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LA FORME « RACIS* » AU SEIN DES AFFAIRES : REPARTITION ET PROBLEMATISATION(S)

Afin de nous concentrer sur les manières explicites par lesquelles les participants parlent

le racisme, nous avons extrait du corpus général l’ensemble des commentaires se référant

textuellement au racisme. Par cette focalisation, nous avons souhaité approcher notre corpus de

la manière la plus neutre qu’il soit. En effet, nous avons postulé plus haut l’idée que le racisme apparaît avant tout là où l’on parle de lui. C’est ainsi que prendre pour point de départ les argumentations où sont mobilisés explicitement la notion de racisme et ses dérivés – raciste ou racistes –nous permet au préalable d’éviter la surinterprétation du point de vue des personnes.

Ce cadrage met ainsi de côté les messages où le racisme pourrait être vu comme supposé ou implicitement rattaché à d’autres phénomènes ou question. Il nous semble ainsi que la posture

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scientifique que cela implique nous permet justement de ne pas tomber dans une posture ordinaire qui viserait à dévoiler les intentions et/ou typifications des acteurs à partir de suppositions sur les liens que ce dernier établit entre racisme et réalité. Pour cela nous avons donc procédé à l’extraction des commentaires utilisant les expressions « racisme(s) » et « raciste(s) ». Notons que le terme de « race(s) » n’a pas été retenu ici dans le sens où, rappelons-le, notre travail n’adresse pas -ou en tout cas pas directement - le racisme comme

phénomène mais plutôt la question du racisme, c’est-à-dire la construction du racisme comme problème public. Ce travail de découpage nous a amené à la constitution d’un sous corpus de 1677 contributions, soit environ 14% de l’ensemble. Si ces expressions apparaissent bel et bien

dans le cadre de messages commentant chacune de nos 12 affaires, la répartition des commentaires labellisés au sein de celles-ci est très disparate comme le montre la figure suivante.

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Pour le visualiser autrement et définir un peu plus le sous-corpus qui sera à la base du travail qui suit, celui-ci sera composé principalement des deux affaires de dérapages racistes et celle se rapportant au vigile de Bobigny comme le décrit la figure suivante.

Figure 5 : Composition du sous-corpus

Le fait que les termes en question apparaissent dans chacune des affaires montrent en

premier lieu qu’ils existent dans chacun d’elles des endroits de la discussion où le racisme est

convoqué comme lexique. Cependant, tandis que les affaires de dérapages racistes comportent respectivement 29 et 35 % de commentaires usant des expressions « racisme » et/ou « raciste(s) », les affaires de débat nationaux ou européens comptent seulement 5% de commentaires de ce type. Il est à noter une forte différence de répartition dans le cadre des affaires dites de « violence raciste », le cas du Vigile de Bobigny comptant 27% de commentaires de ce type contre seulement 4% dans le cadre du Procès Fofana.

145 Afin d’expliquer ce point, nous pouvons avancer ici que c’est la problématisation de l’affaire qui diffère selon les cas. Ici, nous entendons l’idée de problématisation comme « le

processus de définition d’une situation comme problématique »1. Dans le cas des dérapages racistes, la question centrale posée par l’évènement en question revient à savoir si oui ou non les propos de l’accusé relèvent du racisme. Par ailleurs, dans ces deux cas, l’affaire est par

ailleurs judiciaire puisque il est question de condamnation dans le cas de Brice Hortefeux et

d’ouverture d’une enquête dans le cadre du Préfet Langlade. En d’autre mots, le racisme est ici présent immédiatement comme registre explicatif de l’évènement. La catégorisation de l’affaire

comme relevant effectivement du racisme représente un registre majeur des commentaires. Dès lors, les commentaires usant des expressions retenues formulent le plus souvent des

interprétation et jugements sur l’évènement en question. En ce sens donc, l’importance des commentaires usant des termes en question s’explique par la nature de l’affaire. Dans le cas du vigile de Bobigny, il en est de même puisque l’affaire correspond également à l’ouverture d’une enquête pour meurtre à caractère raciste. Dans le cadre de l’affaire Fofana, la focalisation, due aux circonstances de l’évènement, a d’avantage lieu sur la question de l’antisémitisme. Notre

travail prenant lui pour appui exclusivement celle du « racisme », il en résulte donc une proportion assez faible de commentaires concernés.

