Chapitre 1. Suites et s´eries de fonctions
1.2. Convergence normale des s´eries de fonctions ` a valeurs complexes
On consid`ere un ensemble non vide X (dans la plupart des exemples, X sera un sous-ensemble deRou de C). On suppose d´efinies sur X des fonctions x→u0(x),x→u1(x), . . ., x → un(x), . . . `a valeurs r´eelles ou complexes. On va ´etudier la s´erie P
un(x), qui d´epend du param`etre x ∈ X. On va en fait ´etablir quelques bases pour une th´eorie des s´eries de fonctions. Il est un peu difficile de mettre au point une notation qui soit `a la fois raisonnablement simple et suffisamment correcte pour d´esigner hhla s´erie de fonctionsii, par opposition `a la s´erie num´erique P
un(x) d´ependant du param`etre x ∈ X (nuance subtile !). On pourrait noter simplement P
un, o`u chaque un est une fonction, mais on risquerait d’oublier qu’il s’agit de fonctions ; on pourrait noterP
{x→un(x)}, mais c’est bien barbare ! Je ferai ici le choix (contestable et personnel) d’´ecrireP
un() pour d´esigner l’objet abstrait hhs´erie de fonctionsii. Les parenth`eses ne sont l`a que pour rappeler qu’il s’agit de fonctions.
On verra `a l’usage qu’il est difficile de toujours respecter un syst`eme de notations hh cor-rectesii, et il serait (`a mon avis) insupportable de ne pas admettre de temps en temps la phrase un peu incorrectehhla s´erie de fonctionsP
2−nsin(nx). . . ii`a la place d’une phrase impitoyablement correcte telle quehhd´efinissons pour tout entier n≥ 0 la fonctionfn sur Rpar la formule fn(x) = sin(nx) et consid´erons la s´erie de fonctions P
2−nfn(). . . ii. D´efinition 1.2.1.SoitP
un() une s´erie de fonctions r´eelles ou complexes d´efinies sur un ensemble non vide X ; on dit que la s´erie de fonctionsP
un() estnormalement convergente sur l’ensemble X si X
sup{|un(x)|:x∈X}<+∞
c’est-`a-dire si X
kunku,X<+∞.
C’est la d´efinition pr´ec´edente qui explique le nom convergence normale : la s´erie de fonctions converge normalement si la s´erie des normes uniformes est convergente.
D´efinition 1.2.2. On dit que la s´erie num´erique P
vn est une s´erie majorante pour la s´erie de fonctions P
un() sur l’ensemble X si
∀n≥0, ∀x∈X, |un(x)| ≤vn.
Par d´efinition, une s´erie majorante est une s´erie num´erique `a termes positifs. On notera que P
kunku,X est ´evidemment une s´erie majorante pour la s´erie de fonctions Pun(). Inversement, si P
un() admet sur X la s´erie majorante P
vn, on aura kunku,X= sup{|un(x)|:x ∈X} ≤vn
pour tout entier n ≥0, donc P
kunku,X apparaˆıt comme la s´erie majorante canonique, et il pourrait sembler inutile d’introduire cette d´efinition g´en´erale de s´erie majorante.
Mais dans beaucoup d’exemples, il est assez difficile de calculer exactement le sup de chaque fonction un, alors qu’il peut ˆetre assez facile de trouver un bon majorant ; c’est ce qui fait l’int´erˆet de cette notion de s´erie majorante. On obtient donc un crit`ere qui est souvent utilis´e dans la pratique :
la s´erie de fonctions P
un() est normalement convergente sur l’ensemble X si (et seulement si) elle admet sur l’ensembleXune s´erie majoranteconvergenteP
vn <+∞.
Supposons la s´erie de fonctionsP
un() normalement convergente sur X ; on sait que
|un(x)| ≤ kunk pour tout x ∈ X ; on voit donc que pour chaque x ∈ X fix´e la s´erie num´erique P
un(x) est absolument convergente, donc convergente, et on peut d´efinir une fonctionx→U(x) sur X qui est ´egale en chaque point x∈X `a la somme de la s´erie num´eriqueP
un(x),
U(x) =
+∞X
n=0
un(x).
