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Chapitre 4 : Le modèle multi-agents

4.3 La météorologie

4.3.2 Les crises agricoles

Ces estimations météorologiques ont été injectées dans le modèle car la météorologie a une importance primordiale dans l'agriculture. Son impact est particulièrement fort quand surviennent des saisons exceptionnellement chaudes ou froides, et sèches ou humides, qui peuvent causer une réduction de la fertilité du sol, en provoquant de mauvaises récoltes qui déclenchent des disettes et des famines.

Dans OBRESOC, différentes typologies de crise ont été modélisées en identifiant des situations particulières dans lesquelles les crises météorologiques peuvent se vérifier. Ces événements peuvent avoir des intensités et des conséquences différentes ; pour cette raison, dans le modèle a été faite une différence entre disettes et famines. L'hypothèse faite pour les crises météorologique est que les conditions à la base des crises qui ont frappé une région

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dans l'histoire récente peuvent s'être produites aussi dans le passé, en affectant les premiers agriculteurs.

Plusieurs types de crise ont été injectés dans le modèle OBRESOC, sur la base des témoignages historiques régionales qui décrivent les conditions climatiques dans lesquelles la crise s'est produite, ainsi que ses conséquences sur la population (Le Roy Ladurie 2004, Le Roy Ladurie et al. 2003). Néanmoins, les crises présentes en Europe Centrale ne sont pas du même type que celles qui intéressent les Balkans Méridionaux. Il s'agit de régions climatiques différentes, sujettes à événements météorologiques de nature différente. Pour cette raison, de nouvelles typologies de crise ont été identifiées à partir des sources qui renseignent sur l'histoire climatique des Balkans. Plusieurs sources documentaires sont présentes pour cette région ; les crises décrites ici sont collectées depuis le travail de Xoplaki et al. (2001), qui narre plusieurs événements météorologiques qui ont touché la région du XVII au XIX siècle. Ces témoignages ne sont pas toujours clairs, et il faut les interpréter pour comprendre comment injecter dans le modèle les éléments qu'ils suggèrent, en évaluant l'intensité et les conséquences de la crise. Par exemple, si l'auteur parle de "very small harvest [... ] caused a

rise in foodstuff prices" (Vujevic 1931) on peut faire l'hypothèse qu'il s'agit seulement d'une

disette ; par contre, s'il dit que "Les gens erraient sur les routes et y mouraient de faim" (Vujevic 1931) il doit s'agir d'une vraie famine.

Suite à l'interprétation des sources documentaires, six différentes typologies de crise sont injectées dans le modèle :

-Crise 1. Hiver froid et humide : disette. C'est l'événement qui arrive le plus fréquemment dans la région. Il y a plusieurs cas reportés d'hivers très froids et neigeux, qui ont eu des conséquences sur l'agriculture. L'hiver 1628/29 est signalé comme très dur, pluvieux et neigeux à la fois en Grèce (Egée et Crète) et en Serbie. L'hiver 1686/87 est également mentionné, comme ayant été sévère, froid et neigeux, ainsi que l'hiver 1699/1700. L'hiver 1708/09 est connu comme l'un des plus durs des 500 dernières années, avec des conséquences catastrophiques dans l'ex Yougoslavie. Néanmoins, aucune témoignage signale que cet hiver rigoureux a touché la Grèce. Froid et neigeux a été aussi l'hiver 1828/29. Même s'il n'est pas facile d'interpréter les conséquences de tous ces événements, car elles ne sont pas toujours identiques, l'hypothèse est qu'il s'agit de disettes et non de famines. Par exemple, suite à la crise de 1682/83 on observe une hausse des prix de la nourriture ; et, après la crise de 1686/87, la récolte a été seulement retardée ; ce ne sont pas des signaux d'une grande

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catastrophe. L'événement du 1708/09 semble avoir été le plus grave, mais il a intéressé seulement l'ex Yougoslavie, sans toucher les Balkans Méridionaux.

- Crise 2. Hiver froid et humide, printemps froid et humide : famine. Les événements qui produisent une crise de type 1 peuvent se prolonger jusqu'au printemps. C'est le cas du début 1683, quand les chutes de neige et le froid extrême sont signalés de janvier jusqu'à avril ; la conséquence est la mort des animaux et la destruction des récoltes. De même, après l'hiver 1807/08, le froid et les chutes de neige durent jusqu'au printemps, en provoquant la mort de personnes et d'animaux. Dans ces cas là, les témoignages suggèrent qu'il s'agit de vraies famines et non seulement de disettes.

- Crise 3. Eté froid et humide, automne froid et humide : disette. Un seul cas a été documenté, pendant l'année 1676. Une partie des grains seulement arrivent à être mûrs, à cause de l'été froide et pluvieux ; ensuite, des neiges en septembre détruisent les récoltes. Les conséquences citées suggèrent une disette plutôt qu'une famine.

