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Le fluage n’étant pas accessible directement, sa détermination passe nécessairement par la connaissance du retrait qui se développe en parallèle. La méthode actuelle de détermination du fluage propre d’une éprouvette suppose que cette dernière subit le même retrait qu’une éprouvette non chargée, issue de la même gâchée et conservée dans les mêmes conditions. L’avènement assez récent des BHP, des BTHP et BUHP présentant un retrait endogène très important a motivé les chercheurs à se poser des questions sur la pertinence de cette simple additivité du retrait et du fluage.

Déjà au début des années 1930, Freyssinet considérait le fluage comme un retrait amplifié par le chargement (Sousa Coutinho, 1977). Ceci laisse présager d’une possible origine commune entre les deux types de déformation différée. Les travaux de (Munoz, 2000; Pons et al., 2003; Sicard et al., 1996; Ulm et al., 2000) ont montré que si l’on reporte les déformations totales d’un béton sous charge en fonction de la déformation de retrait, trois phases se distinguent clairement : (Figure I-5 et Figure I-6)

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Figure I-5 : Relations entre déformations sous charge et déformations de retrait en mode endogène (Pons et al., 2003)

Figure I-6 : Délimitation des différentes phases de déformation différée figurant sur la Figure I-5 (Pons et al., 2003)

 La phase 1 dure quelques jours et présente des similitudes avec les déformations de recouvrance en termes de cinétique. Cette part réversible peut être associée à une micro-diffusion de l’eau libre dans les capillaires induite et amplifiée par l’application d’une contrainte liée au chargement (Pons et al., 2003). Sicard et al.,

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(1996) identifient cette phase à la réponse initiale différée du béton qui est celle qui suit la réponse initiale instantanée se développant pendant l’application quasi- instantanée de la charge (Illston, 1965a).

 La phase 2 de très longue durée au cours de laquelle les déformations sous charge sont proportionnelles aux déformations de retrait d’éprouvettes non chargées. Elle met en évidence le fait que le retrait et le fluage sont bien corrélés (Sicard et al., 1996). D’une part le retrait peut être vu comme un fluage sous contrainte d’origine hydrique (Hua et al., 1995a, 1995b; Pons et al., 2003; Ulm et al., 2000). D’autre part, le fluage peut être considéré comme une amplification du retrait sous l’effet d’une charge externe. On peut alors être tenté d’associer les deux déformations différées à un même mécanisme. Acker, (2004b) introduit la notion de « potentiel de fluage » pour exprimer le fait que pour un même taux de chargement, une éprouvette chargée tardivement mobilise un fluage propre réduit par rapport à une autre éprouvette chargée plus tôt. En effet, les déformations de retrait endogène qui se développent avant l’application du chargement (qui sont d’autant plus importantes que le réseau poreux est fin) entament une grande partie de ce « potentiel ». C’est pourquoi un béton présentant un fort retrait manifeste un fluage plus faible (Acker, 2004a, 2004b). Il est à noter que la proportionnalité entre déformation totale et retrait est indépendante des conditions d’exposition (Pons et Torrenti, 2008). Ainsi, les résultats de (Gamble et Parott, 1978) confirment bien l’hypothèse faite par Ali et Kesler, (1964) quelques années plus tôt sur la proportionnalité entre le fluage et le retrait de dessiccation. Plusieurs auteurs (Altoubat, 2002; Bažant et Chern, 1985; Bažant et Xi, 1994; Granger, 1995; Kovler, 1995) ont par la suite introduit la notion de retrait induit par la contrainte ou « stress-induced shrinkage » comme pouvant être à l’origine du fluage de dessiccation. Le problème est toutefois plus complexe en dessiccation car la distribution des contraintes dans une éprouvette chargée est différente de celle dans une éprouvette témoin du fait de l’existence de fissures de surface (Acker, 1983; Altoubat, 2002; Pons et al., 2003).

 La phase 3 qui traduit le comportement à très long terme et qui n’est pas un fluage tertiaire comme l’explique les auteurs. Elle correspond en réalité à l’évolution continuelle de la déformation sous charge alors que parallèlement, le retrait est pratiquement stoppé par faute de potentiel interne.

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Il apparait alors que la façon de décomposer les déformations totales sous charge en fluage et retrait n’est pas très pertinente puisque ces phénomènes ne sont pas indépendants (Pons et al., 2003). De plus, le fait que les déformations de fluage soient irréversibles rend possible l’hypothèse d’une modification de la microstructure du matériau sous l’effet d’une charge de longue durée. Une éprouvette qui sert pour la mesure des déformations de fluage et une autre éprouvette utilisée pour la mesure des déformations de retrait peuvent donc avoir des microstructures différentes. En effet, les résultats de Sousa Coutinho, (1969, 1977) ont montré que le fluage pouvait agir sur le processus d’hydratation des grains de ciment en augmentant leur solubilité sous l’effet d’une contrainte mécanique. D’autre part, il peut aussi amener à une consolidation du matériau (Cook et Chindaprasirt, 1981; Morin et Maso, 1982).