On dira que U est la fonction somme de la s´erie de fonctions P
un(). L’objectif de ce chapitre est d’´etudier les propri´et´es des fonctions U d´efinies par ce proc´ed´e.
Exemples.
Commen¸cons par des exemples pour lesquels il est facile de calculer explicitement la norme uniforme kunku,X.
1. Posons X ={z ∈C:|z| ≤ 12}et posonsun(z) =znpour toutz ∈X et toutn≥0.
On voit que kunku,X = 2−n, donc la s´erie propos´ee est normalement convergente sur X puisqueP
2−n <+∞. Si on consid`ere le disque ouvert de rayon 1 dans le plan complexe, D = {z ∈ C : |z| < 1}, la hhmˆemeii s´erie P
un(), o`u on pose encore un(z) = zn, n’est pas normalement convergente sur D puisque kunku,D = 1 pour tout entier n≥0.
2. La s´erie de fonctions P
n>1einx/n2 (premier accroc `a nos conventions de nota-tion !) est normalement convergente sur X = R. En effet, en posant un(x) = einx/n2, on voit que|un(x)|= 1/n2 pour tout x ∈R, donc kunku,R = 1/n2, terme g´en´eral d’une s´erie de Riemann convergente.
3. Autres exemples `a ´etudier suivant le mˆeme principe : un(x) = 1
1 +n2x, avec X = [1,+∞[, ou bien un(x) = xne−nx, avec X = [0,+∞[, ou bien un(x) =n2e−nx sur le mˆeme ensemble X.
4. Passons maintenant `a un exemple o`u la notion de s´erie majorante est utile. Sup-posons que un soit d´efinie sur R, pour tout n≥0, par
un(x) = sin(nx)
1 +nx8+x24+n2.
On n’a certainement pas envie de calculer exactement la norme de cette fonction un, mais on pourra se contenter de remarquer par exemple que
∀x∈R, |un(x)| ≤ 1
1 +n2 =vn, donc la s´erie P
un() admet sur R la s´erie majorante convergente P
vn, donc elle est normalement convergente sur R.
Il arrive souvent que les s´eries de fonctions ´etudi´ees ne soient pas normalement convergentes sur la totalit´e de l’ensemble X o`u elles sont convergentes, mais seulement sur des parties Y ⊂ X. Consid´erons par exemple, pour x ∈ X = ]1,+∞[ la s´erie de Riemann
ζ(x) =X
n>1
1 nx . 10
Cette s´erie de Riemann est convergente pour tout x ∈]1,+∞[. Mais elle n’est pas normalement convergente sur X = ]1,+∞[ : en effet, en d´esignant par un la fonction x→1/nx, on a
kunku,X= sup{1/nx :x >1}= 1/n,
(le sup est obtenu quand x → 1, bien que 1 ∈/ X), donc la s´erie des normes est la s´erie divergente P
1/n. En revanche, si a est un nombre > 1, on a sur l’intervalle [a,+∞[, puisqueun est d´ecroissante,kunk[a,+∞[ =n−aet la s´erie P
n>1n−a est une s´erie de Rie-mann convergente puisquea >1 : ainsi, pour touta >1, la s´erie donn´ee est normalement convergente sur le sous-ensemble Ya = [a,+∞[ de X.
Donnons un autre exemple du mˆeme type. La s´erie X
n>0
1 (x−n)2
converge simplement sur le compl´ementaire X deNdansR. Mais aucune des fonctions 1 (x−n)2 n’est born´ee sur X, donc la convergence de la s´erie n’est pas normale sur X. En revanche, R
´etant un nombre r´eel >0 donn´e quelconque, on a sur le sous-ensemble YR={x∈X :|x| ≤R} pourn >R
0≤ 1
(x−n)2 ≤ 1 (n−R)2
ce qui prouve la convergence normale sur YRde la s´erie limit´ee aux indices >R X
n>R
1 (x−n)2.
Proposition 1.2.3.SoitP
un()une s´erie de fonctions normalement convergente sur un ensemble X; la suite(Un) des fonctions sommes partielles converge uniform´ement surX vers la fonction somme U.
