• Aucun résultat trouvé

III. CONCLUSION GÉNÉRALE

3.2 Contributions théoriques

Sommairement, l’article empirique s’inscrivant dans le cadre du présent mémoire permet de répondre à certaines lacunes propres à la littérature scientifique chez la population militaire canadienne. Il permet également d’apporter des informations nouvelles à la lumière des disparités dans les écrits scientifiques en ce qui a trait au rôle de l’auto-accusation dans un contexte post-traumatique. Qui plus est, il fournit des précisions quant à l’impact respectif des variables d’intérêt sur l’ajustement psychologique par l’entremise de l’ajout d’une mesure sur la perception de la qualité de vie. Enfin, le présent ouvrage soulève des pistes de réflexion quant aux mécanismes d’action par lesquelles les différents types de cognitions post-traumatiques et stratégies d’adaptation peuvent œuvrer en lien avec différentes composantes de la santé mentale.

3.2.1 Précisions quant à l’impact des cognitions post-traumatiques associées au soi et au monde

D’abord, les résultats de la présente étude permettent d’apporter des précisions quant à la contribution respective des cognitions associées au soi et au monde sur l’ajustement psychologique d’ACC. Nos résultats mettent en lumière l’importance de considérer à la fois les cognitions relatives au soi et au monde pouvant résulter de l’exposition à un évènement traumatique. En effet, ces deux aspects offrent une

compréhension plus élaborée des processus par lesquels ces composantes peuvent agir sur les symptômes du TSPT. Ainsi, en nous appuyant sur les résultats de ce mémoire doctoral et sur les modèles cognitifs actuels du TSPT (Foa & Rothbaum, 1998 ; Ehlers & Clark, 2000), il est possible de croire que les évaluations erronées que font les ACC de l’événement traumatique et/ou de ses séquelles contribuent à maintenir et à exacerber la pathologie, du moins en partie, en modulant les schémas qu’entretient un individu sur la confiance qu’il peut avoir en lui-même (schéma soi) et en son environnement (schéma monde). Autrement dit, ces altérations favoriseront un traitement de l’information traumatique de sorte que le sentiment de danger restera toujours actuel (structure de peur pathologique), une caractéristique centrale au TSPT.

En ce qui concerne les croyances post-traumatiques relatives au soi, nos données révèlent que les croyances à propos du soi, ainsi que l’impact de l’événement traumatique sur le soi, apportent la contribution la plus importante à la prédiction de l’ajustement psychologique. Malgré l’apport des modèles cognitifs actuels du TSPT dans notre compréhension des déterminants de l’ajustement post-traumatique, ceux-ci ne permettent pas nous éclairer sur la performance supérieure des cognitions post-traumatiques portant sur le soi à travers la littérature sur le TSPT. En ce sens, Cieslak et ses collègues (2008) avancent une hypothèse alternative sur les mécanismes par lesquels les cognitions post- traumatiques impactent la sévérité du TSPT. Ces auteurs suggèrent que la détresse post- traumatique ne résulte pas des cognitions post-traumatiques elles-mêmes, mais plutôt qu’elles opèrent via des perceptions d’efficacité personnelle. Spécifiquement, les perceptions d’auto-efficacité font référence aux croyances qu’un individu détient sur ses capacités à composer avec les demandes relatives à l’adaptation post-traumatique au moyen d’actions adaptatives (Cieslak & al., 2008). Précisons que ce concept se distingue des croyances négatives sur soi mesurées par le PTCI (Foa & al., 1999), ces dernières reflétant des auto-évaluations plus générales et faisant référence à un vaste domaine du fonctionnement humain (p. ex., soi comme faible/incapable, empiré pour toujours et sans avenir).

Dans leur étude, Cieslak et ses collègues (2008) ont démontré, auprès de victimes d’agressions sexuelles et d’accidents de véhicules à moteur, que les scores au PTCI (soi

(indirectement), mais que ces relations étaient expliquées par les croyances d’efficacité personnelle (variable médiatrice). Qui plus est, plusieurs écrits scientifiques portant sur les perceptions d’efficacité personnelle en lien avec l’adaptation post-traumatique ont démontré que ces perceptions sont fortement prédictives de l’ajustement psychologique pour une variété d’évènements traumatiques (Benight & al., 2000; Bosmans & Van der Velden, 2015; Hirschel & Schulenberg, 2009), incluant le combat militaire (Solomon, Benbenishty & Mikulincer, 1991). Des données d’études longitudinales menées auprès de survivants de désastres naturels (Benight & Harper, 2002) et d’accidents de véhicules à moteur (Benight, Cieslak, Molton, & Johnson, 2008) abondent dans le même sens, démontrant que les cognitions d’efficacité personnelle détiennent un rôle médiateur par lequel la détresse initiale influence le développement de symptômes post-traumatiques subséquents. Sommairement, bien que les modèles actuels du TSPT (Foa & Rothbaum, 1998 ; Ehlers & Clark, 2000) avancent que les cognitions négatives présentes à la suite de l’événement traumatique (soi et monde) sont les prédicteurs directs les plus proximaux de la sévérité post-traumatique, Cieslak et ses collègues (2008) défendent que ces cognitions négatives générales opèrent via d’autres cognitions spécifiques à l’événement traumatique. L’inclusion de l’influence des perceptions d’efficacité personnelle aux modèles actuels du TSPT pourrait s’avérer utile. D’autres études sont nécessaires pour vérifier ce modèle « amélioré ».