Dans le cas des autres thèmes, la problématisation provient au départ d’autres questions. Que ce soit dans le cas du débat européen sur le Multiculturalisme questionnant l’intégration

des populations étrangères ou bien alors les sorties du Front National, touchant au discours

d’extrême droites et/ou au nazisme, la question du racisme n’est pas à proprement parlé le cadre premier par lequel l’affaire est interprétée. Il n’en reste pas moins que la présence de

commentaires comportant les expressions « racisme » et « raciste » démontrent que celle-ci est convoquée parfois au fil des discussions. En nous rapportant aux différents types de commentaire décrit plus haut, on note ainsi dans le cas de ces affaires que les commentaires

retenus sont souvent des contributions s’adressant à d’autres commentaires ou bien alors

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jugeant de la discussion dans son ensemble. On peut ainsi postuler que les commentaires usant

des termes en question s’expliquent d’avantage par des procédés de problématisation de la

discussion. Pour faire une analogie avec ce qui est dit plus haut, dans ce cadre, c’est la nature

de la discussion qui est majoritairement interprétée par les commentaires usant du lexique du racisme.

FORME « RACIS* » ET TYPES DE COMMENTAIRES

En parallèle de l’extraction des commentaires usant des termes en question, nous avons également procédé au codage de ces derniers en fonction des types de contribution auxquels ils se rapportent. Comme expliqué plus haut, nous entendons ici trois formes de commentaires selon les personnes à qui ils adressent leur argumentation. Tout d’abord, classiquement, des

commentaires expriment leur opinion et/ou publicisent leur interprétation de l’affaire en

question. Ensuite, d’autres types decommentaires s’adressent à d’autres commentaires au sein

de fils de discussions secondaires. Enfin, et ce plus rarement, nous trouvons des commentaires qui expriment des interprétations de la discussion dans son ensemble. Ces trois formes

d’engagement se retrouvent par exemple dans les commentaires suivants :

Commentaire sur l’affaire : « Cette affaire est effarante. Mais ce qui est encore plus effarant, c'est la façon dont les medias en rendent compte. Où est la justice? » (Libération - Vigile Bobigny)

Commentaire dans interaction : « Entièrement ok pour ton commentaire, va y''avoir du boulot! » (Figaro – Hortefeux)

Commentaire sur la discussion : « Il me semble que la plupart des commentaires se trompent de problème et tombent dans la confusion […] Faudrait arrêter de réagir à cote de la plaque » (Figaro – Burqa)

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Si nous regardons maintenant notre sous corpus en fonction de cette typologie, nous en arrivons à la figure suivante.

Figure 6 : Répartition type de commentaires comportant lexique racis*

Les commentaires regroupant un ou plusieurs des termes recherchés sont principalement

ceux adressant l’affaire en question ou alors participant à une discussion avec d’autres

participant. Enfin 10% des commentaires se rapportent pour leur part à des argumentations prenant pour appui la discussion dans son ensemble. Notons bien que nous n’avons pas pu coder l’ensemble du corpus vis-à-vis des types de commentaires qu’il regroupe, cette répartition

semble coïncider avec la composition « normale » d’un corpus de commentaires où réactions à l’évènement et interactions entre participants semblent se partager la grande majorité de la discussion générale.

Cette caractérisation de notre sous-corpus, bien que très théorique nous permet en retour de poser le cadre des analyses qui vont suivre. Dans un premier temps, nous pouvons voir que ce lexique restreint du racisme, basé sur sa forme nominale et qualificative, se retrouve dans le cadre de commentaires se rapportant à chacune de nos affaires. En ce sens, ce matériau peut bel

et bien offrir la possibilité d’observer et d’analyser les formes et contenus des discours qui se retrouvent au-delà d’une simple affaire particulière. Par ailleurs, le fait que notre sous corpus

se compose également de commentaires représentant différents types d’engagements dans la discussion nous offre également la possibilité d’analyser les arguments et registres qui là aussi

dépassent une forme d’engagement particulière. C’est pourquoi, que les propos visent à

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repérer les formes argumentatives communes entre ces différentes postures. Cette première approche de haut niveau de notre matériau, nous permet en premier lieu de postuler que « dire le racisme » à travers ses mots les plus communs est une situation qui se retrouve dans

l’ensemble de nos affaires, pourtant de nature initialement différentes. Parallèlement, aborder

explicitement le racisme par ces même termes se retrouve dans toutes formes d’engagement

dans la discussion, tant « par le haut » c’est-à-dire dans l’interprétation de l’évènement relaté par l’article ou dans le jugement général des commentaires, que « par le bas », c’est-à-dire au

sein des interactions entre participants. Pour conclure, la question du racisme s’invite ici dans

des cadres de discussions différents, tant par leur objets que par leurs natures. C’est cette

dialectique entre hétérogénéité des cadres et cohérence apparente de la question du racisme,

dont nous postulions déjà l’existence dans notre première partie, qu’il s’agira pour notre

recherche d’explorer et d’expliquer.