Lee et al., (2006) ont montré que le retrait endogène d’une éprouvette chargée ne varie pas de façon non-linéaire avec la contrainte appliquée. En d’autres termes, cela signifie que soit le retrait endogène est indépendant de la contrainte appliquée, soit les deux sont proportionnels. Selon ces auteurs, le découpage conventionnel est tout à fait acceptable pour l’extraction de la composante de fluage tant que ce dernier reste linéaire (c’est-à-dire pour des niveaux de chargement modérés).

Pour sa part, Rossi (Rossi, 1988; Rossi et al., 1994) associe le fluage propre à un retrait supplémentaire dû à l’auto-dessiccation à travers les microfissures nouvellement créées lors d’un chargement quasi-statique. L’intensité de ce retrait dépend fortement de l’état d’endommagement du matériau puisque le fluage propre (c’est-à-dire le retrait supplémentaire) sera d’autant plus important que la densité de microfissures créées lors du chargement est élevée. Pour Rossi (Rossi et al., 2012), il faudrait changer les habitudes en écrivant la relation (I-16) plutôt que la décomposition classique figurant dans la relation (I-17).

(I-16)

(I-17)

47 I-C.3 Le cas du fluage en traction

Il est reconnu que la traction joue un rôle majeur dans les processus d’endommagement du béton (Mazars, 1986). Il peut donc sembler paradoxal que très peu d’études seulement lui soient consacrées, compte tenu de son importance dont nous venons d’évoquer. Ce constat est dû à deux causes. D’une part, une faible valeur de résistance à la traction et une capacité de déformation très limitée font que les propriétés mécaniques en traction ont toujours pratiquement été négligées dans les calculs de structures (Yerlici, 1965). D’autre part, les essais en traction sont plus difficiles à mettre en œuvre, notamment en ce qui concerne la fixation d’éprouvettes à base de matériaux cimentaires à la machine d’essai étant donné leur caractère fragile (Gopalaratnam et Shah, 1985; Granju, 1977). A propos du premier point, Corres-Peiretti et Caldentey, (1997) indiquent que malgré la faible résistance en traction, les concepteurs et les ingénieurs de structures en font constamment usage, consciemment ou inconsciemment. Ils illustrent leur point de vue sur l’usage du concepteur de la résistance en traction à travers deux exemples bien connus : l’effet raidissant (ou « tension stiffning effect ») qui contribue à limiter la flèche et l’ouverture des fissures d’éléments en béton armé et le renforcement minimal d’armatures dans les structures en béton. Concernant le second aspect, les chercheurs ont souvent recours à d’autres alternatives que l’essai de traction directe comme les essais de traction par flexion ou par fendage. De ce fait, seulement très peu d’informations sur le comportement mécanique du béton et plus particulièrement sur son comportement différé en traction sont disponibles dans la littérature, si bien qu’on se réfère pratiquement toujours au comportement différé en compression. Pourtant, il est important de se poser la question de savoir si le fluage en traction est bien identique à celui en compression, question qui, à ce jour, n’a pas encore reçu de réponse sans équivoque (Benboudjema et al., 2012; Briffaut et al., 2012) malgré quelques tentatives pour y répondre (Atrushi, 2003; Bastien-Masse, 2010; Briffaut et al., 2012; Brooks et Neville, 1977; Illston, 1965b; Kristiawan, 2006; Reviron, 2009; Reviron et al., 2008; Rossi et al., 2012).

Les différentes déformations de retrait qui se développent dans le béton (cf. paragraphe I-C.1), lorsqu’elles sont empêchées (partiellement ou totalement (Tao et Weizu, 2006)) induisent des contraintes, généralement de traction, qui peuvent conduire à l’apparition de fissures préjudiciables vis-à-vis de l’application et/ou de la

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durabilité de l’élément (Bissonnette et Pigeon, 2000; Pigeon et Bissonnette, 1999). En effet, l’amplitude du retrait ultime (variable suivant les conditions de conservation) est de l’ordre de 250 µm/m à 1000 µm/m, ce qui peut représenter jusqu’à 10 fois la déformation élastique instantanée (Bissonnette et Pigeon, 1995, 2000; Bissonnette et al., 2007). Une solution envisageable est l’utilisation de composites cimentaires ayant une grande capacité de déformation (par exemple les bétons incorporant des granulats en caoutchouc en substitution partielle des granulats naturels (Turatsinze et al., 2007). L’obtention d’une telle capacité de déformation est malheureusement acquise aux dépens de la résistance, ce qui limite les applications potentielles de ces nouveaux composites résistants à la fissuration. La prise en compte des propriétés mécaniques différées du béton (fluage et relaxation) devient alors un élément incontournable au regard des problèmes de durabilités rencontrés sur des ouvrages ou des réparations en béton (et plus généralement sur des matériaux à base de matrice cimentaire) (Altoubat et Lange, 2001a; Baluch et al., 2002; Bissonnette et Pigeon, 2000; Lee et al., 2011; Pigeon et Bissonnette, 1999). Plusieurs auteurs (Altoubat et Lange, 2001a; Bissonnette et Pigeon, 1995, 2000) proposent de quantifier l’effet bénéfique du fluage en traction vis-à-vis du retrait à travers le ratio fluage-retrait qui traduit la capacité du fluage en traction à relaxer les contraintes induites par la restriction des déformations de retrait. Selon (Altoubat et Lange, 2001a), le fluage en traction peut soulager les contraintes dues au retrait jusqu’à 50 % pour les BO et les BHP.