Nous estimons que les résultats des études de Cieslak et ses collègues (2008) puissent expliquer, du moins en partie, la contribution supérieure des auto-évaluations négatives à la suite de l’événement traumatique (PTCI-soi) sur l’ajustement psychologique. Étant donné les similarités entre ces cognitions générales (p. ex., soi comme incapable et faible) et celles spécifiques à l’adaptation traumatique (efficacité personnelle), il est possible de croire que les cognitions associées au schéma personnel (soi) du PTCI aient hérité d’une valeur explicative plus importante dans l’explication de l’ajustement psychologique des ACC. Essentiellement, nos résultats ainsi que ceux de Cieslak et ses collègues (2008) suggèrent que la vision qu’un individu détient de sa personne et plus particulièrement de ses capacités à composer avec les demandes de l’évènement traumatique est particulièrement déterminante en termes d’adaptation

3.2.2 Précisions quant à l’impact des stratégies d’adaptation

De façon générale, les résultats de la présente étude ne permettent pas de démontrer la contribution unique significative des moyens employés pour composer avec l’évènement traumatique sur l’ajustement psychologique lorsque ceux-ci compétitionnent avec les cognitions post-traumatiques. Tout d’abord, nos résultats proposent que la contribution des stratégies d’adaptation (approche et évitement) à l’explication de la sévérité post-traumatique et de la perception de la qualité de vie soit moindre que celle des cognitions post-traumatiques. Conformément aux modèles actuels du TSPT (Foa & Rothbaum, 1998 ; Ehlers & Clark, 2000), une explication possible résulte de l’occurrence première des cognitions post-traumatiques par rapport aux stratégies d’adaptation. Spécifiquement, ces auteurs proposent que les stratégies d’adaptation employées à la suite d’un évènement traumatique ne résultent pas de l’évènement lui-même, mais servent plutôt à contrôler le sentiment d’actualisation de la menace, celui-ci étant occasionné par les cognitions post-traumatiques. Pour cette raison, nous supposons ainsi que, bien que les stratégies d’adaptation mésadaptées puissent contribuer à générer des symptômes post-traumatiques, cet effet semble être indirect et moindre. En effet, il est possible de croire que les stratégies d’adaptation employées pour composer avec l’événement traumatique et ses séquelles contribuent davantage aux symptômes du TSPT en confirmant (ou inversement en infirmant) les croyances post-traumatiques, particulièrement celles concernant la perception d’un individu en ses capacités à gérer les demandes associées au rétablissement post-traumatique.

En ce qui concerne la prédiction de la perception de la qualité de vie, il convient de soulever que la contribution des stratégies de réévaluation positive/résolution de problème fut significative au temps 2. Bien que ces résultats ne furent pas vérifiés, nous nous permettons tout de même de postuler que le fait d’intervenir sur les situations stressantes et problèmes de la vie puisse induire des bienfaits en termes de bien-être psychologique en augmentant le fonctionnement des individus, et ce, en dépit de symptômes cliniquement significatifs. Ces résultats abondent dans le même sens que ceux de Tiet & al. (2006) ayant démontré, auprès d’individus dont l’événement traumatique est associé au combat, que l’usage des stratégies d’engagement prédisait un

meilleur fonctionnement social et familial, malgré la présence de symptômes post- traumatiques chroniques.

3.2.3 Précisions quant à l’impact des cognitions post-traumatiques associées à l’auto- accusation et analyses exploratoires

Les résultats obtenus dans ce mémoire doctoral révèlent l’absence d’une contribution significative des cognitions relatives à l’auto-accusation, telles que mesurées par le PTCI, à la prédiction de la sévérité post-traumatique et de la perception de la qualité de vie auprès de cet échantillon d’ACC. Cependant, les résultats obtenus par l’ajout des dimensions cognitives associées à la culpabilité de Kubany (1996) amènent un éclaircissement quant aux nuances à apporter en lien avec le rôle de l’auto-accusation. Spécifiquement, nos résultats suggèrent que seule la perception d’avoir enfreint des normes morales ou personnelles durant l’évènement traumatique contribue à l’explication de la sévérité post-traumatique. Ces résultats abondent dans le même sens que les écrits scientifiques sur le phénomène de la blessure morale au sein des vétérans de guerre. Comme mentionné, la blessure morale survient lorsqu’un individu viole ses croyances morales fondamentales et ne réussit pas à contextualiser ses actions/inactions ou celles d’autrui. Par exemple, bien que la violence en théâtre de guerre (p. ex., tirs sur autrui et meurtre) puisse être nécessaire et faire état de courage, celle-ci est fréquemment condamnée et punie dans la société. L’incapacité à concilier ses actions avec ses valeurs morales profondes peut conduire un individu à évaluer négativement ses comportements, ce qui, à son tour, peut susciter des émotions telles que la culpabilité, la honte, le chagrin et les remords (Litz & al., 2009). Maguen & Litz (2012) avancent que bien qu’il puisse exister des chevauchements entre les concepts de TSPT et de blessure morale, chacun est doté de composantes uniques et différentes. Ces auteurs proposent qu’ils constituent des conséquences distinctes à la suite d’un évènement traumatique.

