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PARTIE I : Introduction bibliographique

II. Couplage de la porphyrine au ruthénium

Dans le but d’associer la phototoxicité de la PDT et la cytotoxicité des complexes de ruthénium, le Dr Frédéric Schmitt, en collaboration avec l’équipe du Dr Bruno Therrien à l’Université de Neuchâtel en Suisse, a synthétisé, caractérisé et étudié in vitro plusieurs conjugués porphyrine-Ru, porphyrine-osmium, porphyrine-iridium et porphyrine-rhodium [206-208]. En microscopie à fluorescence, les complexes porphyrine-Ru ont montré une accumulation cytoplasmique dans les cellules de mélanome humain Me300, les cellules du cancer du col de l’utérus HeLa et les cellules de carcinome ovarien A2780 et Ovcar. Ces complexes n’ont pas été co-marqués avec le noyau, les lysosomes et les mitochondries. Aucune fragmentation nucléaire n’a été observée, suggérant l’absence d’apoptose cellulaire. Les complexes porphyrine-Ru étudiés par Schmitt et al. ont montré une cytotoxicité et une phototoxicité élevées dans différentes lignées cellulaires de cancer humain : Me300, HeLa, A 2780, Ovcar [206-208].

Les complexes porphyrine-Ru mono- ou tétranucléaires couplés à la 4-pyridylporphyrine (4-pp) ou à la 3-4-pyridylporphyrine (3-pp) ont montré un intérêt particulier

in vitro [207] (Figure 24).

Figure 24 : Complexes porphyrine-Ru mono- ou tétranucléaires couplés à la 4-pyridylporphyrine (4-pp) ou à la 3-pyridylporphyrine (3-(4-pp). Le groupement R représente l’arène p-cymène, de formule Ș6

-p-PriC6H4Me. A, Ru(Ș6-p-PriC6H4Me)(5-(4-pyridyl)-10,15,20-triphenylporphyrin)Cl2. B, Ru(Ș6-p -PriC6H4Me)(5-(3-pyridyl)-10,15,20-triphenylporphyrin)Cl2. C, Ru4(Ș6-p-PriC6H4Me)4 (5,10,15,20-tetra(3-pyridyl)porphyrin)Cl8. D, Ru4(Ș6-p-PriC6H4Me)4(5,10,15,20-tetra(4-pyridyl)porphyrin)Cl8.

A

D C

La comparaison de leur efficacité photodynamique a permis de mettre en évidence une relation entre la structure des groupements pyridyl et l’activité phototoxique des complexes. Les composés possédant le complexe Ru en position 3-pp présentent une efficacité photodynamique nettement améliorée par comparaison à celle des composés dont le complexe Ru est situé en position 4-pp (Tableau IV). De plus, la présence de 4 complexes Ru sur le composé augmente son activité cytotoxique par rapport aux composés ne possédant qu’un complexe Ru.

Tableau IV : Efficacité photodynamique des différents complexes porphyrine-Ru étudiés par Schmitt F et al. [207]. Composés DL50 IC50 Ru(Ș6-p-PriC6H4 Me)(5-(4-pyridyl)-10,15,20-triphenylporphyrin)Cl2 10 J/cm2 > 100 µM Ru(Ș6-p-PriC6H4 Me)(5-(3-pyridyl)-10,15,20-triphenylporphyrin)Cl2 2,5 J/cm2 > 100µM Ru46-p-PriC6H4Me)4(5,10,15,20-tetra(3-pyridyl)porphyrin)Cl8 < 0,5 J/cm2 20 µM Ru46-p-PriC6H4Me)4(5,10,15,20-tetra(4-pyridyl)porphyrin)Cl8 6 J/cm2 10 µM

Abbréviations : DL50, dose létale de lumière induisant 50 % de mort cellulaire ; IC50, concentration nécessaire pour inhiber 50 % de la croissance cellulaire.

