sur la péninsule ibérique, mais sur l‟ensemble de l‟Europe. La perte de la Lombardie ou du royaume