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II. LE DOMAINE D’ALBORAN : LES CHAINES BETICO-RIFAINES ET LES

3. La Crise de salinité messinienne

3.2. Controverse autour des modèles de la « MSC »

L’histoire des recherches sur la Crise de salinité messinienne a été marquée par des controverses entre différents groupes de recherche. Des approches variées, des outils analytiques différents et des zones d'étude différentes (principalement à terre et en mer), ont ouvert sur des conceptions fortement opposées concernant la « MSC ».

3.2.1. Bassin profond vs. Bassin peu profond

La première controverse concernait la profondeur du bassin méditerranéen à la fin du Miocène. Deux modèles principaux sont alors proposés : le premier modèle proposant un bassin peu profond (« shallow desiccated basin » ; Nesteroff, 1973), et le deuxième propose l’existence d’un bassin profond (« deep desiccated basin » ; Hsü et al., 1973).

Figure I-21 : Comparaison des deux modèles : « shallow desiccated basin » (Nesteroff, 1973) et « deep dessicated basin » (Hsü et al., 1973) (modifié d’après Clauzon et al., 1996).

Le premier modèle (« shallow dessicated basin »; Nesteroff, 1973; Fig. I-21) propose l’existence d’un bassin peu profond (entre 200 et 500 m de profondeur d’eau) avant la Crise de salinité messinienne. Par conséquent il n’y pas de chute majeure du niveau marin méditerranéen nécessaire pour expliquer le dépôt des évaporites messiniennes. Selon cet auteur et Rouchy (1982), la profondeur actuelle des évaporites serait le résultat d’une tectonique verticale intense survenue au cours du Pliocène. Cette hypothèse imaginant la Méditerranée peu profonde

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jusqu’au Messinien a été réfutée, suite à la découverte en forage de dépôts marins profonds au-dessous, à l'intérieur et au-dessus des évaporites (Hsü et al., 1973a, b ; Ryan, 1976). Cette découverte conduit ces auteurs à proposer un deuxième modèle (« deep dessicated basin » ; Fig. I-21) qui supporte l’existence d’un bassin profond (profondeur estimée à 1500 m) avant la Crise de salinité messinienne.

L’argument décisif soutenant le modèle « deep dessicated basin » était la mise en évidence d’un réseau de canyons remplis de sédiments marins pliocènes (Fontannes, 1882 ; Chumakov, 1973 ; Clauzon, 1974, 1978, 1982 ; Barber, 1981 ; Clauzon, 1982). Ces canyons sont le résultat d’une forte érosion sur les marges de la Méditerranée (Denizot, 1952) suite à une forte chute du niveau marin pendant la Crise. Clauzon (1982) estime une chute du niveau marin d’envion 1500 m pour une paléobathymétrie du fond du bassin d’environ 2500 m. Un troisième modèle préconise la précipation d’évaporites dans un bassin profond sous faible abaissement du plan d’eau (« Dense Shelf Cascading Model », Roveri et al., 2014b). Dans ce modèle, la restriction des circulations et l’abaissement du plan d’eau provoquerait la formation de saumures denses sur les plateaux continentaux. Ces saumures migreraient vers le bassin profond où elles préciperaient. Lors de cette migration, les marges seraient fortement érodées en domaine sous-marin (Fig. I-22).

Figure I-22 : Modèle de dépôt des évaporites dans un bassin profond sous faible abaissement du plan d’eau

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3.2.2. Moment de dépôt des évaporites : synchrone vs. diachrone

Sur la base des études réalisées dans les bassins périphériques de la Méditerranée, de nouveaux modèles seront proposés. Ces modèles ont pour objectif la corrélation des observations sismiques effectuées sur le remplissage du bassin central avec les observations de terrain effectuées sur les bassins périphériques.

Deux principaux modèles se sont alors proposés, différant sur le synchronisme ou le diachronisme du dépôt des évaporites dans les bassins centraux et périphériques (Fig. I-23) : le modèle synchrone soutient une simultanéité des dépôts d’évaporites sur l’ensemble de la Méditerranée (Krijgsman et al., 1999a ; Roveri et al., 2001 ; Manzi et al., 2007) ; l’ autre modèle soutient l’existence d’un diachronisme des dépôts évaporitiques entre les bassins périphériques et centraux (Butler et al., 1995; Clauzon et al., 1996b; Riding et al., 1998). ➢ L'hypothèse assimilant la précipitation des évaporites messiniennes à un processus

diachronique a été introduite par Rouchy (1982) et en outre élaborée par Rouchy et Saint-Martin (1992). Dans ce scénario, le début du dépôt d'évaporites commencerait dans les bassins périphériques moins profonds et migrerait progressivement vers les bassins les plus profonds (Rouchy et Caruso, 2006) ; Fig. I-23 e).

Sur la base de données magnétostratigraphiques dans les sous-bassins siciliennes, Butler et al. (1995) (Fig. I-23 a) ont montré que les premiers dépôts d'évaporites sont formés aux alentours de 6,88 Ma, tandis que les plus jeunes dépôts sont précipités plus de 800 ka plus tard. Ce scénario diachrone a été également proposé par Riding et al. (1998) (Fig. I-23 c). Ainsi, sur la base de l’enregistrement sédimentaire des Cordillères Bétiques (Espagne), ces auteurs suggèrent que la précipitation des évaporites a commencé au début du Messinien dans les bassins à terre, puis s’est déplacée vers le bassin profond de la Méditerranée au Messinien moyen, et finit dans les bassins périphériques à la fin du Messinien.

Clauzon et al. (1996) (Fig. I-23 b), quant à eux, proposent un scénario de la « MSC » qui s’est déroulé en deux étapes correspondant à deux chutes successives du niveau marin séparées par une brève remontée. La première chute du niveau marin est estimée entre 100 et 150 m et provoque le dépôt des évaporites dans les bassins périphériques. La seconde, correspond à une chute du niveau marin estimée à 1500 m (entre 5,6 et 5,32 Ma), et provoque le dépôt des évaporites centrales et l’érosion des marges.

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Figure I-23 : Modèles stratigraphiques de la Crise de salinité messinienne. (a, b, c) : modèles diachrones ; (e) :

modèle légèrement diachrone ; (d, f) : modèles synchrones. D’après Roveri et al. (2014).

➢ Les modèles synchrones (Krijgsman et al., 1999a ; Roveri et al., 2001 ; Manzi et al., 2007 ;

Fig. I-23 d, f) proposent une simultanéité des dépôts évaporitiques à travers la Méditerranée. Le développement d'une échelle de temps astronomique pour les dépôts messiniens inférieurs

(Hilgen et al., 1995) a permet l’évaluation de ces hypothèses synchrones et diachrones. Ainsi, sur la base de données magnétostratigraphiques, Gautier et al. (1994) ont suggéré un développement synchrone de la « MSC » en Sicile et en Andalousie limité au chron C3R. Les premières études cyclostratigraphiques détaillées ont montré que les plus anciennes évaporites dans tous les sous-bassins siciliens, sont formés de manière synchrone à un âge de 5,98 Ma

(Hilgen et Krijgsman, 1999). De plus, les datations astronomiques ont également montré que le dépôt d'évaporites en Espagne, en Grèce et en Chypre a eu lieu à peu près au même âge de 5,96 ± 0,02 Ma (Krijgsman et al., 1999a, 2002), démontrant que le début des dépôts d'évaporites était synchrone à l'est et à l'ouest de la Méditerranée. Cet âge a été reprécisé à 5.97 Ma par

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