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Le travail des enfants est devenu un sujet de grande actualité au cours des années 90, particulièrement en raison des campagnes pour l'adoption de la récente Convention 182 du BIT visant à en bannir les formes les plus intolérables. Les médias et les organisations dé­ nonçant l'exploitation des enfants nous ont ainsi montré l'existence de formes d'esclavage, de commerce d'enfants, de violences et de souffrances inadmissibles des enfants qui travaillent. Nous avons appris que, au-delà de contextes économiques, sociaux et culturels différents, des enfants travaillent dans les pays du Sud aussi bien que dans les pays du Nord. On sait aussi que seule une minorité d'entre eux se trouve dans les usines ou dans le secteur organisé, mais que la majorité travaille dans un cadre familial, dans l'agriculture ou encore dans ce qui a été appelé le travail informel. Très nombreux encore sont ceux qui travaillent au foyer, dans des activités domestiques et dans les soins à d'autres membres de la famille. Bon nombre d'entre eux vont à l'école en dehors du travail.

Or, derrière le large consensus sur la condamnation des traite­ ments inhumains réservés aux enfants en situations d'extrême ex­ ploitation, le panorama des discours sur le travail des enfants et sur les mesures à entreprendre est très diversifié. Parfois véhéments, les débats se sont souvent polarisés autour de la question de savoir si l'on est "pour" ou "contre" le travail des enfants. Cependant, la di­ versité des discours et des positions ne se réduit pas à cette question, mais relève de logiques propres et de représentations fort diverses du problème.

Afin de montrer ces logiques, nous présentons ici deux posi­ tions au premier abord diamétralement opposées, qui nous permet­ tent de nous attarder sur les aspects les plus caractéristiques et ainsi les déconstruire. Bien des positions d'organisations gouverne­ mentales (OGs) et non-gouvernementales (ONGs) se situent en fait

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entre ces deux positions que nous pourrions voir comme les deux pôles extrêmes d'un continuum.

1. L'enfant victime de son travail: « Luttons contre le travail des enfants»

La représentation de l'enfant trava�ll�ur la plus médi�tisée � certainement été celle qui voit un enfant victime de s?n travail, fo�ce de travailler en raison de graves problèmes éconollliques, contra,�t par ses parents ou soumis à la violen�e d'autr�s �duites. Le portra�t est celui d'un enfant triste, fatigué voue blesse ; 11 a souvent c?nstt­ tué l'image de fond des campagnes pour l'élimination du travail des enfants. Les slogans dominants sont bien connus : « Lut�on� cont�e le travail des enfants », « Luchemos contra el trabaJo mfantll >�, « Combat child labour» (BIT) ; « Travail des enfants

_

: stop! » (�ar­ che Globale contre le travail des enfants et sy?�,c�ts asso�1es),

« Travail des enfants : danger! » (UNICEF). Assoc1ees a ceux-ci, des images d'enfants enchaînés à leurs métiers à tisser, d'un enfant en­ dormi sur la table de travail où il est censé coudre des ballons de football ou encore d'enfants fouillant dans les déchets.

Or, l'image d'un enfant victime de son trav�1_l fonctio_nne comme un véritable paradigme de recherche et d mter:ent10�. L'enfant travailleur est vu comme un « enfant à risque», qm d�vra1t être protégé, mais ne l'est vraisemblablement pas. Ce

_ parad1g�e découle d'une interprétation particulière de la Convention relative aux droits de l'enfant centrée sur l'article 32

« Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant d'être protég

_

é contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun �ravail comportant des risques ou susceptible de compromettr� son educa­ tion ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, n:iental, spirituel, moral ou social » (Convention relative aux Droits de !'Enfant, ONU, 1989).

Le travail pouvant nuire à l'enfant, le regard d'experts, �her­ cheurs et intervenants porte alors sur les effets né

,gatifs du _ travail sur _ son développement, compris comme une forme d expl01tatton. Sur la base de ces évaluations, le BIT et UNICEF concluent :

Des enfants condamnés à travailler. .. 155 « Child workers, especially girls, are at high risk, because child la­ bour jeopardises the child' s health, safety and education and physi­ cal, mental, spiritual, moral or social development » (Oslo Conference on Child Labour, 1997).

De cette perspective découle la position abolitionniste qui voudrait voir tout travail des enfants éliminé, ainsi que la position protectionniste qui envisage en revanche des mesures spécifiques pour garantir le développement de l'enfant qui travaille. Ici, les posi­ tions sont diversifiées. Certaines organisations considèrent que tout travail de l'enfant est néfaste, d'autres estiment que certaines formes sont tolérables et d'autres encore considèrent que certains travaux peuvent être bénéfiques. La distinction entre child labour et child work a été l'outil principal pour départager ce qui est nocif de ceux qui ne l'est pas.

Les lobby contre le travail des enfants (incluant des acteurs di­ vers tels ONG, syndicats et organisations internationales) ont placé au centre de leurs campagnes l'emploi dans le secteur de l'exportation des pays en voie de développement. On a vu ainsi appa­ raître des tentatives ou des menaces de boycott de produits fabriqués par les enfants (par exemple à l'égard de l'industrie textile au Ban­ gladesh, de celle du tapis en Inde, du charbon en Colombie ou plus récemment des ballons de football) et les labels pour les produits fabriqués sans le travail des enfants. Par l'exemple des produits d'exportation, il a été démontré que la globalisation va de pair avec des chaînes d'exploitation et, par-là, montré du doigt les responsabi­ lités qui reviennent aux pays industrialisés.

