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La création d’un statut intermédiaire

2. Les enjeux en termes de protection des personnes : la qualité de l’emploi

2.3. Le droit du travail face à la diversification des formes d’emploi : une revue de la doctrine

2.3.3. La création d’un statut intermédiaire

La création d’une catégorie intermédiaire entre travail salarié et travail indépendant constitue une troisième voie, laquelle n’est pas nécessairement incompatible avec l’hypothèse de l'émergence d’un droit de l’activité professionnelle qui vient d'être évoquée. Selon les promoteurs de cette thèse, ce droit de l’activité professionnelle pourrait être complété par un droit du travail, un droit du travail indépendant ou non salarié et éventuellement un droit du travail indépendant économiquement dépendant215.

Ce statut intermédiaire, qualifié par certains auteurs de « para-subordonné216 » ou encore de « travail indépendant économiquement subordonné »217, s'appliquerait aux situations dans lesquelles le travailleur n'exploite pas une entreprise, n’est pas subordonné, mais indépendant dans l’organisation de son activité dont il assume l’essentiel des risques, tout en étant soumis à une autorité ou à une contrainte économique. En d'autres termes, cette situation se définirait au moyen de deux critères : le premier concerne la situation du travailleur, qui ne doit pas être placé dans un état de subordination juridique, et le second est constitué par son état de dépendance économique.

Certains de nos voisins européens ont opté pour des dispositifs proches d’un « statut intermédiaire », à des degrés divers (Encadré 11). Ces expériences très diverses ont pour point commun d'avoir instauré une protection qui s'inspire assez largement des règles du salariat. L'exemple de l'Italie est très révélateur des effets contrastés que peut entrainer une telle mesure : le nombre de travailleurs parasubordonnés, en « contrat de collaboration coordonnée et continue » (« co-co-co », cf. Encadré 11) présents dans les entreprises a très fortement augmenté au début des années 2000, ce qui a conduit le gouvernement italien à mettre en place en 2003 une nouvelle catégorie (les contrats de collaboration de projet, « co-co-pro »). Alors que l’intention des autorités était principalement de reporter vers le salariat les « faux autonomes », le nombre de contrats de collaboration a au contraire connu une nouvelle augmentation entre 2003 et 2005.

Ainsi, les expériences étrangères montrent que la création d'un nouveau statut juridique n'entraine pas forcément les effets escomptés et elles soulignent la difficulté de traiter la problématique de la protection des travailleurs indépendants économiquement dépendants, la création d’un statut juridique ne faisant pas disparaître de fait les frottements et stratégies de contournement (notamment les « faux indépendants »).

215 Lyon-Caen G. (1990), Le droit du travail non salarié, Paris, Sirey ; Supiot A., op. cit. ; Peskine E. (2008),

« Entre subordination et indépendance : une troisième voie », RDT juin, p. 371.

216 Barthélémy, J. (2008), « Parasubordination », Les Cahiers du DRH, n°143, mai, p. 31-42 ; « Le professionnel parasubordonné », JCP Éd. G, Études et chroniques 1996-606.

217 Perulli A. (2008), op. cit.

186 En outre, d'autres difficultés apparaissent prévisibles. Selon Jacques Barthélémy, cette troisième voie présente en premier lieu l’inconvénient majeur « de remplacer une frontière floue par deux autres qui le seront tout autant » entre le salariat, le statut intermédiaire et celui de travailleur indépendant218. En second lieu, elle n'offre pas la certitude d'appréhender de manière exhaustive l'ensemble des situations concernées, dont la diversité n'a cessé de s'accroître.

218 Barthélémy J. (2008), « Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle », Les Cahiers du DRH, juin 2008, p. 35.

187 Encadré 11 : Le travail indépendant économiquement dépendant : éléments de

comparaison internationale

Présente dans la majorité des pays développés, la problématique du statut juridique, des droits et de la protection sociale du travail indépendant économiquement dépendant n’a pas fait l’objet des mêmes réponses d’un pays à l’autre. Du fait de l’hétérogénéité intrinsèque des formes d’emploi qu’il recouvre, il est délicat de dresser une comparaison. Les pays européens ont adopté des solutions variées, allant de la création d’un statut juridique spécifique au traitement au cas par cas des formes d’emploi intermédiaires entre salariat et travail indépendant.

L’Espagne est le pays qui est allé le plus loin vers la création d’un statut intermédiaire entre le travail salarié et le travail indépendant.

La loi portant sur les « travailleurs autonomes », adoptée en 2007, consacre également le statut de « travailleur autonome économiquement dépendant », en vertu de plusieurs critères : il doit « exercer une activité économique ou professionnelle à but lucratif de manière habituelle, personnelle, directe et prépondérante au profit d'une personne physique ou morale dénommée client, dont il dépend économiquement pour percevoir au moins 75 % des revenus de son activité professionnelle ». Les travailleurs économiquement dépendants bénéficient des droits reconnus à l’ensemble des travailleurs autonomes (protection contre les risques professionnels, application des règles d’hygiène et de sécurité, liberté syndicale etc.) ainsi que de droits spécifiques : droit aux congés, durée maximale du travail, motifs particuliers de rupture du contrat219.