D´emonstration. On a pour toutx ∈X fix´e
U(x)−Un(x) =un+1(x) +un+2(x) +· · ·
Ecrivons simplement´ kuk au lieu de kuku,X. On a l’in´egalit´e|un+k(x)| ≤ kun+kk, donc
|Un(x)−U(x)| ≤ kun+1k+kun+2k+· · ·= Rn.
Puisque cette in´egalit´e est vraie pour tout x∈X, on en d´eduit que kUn−Uku,X≤ Rn. D’autre part, Rn →0 puisque P
kunk est une s´erie num´erique convergente.
On va obtenir imm´ediatement une traduction des th´eor`emes principaux sur la con-vergence uniforme dans le cas des s´eries normalement convergentes.
Th´eor`eme d’interversion des limites pour les s´eries Le th´eor`eme cherch´e est de la forme
+∞X
n=0 x→xlim0
x∈X
un(x) = ?? = lim
x→x0 x∈X
X+∞
n=0
un(x).
Comme pour les suites de fonctions, un tel r´esultat est faux en g´en´eral. Prenons par exemple
Th´eor`eme 1.2.4. Soit x0 un point adh´erent `a X; si la s´erie de fonctions r´eelles ou complexesP
D´emonstration. Pour chaque entier n≥0 on a
x→xlim0
donc d’apr`es la convergence uniforme vers U de la suite (Un) des fonctions sommes partielles, ce qui donne le r´esultat voulu.
Le r´esultat pr´ec´edent est vrai aussi si X ⊂ R est un ensemble non major´e et si le point adh´erent (g´en´eralis´e) consid´er´e est +∞. Pour le voir, il serait facile de modifier la d´emonstration pr´ec´edente, mais on peut aussi d´eduire ce nouveau cas du pr´ec´edent (c’est peut-ˆetre moins naturel, mais les math´ematiciens aiment bien ce genre de d´etour).
Corollaire 1.2.5. Soit X un sous-ensemble non major´e de R, et soit P
un() une s´erie de fonctions r´eelles ou complexes d´efinies sur X; si P
un()est normalement convergente sur X et si pour tout n≥0 la limite
x→+∞lim
x∈X
un(x) existe (dans R ou dans C) on en d´eduit
+∞X
D´emonstration. La m´ethode est essentiellement unhhchangement de variableii, le
vn est aussi une s´erie majorante pour la s´erie de fonctions P
Cas particulier. S´eries num´eriques doubles. On consid`ere ici une s´erie num´erique d´ependant de
deux indices, X
kan,k converge pour toutn, alors X+∞
La formule ci-dessus sous-entend un certain nombre de choses : par exemple, elle signifie implicitement que pour tout k fix´e, la s´erie P
nan,k converge, puis que la s´erie des r´esultats quandk varie converge aussi.
D´emonstration. Pour pouvoir rattacher aux ´enonc´es ant´erieurs (dans le cas pr´esent, nous aurons X = N ⊂ R) on notera provisoirement x un entier quelconque, pour rappeler les notations pr´ec´edentes. On posera donc pour tout entiernet pour tout x∈X =N
un(x) =an,0+· · ·+an,x. L’hypoth`ese ci-dessus est que la s´erie de fonctions P
un() admet sur X la s´erie majorante convergenteP
vn, et que pour toutnla limite limx→+∞,x∈Xun(x) =P+∞
x=0an,xexiste. D’apr`es le corollaire pr´ec´edent, on obtient donc
X+∞
Exemple. On retrouve ainsi la sommation par paquets des s´eries num´eriques absolument con-vergentes. Soit en effet P
bn une s´erie num´erique absolument convergente, soit (Ak)+∞k=0 une partition deNen paquets deux `a deux disjoints et posons
an,k=χAk(n)bn
pour tousn, k≥0, o`uχAd´esigne la fonction indicatrice d’un sous-ensemble A, ´egale `a 1 sur A et `a 0 en dehors de A. On voit que pour tousn etk
Corollaire 1.2.7.On suppose que
D´emonstration. Posonsvn =P
k|an,k|. On a alors|an,0+· · ·+an,k| ≤vn et P
vn <+∞par hypoth`ese ; de plus la s´erieP
kan,k converge pour toutn.
Exemple. Pourα >0, ´etudier les s´eries de Riemann doubles X
n,k>1