Une partie de mon travail de thèse a été consacré à l’étude in vivo des composés 3-pp [Ru(Ș6-p-PriC6H4Me)(5-(3-pyridyl)-10,15,20-triphenylporphyrin) Cl2, ou Rut1, et Ru46-p -PriC6H4Me)4(5,10,15,20-tetra(3-pyridyl)porphyrin) Cl8, ou Rut4]. Les objectifs recherchés étaient :

sélectionner le composé le plus efficace en PDT parmi Rut1 et Rut4 ;

déterminer les conditions optimales de traitement pour le composé sélectionné ;

valider l’efficacité anti-tumorale du composé sélectionné avec les conditions optimales de traitement.

1. Sélection du conjugué le plus efficace

Dans la publication expérimentale suivante, publiée dans Journal of Photochemistry and Photobiology B, nous décrivons l’étude menée in vivo sur un modèle de cellules de carcinome épidermoïde oral humain (KB) xénogreffées en ectopique chez la souris nude. La particularité et l’originalité de cette approche expérimentale a été l’utilisation d’un plan d’expérience pour la sélection du composé efficace [4].

En effet, les modalités de traitement PDT in vitro ne peuvent pas être transposées aux modèles in vivo de tumeurs. In vivo, il existe une hétérogénéité spatiale des principaux acteurs de la PDT [209] : dose de photosensibilisateur, lumière et oxygène ; hétérogénéité que l’on ne retrouve pas in vitro du fait de la culture en monocouche des cellules. Les différents degrés de vascularisation des différentes zones de la tumeur induisent une répartition non homogène des photosensibilisateurs et de l’O2. De plus, les propriétés optiques du tissu tumoral varient dans les différentes zones de la tumeur, ne permettant pas une pénétration homogène de la lumière dans le tissu tumoral. Ce phénomène est amplifié par la présence de fluorophores endogènes. Outre les variations spatiales, il existe également des variations temporelles des 3 acteurs durant le traitement. Les ERO générés peuvent détruire le photosensibilisateur (photoblanchiment), les dommages causés aux tissus induisent des variations de leurs propriétés optiques et la concentration en O2 peut diminuer du fait de sa consommation photochimique et de la destruction des vaisseaux sanguins tumoraux. In vivo, les doses optimales de PDT dépendent donc d’une part du type tumoral et de la sensibilité intrinsèque des cellules de la tumeur et d’autre part des 3 facteurs impliqués en PDT. Cependant, ces facteurs interagissent ensemble, comme le traduit la formule mathématique de la dose photodynamique efficace :

Dose photodynamique = [PS] x ij x t x İ x [3O2] x ĭǻ(1O2)

où, [PS] est la quantité de photosensibilisateur dans le tissu (mol/L), ij est l’irradiance lumineuse (W/cm2), t est le temps d’irradiation (s), İ est le coefficient d’extinction molaire du photosensibilisateur à la longueur d’onde d’irradiation (L/mol/cm), [O2] est le concentration en oxygène moléculaire dans le tissu (mol/L) et ĭǻ(1O2) est le rendement quantique de formation d’oxygène singulet. ĭ x t représente la fluence lumineuse (J/cm2).

Ces interactions rendent la détermination des conditions optimales de PDT non linéaires et multivariables, ne permettant pas d’appliquer une simple escalade de doses. Ainsi, plusieurs méthodes peuvent être employées pour optimiser les paramètres nécessaires au traitement :

Tester l’effet de toutes les combinaisons possibles de paramètre sur la réponse tumorale. Cependant, cette méthode est chronophage et coûteuse en animaux ;

Faire varier les valeurs d’un seul paramètre et fixer les valeurs des autres paramètres (approche « un facteur à la fois »). Cependant, cette méthode ne tient pas compte des interactions entre les différents paramètres lors du traitement ;

Appliquer la méthodologie de plan d’expérience [210-212]. Il s’agit d’une méthode mathématique et empirique qui explore l’impact des différents paramètres et leurs interactions sur la réponse tumorale. Elle permet de faire varier les paramètres simultanément et de réduire le nombre d’animaux utilisés.