L’Allemagne, l’Italie et l’Autriche ont institué des catégories hybrides afin d’accorder certains droits sociaux à des travailleurs formellement indépendants.

En Allemagne, le champ de la protection sociale est étendu bien au-delà des frontières du travail salarié en intégrant la catégorie des travailleurs indépendants économiquement dépendants. Les travailleurs indépendants économiquement dépendants sont appelés en Allemagne arbeitnehmerähnliche Person (« travailleur similaire au travailleur salarié »). Ce terme recouvre l’ensemble des personnes qui, dans le cadre d'un contrat commercial ou de prestation de services, accomplissent personnellement le travail, sans recourir à l'emploi de salariés et dont plus de 50 % du chiffre d'affaire est assuré par un seul client. Ces personnes sont considérées comme des indépendants ayant besoin de protections plus fortes que les autres. Elles se sont vu reconnaître des droits croissants : couverture par les conventions collectives, droit aux congés, protection contre le harcèlement sexuel. Depuis 1998, pour lutter contre le faux travail indépendant, la loi a introduit un système de présomption de salariat de manière à étendre à ces personnes la sécurité sociale des salariés220.

En Italie, le droit reconnaît l’existence, au sein des travailleurs indépendants, de travailleurs parasubordonnés. En 1995, la loi a encadré les contrats de collaboration coordonnée et continue (« co-co-co »), qui existaient depuis les

219 Antonmattéi P.-H., Sciberras J.-C. (2008), Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport au Ministre du travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité.

220 Perulli A., Travail économiquement dépendant/parasubordination : les aspects juridiques, sociales et économiques, 2003.

188 années 1970. Ils supposent la réalisation d'activités en faveur d'un client principal, dans le cadre d'une « relation unitaire et continue », sans subordination ou « utilisation de moyens organisés », en échange d'une « compensation financière périodique et prédéterminée221 ». A cette disposition s’est ajouté, en 2003, le « contrat de collaboration de projet » (« co-co-pro »), afin de lutter contre le développement des faux indépendants. Cette relation doit être liée à un projet spécifique déterminé par le

« pourvoyeur » de l’emploi. Cependant, il est parfois abusivement fait recours à ces contrats comme alternatives à ceux impliquant un coût social supérieur pour l’employeur. Ces catégories bénéficient d’allocations familiales, maternité et d’indemnités en cas d’hospitalisation, mais leur protection sociale est plus faible que celle des salariés. Depuis 2000, ils bénéficient d’une assurance en cas d’accident du travail et maladie professionnelle et ils doivent être payés sur une base mensuelle.

En Autriche existent plusieurs formes hybrides d’emploi reconnues par la législation, comme les « free service contract workers ». Les travailleurs engagés dans ce type de contrat se distinguent des salariés en ce que, même s'ils travaillent le plus souvent pour une seule personne et selon un calendrier déterminé, ils ne s'inscrivent pas dans un lien de subordination. Ces catégories hybrides relèvent du travail indépendant dans la mesure où certains droits des salariés ne leur sont pas appliqués, comme les dispositions sur le temps de travail, la santé et la sécurité au travail. En revanche, ils bénéficient de la même sécurité sociale.

Le Royaume-Uni et le Danemark n’ont pas de catégorie hybride.

Au Royaume-Uni, il n’existe pas de catégorie de travailleur parasubordonné. La catégorie de worker, qui existe depuis 1986, rassemble les salariés et les travailleurs individuels sous contrat pour la réalisation d’une prestation pour une autre partie, qu’il s’agisse ou non d’un contrat de travail. En pratique, le worker fournit un « service personnel » (« personal service »), signifiant qu’il ne travaille que pour un employeur unique. La protection des travailleurs est organisée en cercles concentriques. Les workers bénéficient de certains droits en commun avec les salariés comme une protection en matière de salaire minimum ou contre la discrimination, ainsi que la régulation de la durée de travail ou les congés payés.

Au Danemark, la loi ne définit pas formellement cette catégorie. Le travailleur indépendant économiquement dépendant est selon les cas salarié ou indépendant.

Comme dans les faits le système de protection sociale danois transcende les statuts légaux, les travailleurs économiquement dépendants bénéficient généralement des mêmes droits et de la même protection sociale que les salariés. Cependant, le travail indépendant économiquement dépendant est pénalisé en ce qu’il n’est pas formellement organisé et n’est donc que peu représenté dans les négociations collectives222.

221 Source : Eurofound, 2010 (basé sur les apports de l’Observatoire européen des relations industrielles).

222 Parlement européen (2013), Social protection rights of economically dependent self-employed workers, European Parliament Policy Department.

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