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MÉTHODES ET HYPOTHÈSES : VERS UNE ANALYSE DU SYSTÈME PROSODIQUE DU FC

4. Corrélats acoustiques

Comme nous l’avons annoncé dans §3 supra, nous partons de l’hypothèse que les proéminences sont les réalisations des traits prosodiques. Nous avons également formulé l’hypothèse que le domaine au sein duquel se réalisent les proéminences en FC est le MP et non le SA.

Si ces hypothèses sont correctes, les proéminences de notre corpus sont la réalisation d’un trait lexical. Plus précisément, il y a deux possibilités :

i) la proéminence est la réalisation d’un accent : il s’agirait, dans ce cas, d’un accent lexical fixe sur la dernière syllabe des mots lexicaux (cf. chapitre 2, §2.1.1). Le FC se distinguerait donc du FS au niveau du domaine de l’accent : l’accent en FS est un accent de syntagme dont le domaine est le SA, l’accent en FC est un accent lexical dont le domaine est le MP, ou

ii) la proéminence est la réalisation d’un ton : si c’est le cas, le FC aurait des tons lexicaux.

Afin de déterminer la nature du trait réalisé sur les syllabes proéminentes, nous avons effectué des analyses du profil acoustique des syllabes perçues comme proéminentes en comparaison avec les syllabes non proéminentes. Si les proéminences sont la réalisation d’un accent, on peut s’attendre à ce que le profil acoustique des syllabes proéminentes se distingue des autres syllabes par plusieurs paramètres, par exemple la montée de f0 et de l’allongement comme en FS. S’il s’agit d’un ton, on peut également présupposer que ces syllabes ont une valeur de f0 supérieure aux syllabes non proéminentes, mais aucun autre corrélat ne l’accompagnerait systématiquement (cf. chapitre 2, §2.1.1).

Pour nous faire une première idée des corrélats acoustiques des proéminences, nous avons sélectionné pour chaque locuteur huit énoncés déclaratifs (quatre de chaque conversation) que nous jugeons « neutres ». La prosodie étant polyfonctionnelle, il s’agit de prendre comme points de départ des énoncés où les facteurs pragmatiques ou extralinguistiques ont le moins d’influence possible. Par ailleurs, nous avons évité les énoncés où il y a des bruits, des chevauchements et des hésitations.

Les profils acoustiques de toutes les syllabes de ces énoncés ont été analysés à l’aide d’Analor (cf. §2.1.1 supra). Le logiciel fournit le profil acoustique de chaque syllabe. Il effectue différentes mesures dont la durée de la syllabe (en millisecondes), l’intensité, la hauteur maximale, minimale et moyenne de f0 et la montée de f0. Le Tableau 19 montre par

121 exemple des profils acoustiques de toutes les syllabes de la séquence « et mes frères » ([emefRe]) produite par la locutrice rcadt1.

e me fRe

+/- Proéminente - - +

Durée en millisecondes 0,115 0,21 0,607 Intensité (max) 55,0291 52,628 55,215 Hauteur (max) 91,679 91,088 92,335

Tableau 19 : Exemple des profils acoustiques d’un énoncé de la locutrice rcadt1

Nous avons examiné les profils acoustiques de toutes les syllabes des énoncés sélectionnés dans l’objectif de cerner d’éventuelles différences régulières entre les syllabes perçues comme proéminentes et les autres syllabes. Nous nous sommes particulièrement intéressée aux syllabes finales de mots lexicaux, puisqu’il s’agit du seul contexte où les proéminences sont constatées de façon régulière. Les profils de ces syllabes variaient : souvent, plusieurs paramètres avaient des valeurs plus élevées que celles des syllabes adjacentes, mais elles avaient (presque) toutes en commun de présenter une hauteur maximale de f0 supérieure à celle de la (quasi)-totalité des syllabes dans d’autre positions du mot lexical.