-Crise 4. Sécheresse pendant 2 ou 3 saisons : disette. Les événements de sécheresse sont très communs dans la région. Plusieurs cas sont narrés, comme la sécheresse de novembre 1680 à mars 1681 , ou pendant tout l'automne et l'hiver 1695/96, ou encore de mai à octobre 1802. Il est donc difficile de trouver un patron de crises de sécheresse : elle peuvent se vérifier pendant toute l'année (voir aussi la crise de type 5). Il semble suffisant d'avoir au moins deux saisons de sécheresse consécutives pour déclencher une crise ; elle est classifiable comme disette, les conséquences étant décrites comme simplement l'augmentation des prix ou la pénurie de nourriture, mais sans témoignages de catastrophe.

-Crise 5. Sécheresse pendant l'année entière : famine. Dans les Balkans il est possible d'avoir une année entière, et même plus, caractérisée par la sécheresse. Il y a un cas de sécheresse qui commence en novembre 1712 et se termine l'été 1714, presque deux ans après. Toute l'année 1696 est aussi considérée comme sèche. Dans ces cas là, ces événements sont considérés comme des famines, car les auteurs décrivent des récoltes complètement détruites et, en effet, de longues famines.

-Crise 6. Hiver humide, printemps humide : disette. Selon un témoignage, pendant l'hiver 1804/05 et le printemps 1805 la pluie excessive a causé la mort des vaches et a provoqué une récolte faible en Macédoine Occidentale ; cet événement est classifié comme disette.

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Pour établir dans quelles conditions une saison est exceptionnelle, et donc potentiellement déclencheuse d'événements catastrophiques, des seuils de crises sont introduits, comme cela a été développé par OBRESOC. Le but de ces seuils est de déterminer dans quelles situations la météorologie peut avoir eu un impact sur l'agriculture. Pour OBRESOC-BEAN, le seuils sont estimés à partir des observations météorologiques faites à Larissa (Thessalie) de 1955 à 2004, publiées par le National Center for Environmental information (http://www.ncdc.noaa.gov/). Vu l'absence de données agro-climatiques de référence sur les seuils d'impact dans l'agriculture régionale, ils ont été établis là où les valeurs moyennes de températures et les valeurs cumulées des précipitations de trois mois sont systématiquement en dessous (froid, sec) ou au-dessus (chaud, humide) des trois valeurs mensuelles (Dubouloz 2014). Conséquemment, le seuil d'humidité correspond au minimum de ces précipitations maximum cumulées (chaque mois de la saison au-delà de la moyenne mensuelle) ; le seuil de sécheresse au maximum de ces précipitations minimum cumulées (chaque mois de la saison en deçà de la moyenne mensuelle) ; le seuil de chaleur au minimum de ces températures moyennes maximum (chaque mois de la saison au-delà de la moyenne mensuelle) ; et le seuil de grand froid au maximum de ces températures moyennes minimum (chaque mois de la saison en deçà de la moyenne mensuelle). Les seuils de crises calculées pour Larissa sont montrées en Table 4.2. Seuil Sécheresse Précipitations Seuil Humidité Précipitations Seuil Chaleur Température Seuil Froid Température Automne 64,00813 341,63068 17,14815 14,90741 Hiver 17,78004 222,25044 7,537037 4,48148 Printemps 33,78207 201,67640 14,70370 11,31481 Été 4,06401 127,50826 25,77778 23,48148 Table 4.2 : Seuils de crises à Larissa.

Ces valeurs de seuils sont relatives à la station météorologique de Larissa ; elles ne sont pas appropriées pour d' autres parties des Balkans, où les conditions météorologiques sont très différentes. Un seuil de crise qui soit applicable à tous les pixels de la région est donc obtenu, en calculant l'écart entre le seuil trouvé pour Larissa et la valeur saisonnière World Clim identifiée au même endroit (table 3.5) ; cet écart représente le seuil de crise au niveau régional. Pendant la simulation, une saison est considérée exceptionnelle et est susceptible de

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déclencher une crise si la valeur simulée pour un pixel se trouve en dessous ou au-dessus de ce seuil, appliqué à sa valeur moyenne.

Ecart Seuil Sec = Seuil Larissa - moyenne Larissa

Ecart Seuil Hum. = Seuil Larissa - moyenne Larissa

Ecart Seuil Chaud = Seuil Larissa - moyenne Larissa

Ecart Seuil Froid = Seuil Larissa - moyenne Larissa Automne -73,91414 203,70840 1,037778 -1,2021 Hiver -101,03575 103,43465 1,39222 -1,66333 Printemps -78,61177 89,28255 1,15704 -2,23185 Été -55,43984 68,004402 1,13185 -1,16444 Table 4.3 : Seuils de crise pour le Néolithique Ancien des Balkans.