Il faut souligner qu'il y a des nuances et des éléments divers dans ces discours ; bien que la dé-construction visée dans ce texte rassemble plutôt les représentations communes. Parmi celles-ci, les conséquences négatives du travail sur l'enfant. Elles ont trait au dé­ veloppement physique (tâches lourdes, dangereuses, longues heures de travail, milieu de travail pollué, etc.), psychologiques (comme dans la citation ci-dessous) et sur le plan de l'éducation, entendue ici comme la fréquentation de l'école. Elles exigent dans bien des cas la réhabilitation des enfants, tâche d'un certain nombre de OGs et ONGs.

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Le travail des enfants constitue en qu��que sote u? déni de , . 11 meAme de l'enfance. A titre d illustration, 1 UNICEF l'expenence e e- . .

décrit les attitudes des enfants domestiques .

Les qualificatifs les plus souvent utilisés pour décrire les en�ants

« .

"t· 'des" et "apatiques". L'enfance de ces en ants domestiques sont 1m1 . . . 'bl d

, , l' [ ] Il faut permettre à ces travailleurs mv1s1 es e

leur a ete vo ee. .. · · (UNICEF

profiter de leur enfance et jouir enfin de leurs droits » 1997: 33).

D'autre part ces discours présentent un parallèle entre les pro­ blèmes de dévelo�pement chez l'enfant et le dével�ppement_ de son

a s Il est ainsi question du futur des enfants travailleurs qm_ se�ont p y .

l'f', en raison des problèmes de scolansat10n, des adultes non qua I tes

. . . ·

. son de cette absence de quahf1cat1ons et en moms

pauvres en rat , . l t't

bonne santé. Le travail des enfants affecte negativement � cons; u-tion du capital humain nécessaire au développement social et eco

-nomique du pays. Pour cette raison,

« child labour is both a consequence and a cause of poverty>> (Oslo Conference 1997).

La pauvreté est l'une des causes du tra�ail ?es enfants;, les tra­ ditions culturelles en sont une autre. Il s'agit des lors de. rompre avec le passé" et la tradition. L'aspect moral de cette question a par

ailleurs été souvent souligné

1 moralité l'emporte et que le travail des enfants « Il est temps que a . · îl · · d

dans des conditions dangereuses OU d'expJ01tat1on al _e reJOln re dans l'histoire ces autres formes d'esclavage auxquelles il ressemble

tant» (UNICEF 1997 : 78).

En raison des résistances diverses, c'est néanmoins une rup­ ture qui est qualifiée de difficile à pratiquer

Il est difficile de faire campagne contre le travail des enfants dans ��s a s en ·ctéveloppement parce que les gouvernements, les em­ ploJeJrs les travailleurs, l'opinion publique, les par�nts e� souv,�nt les enfa�ts eux-mêmes, n'ont pas suffisamment conscience u preJU­ dice qu'il cause ou y voient une conséquence [in]éluctable de la

mi-sère» (OIT 1995: 18).

La représentation d'un enfant v�c�i�e. de son travail et_ d� tra­ vail des enfants comme une pratique a ehmmer ne compte ams1 pas

Des enfants condamnés à travailler ... 157 toujours sur l'adhésion des acteurs directement concernés, comme en témoigne la position des organisations d'enfants travailleurs.

2. L'enfant travailleur comme acteur social et politique : les mouvements organisés d'enfants travailleurs

En opposition aux Campagnes contre le travail des enfants, des représentants d'organisations d'enfants travailleurs de divers continents ont pris la parole à l'occasion de conférences internatio­ nales pour l'abolition du travail des enfants (Amsterdam, 1996 ; Oslo, 1997) pour demander le « droit à un travail digne». Leurs dis­ cours sont bien moins médiatisés que les précédents, bien que certai­ nes ONG aient contribué à les diffuser. Leur paradigme est celui de l'enfant acteur, sur les plans aussi bien individuel et social que col­ lectif et politique. Dans un communiqué envoyé à la Marche Mon­ diale contre le travail des enfants en 1998, le mouvement péruvien

des enfants travailleurs a résumé sa position de la manière suivante « Oui au travail digne, non à l'exploitation!

Oui au travail protégé, non aux mauvais traitements et aux abus! Oui au travail reconnu, non à l'exclusion et à la marginalisation! Oui au travail avec liberté, non au travail forcé! » (MNNASOP

1998).

Bien de ces mouvements s'identifient ainsi à la lutte contre l'exploitation, mais refusent celle qui a été vue comme une « diabolisation du travail des enfants ». Pour eux, la référence à la Convention relative aux droits des enfants doit également considérer une série d'articles qui se rapportent à la participation et notamment l'article 12:

« Les Etats parties garantissent à l'enfant qui est capable de discer­ nement le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question

l'intéressant, les opinions de l'enfant étant dûment prises en considé­ ration eu égard à son âge et à son degré de maturité» (Convention relative aux Droits de !'Enfant, ONU 1989).

Ceci implique le fait de donner à l'enfant, sous certaines conditions,