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En raison des résultats des premières analyses acoustiques, nous nous sommes particulièrement intéressée aux variations de f0. Afin d’étudier les variations mélodiques dans notre corpus de façon systématique, les courbes de f0 ont été analysées automatiquement par le script Prosogramme (Mertens, 2006 ; Mertens, Simon, & Goldman, 2008) dont l’objectif est d’identifier les variations mélodiques significatives, c’est-à-dire celle qui dépassent deux semi-tons : des études perceptives montrent qu’une variation mélodique doit dépasser deux semi-tons pour être perçue par l’oreille humaine (Collier & Hart, 1981). Ce script a déjà été utilisé dans d’autres études, entre autres dans le corpus Rhapsodie et donné des résultats intéressants (Mertens et al., 2008).

Prosogramme procède ainsi : la f0 moyenne du noyau de chaque syllabe est calculée et comparée à la valeur de f0 du noyau syllabique des trois syllabes qui se situent à sa gauche (l’empan de calcul ne dépasse jamais 450 millisecondes). En fonction de sa différence par rapport à son contexte gauche, le script lui attribue une étiquette (nous appelons désormais ces étiquettes « tons phonétiques », expression à distinguer du terme « tons » que nous avons

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employé jusque-là pour faire référence au trait abstrait, cf. chapitres 2 et 3). Il calcule également les variations de f0 sur le noyau mélodique et détermine si celles-ci sont suffisamment importantes pour être perçues : les syllabes qui présentent des variations mélodiques majeures sur leur noyau sont étiquetées en fonction de la direction de la courbe. L’étiquetage que fournit le logiciel est indiqué au Tableau 20.

Mesures Étiquetage i > 5ST H 3ST ≤ i ≤5ST M i < 0ST L chute majeure (>4) F chute mineure (>2) f montée majeure (>4) R montée mineure (>2) r Pas de différence audible =

Tableau 20 : Étiquetage des tons phonétiques

Ensuite, l’annotation automatique du Prosogramme a été corrigée manuellement. Plusieurs corrections ont été nécessaires :

i) le script calculant la valeur de la f0 du noyau syllabique, le découpage qu’il fournit ne correspond pas à notre tire syllabique, mais à chaque voyelle (cf. Figure 37). Par ailleurs, il met un « = » après chaque ton phonétique statique. Pour des raisons de lisibilité et de facilité de requête, nous avons créé au-dessus de notre tire « prom » une tire « contour » dont la segmentation correspond à notre tire « syll » : dans cette tire « contour », nous avons recopié les annotations de Prosogramme sans le « = » :

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Figure 37 : Correction de la segmentation de Prosogramme

ii) pour les occurrences où le signal est perturbé (bruits, sauts d’octave, chevauchements etc.), nous avons effacé l’annotation du script ; dans notre tire « contour » de référence, les syllabes dont la f0 n’est pas propre n’ont pas d’annotation ;

iii) nous avons remplacé les = par l’étiquette du premier ton annoté à gauche dans les cas où aucun changement n’était constaté ; cette démarche est également motivée par la volonté de faciliter les recherches dans le corpus (par exemple si l’on veut savoir combien de tons phonétiques M il y a dans tout le corpus, etc.)

Figure 38 : Annotation des syllabes non annotées

iv) bien que le modèle perceptif permette dans la grande majorité des cas de détecter les variations significatives de f0, certains locuteurs utilisent un registre mélodique plus réduit que d’autres. Dans certains cas où la différence de hauteur entre une syllabe et son entourage était clairement visible et que la

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différence était proche des mesures du Prosogramme, nous avons corrigé l’étiquette.

Figure 39 : Correction des tons phonétiques proposées par Prosogramme

Notre corpus a ainsi été annoté en fonction de deux phénomènes : les proéminences et les tons phonétiques. Soulignons que ces annotations servent principalement de guide pour comprendre le système. Dans le chapitre suivant, nous procéderons à des études phonologiques plus détaillées de nos résultats.