Les plans d’expériences sont bien connus des chercheurs dans les domaines de l’agroalimentaire, de la chimie et des thérapies anti-cancéreuses autres que la PDT [213].

Pour réaliser une PDT, 4 paramètres doivent être étudiés et optimisés :

la dose de photosensibilisateur administrée, en mg/kg, qui influe sur la biodistribution tumorale du photosensibilisateur ;

l’IDL, en heure, qui représente l’intervalle de temps entre l’administration du photosensibilisateur et le début de la phase d’irradiation et détermine ainsi la répartition du photosensibilisateur entre les cellules tumorales, les cellules saines et les vaisseaux sanguins ;

la fluence lumineuse, en J/cm2, qui traduit la densité surfacique de lumière (photons) apportée au cours du traitement ;

l’irradiance lumineuse, en mW/cm2, qui représente la densité de puissance du rayon appliqué à la zone à traiter.

En plus de ces 4 paramètres, nous avons introduit dans notre étude deux autres facteurs permettant de tester les effets additifs du ruthénium et ceux de la structure du complexe (mono- ou WpWUDQXFOpaires). Nous avons réalisé un plan d’expérience dit de « screening » des six facteurs pour évaluer l’importance et l’impact de chacun dans la réponse tumorale. Le modèle mathématique utilisé a permis d’estimer les effets additifs des 6 facteurs étudiés sur la réponse tumorale, c’est à dire sur le taux de croissance du diamètre tumorale

(IDGR, Intrinsic Diameter Growth Rate), exprimé en mm/jour [210]. L’IDGR est une nouvelle expression statistique de la croissance tumorale, utilisée comme variable de réponse dans les plans d’expérience [210, 211]. Il est déterminé mathématiquement à partir des valeurs des volumes tumoraux par le logiciel Matlab®. L’IGDR apporte des informations sur la cinétique de croissance tumorale. Son analyse est plus simple que celui du volume tumoral et surtout il représente une variance plus faible que la statistique classique (TGD) fondée sur le volume tumoral (Figure 25).

Figure 25 : Représentations graphiques de suivi de croissance tumorale. A, volume en mm3 = f(temps en jours) montre l’évolution non linéaire du volume au cours du temps. B, diamètre en mm = f(temps en jours) montre l’évolution linéaire du diamètre au cours du temps. L’IDGR est calculé à partir de la pente (a) de la partie linéaire de la courbe divisée par le diamètre initial.

Dans notre étude, le plan d’expérience a mis en évidence l’importance d’une part du composé Rut4 et d’autre part de l’IDL 24h sur l’efficacité anti-tumorale en PDT. Des études de biodistribution non invasives par spectrofluorimétrie fibrée ainsi que des approches pharmacocinétiques invasives ont été réalisées sur notre modèle de tumeur chez la souris

nude. La distribution tumorale de Rut4 est maximumale de 24h à 96h et diminue considérablement deux semaines après l’injection par voie i.v. du composé. Au contraire, la distribution tumorale de Rut1 apparaît comme plus lente et atteint son maximum 48h après l’injection par voie i.v. du composé. Le temps de demi-vie plasmatique de Rut4 est de 58h. En effet, le ruthénium est largement retrouvé dans les organes du SRE dès 3h après l’injection par voie i.v. En revanche, Rut4 ne traverse pas la BHE. Des études de colocalisation nucléaire ont été réalisées par microscopie à épifluorescence sur les cellules KB et n’ont pas confirmé le ciblage nucléaire ni de Rut1, ni de Rut4. Les images de microscopie ont toutefois montré une accumulation cytoplasmique des deux composés, par comparaison au photosensibilisateur seul, avec une intensité de fluorescence similaire pour les deux conjugués. Ce travail original illustre l’intérêt de l’utilisation d’une méthodologie de plan d’expérience pour l’optimisation de condition de traitement présentant de nombreux facteurs interagissant entre eux.

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