Bien que la nature du devis transversal employé ne nous permette pas d’élaborer de liens de causalité, nous nous permettons d’émettre certaines hypothèses sur le sujet. Tout d’abord, à partir des résultats obtenus, nous estimons que la conceptualisation actuelle du TSPT puisse comprendre des éléments qui sont mieux expliqués par le phénomène de la blessure morale, notamment concernant la culpabilité. Cela pourrait

nous éclairer sur l’hésitation de l’American Psychological Association (APA) à intégrer une telle émotion dans leur définition du TSPT, celle-ci ayant été intégrée dans le DSM- III (1980) en tant que la « culpabilité du survivant » et à nouveau dans le DSM-5 en tant qu’un « sentiment persistant et déformé de culpabilité associé à soi ou aux autres concernant les causes et conséquences de l’événement traumatique » (APA, 2013). Par ailleurs, le fait que ces deux phénomènes (TSPT et blessure morale), considérés comme des conséquences distinctes à la suite d’un évènement traumatique (Litz & al., 2009 ; Maguen & Litz, 2009), ne sont généralement pas discernés dans la littérature post- traumatique peut nous éclairer sur l’ambiguïté des résultats relatifs à la sous-échelle de l’auto-accusation du PTCI.

Bien qu’il soit possible de croire que la perception d’avoir transgressé des valeurs morales profondes puisse exercer une certaine influence sur les symptômes du TSPT, elle semble opérer différemment, notamment en ce qui concerne la perception du bien-être psychologique. Spécifiquement, il semblerait qu’elles puissent conférer un effet protecteur en lien avec la perception de la qualité de vie, du moins dans cet échantillon de vétérans de guerre canadiens. Ces résultats se voient supportés par la théorie de Janoff- Bulman (1992) dans laquelle on avance que certaines formes d’auto-accusation puissent être protectrices dans certaines circonstances. Dans cette théorie, on insiste sur une distinction entre l’auto-accusation comportementale, qui implique d’attribuer les causes de l’évènement traumatique à des aspects contrôlables et modifiables de sa personne (p. ex., actions spécifiques), et l’auto-accusation caractérielle, qui implique d’attribuer les causes à des aspects incontrôlables (p. ex., personnalité). Janoff-Bulman (1992) suggère que l’auto-accusation comportementale, plutôt que caractérielle, puisse mener à une détresse post-traumatique moindre en augmentant la perception de contrôle sur la survenue des évènements traumatiques. Autrement dit, en attribuant les causes de l’évènement aux actions commises (p. ex., marcher seul le soir), l’individu peut renforcer l’impression qu’il sera plus apte à prévenir ou contrôler, en modifiant ces aspects contrôlables, la survenue d’évènements négatifs futurs (p. ex., agression sexuelle), soit une peur centrale dans le TSPT. Ainsi, l’auto-accusation comportementale semble réduire la perception de vulnérabilité. Ces résultats abondent dans le même sens que ceux

d’études réalisées auprès d’individus souffrant de TSPT d’évènements traumatiques divers (Delahanty & al., 1997 ; Koss & al., 2002 ; Stardup & al., 2007).

En plus des hypothèses avancées sur la composition de l’échantillon (Beck & al., 2004), Startup et ses collègues (2007) proposent que la performance inconstante de la sous-échelle de l’auto-accusation du PTCI dans la littérature puisse résulter de son incapacité à discriminer entre l’auto-accusation comportementale et caractérielle (contenu). En ce sens, certains items de cette sous-échelle (p. ex., « L’évènement est survenu à cause de la manière dont j’ai agi. ») semblent mesurer l’auto-accusation comportementale alors que d’autres (p . ex., « L’évènement m’est arrivé à cause du genre de personne que je suis.) semblent davantage mesure l’auto-accusation caractérielle. Compte tenu de la possibilité d’un effet protecteur de l’auto-accusation dans certaines circonstances, l’échec d’une discrimination de cette variable (comportementale et caractérielle) dans le PTCI pourrait offrir une autre explication à la variabilité des scores à cette sous-échelle dans la littérature.

À la lumière de nos résultats, il apparaît pertinent de diversifier les indicateurs de la santé mentale chez les individus aux prises avec des symptômes post-traumatiques, cela pouvant fournir des informations nouvelles et tenir compte de la complexité des associations entre nos variables d’intérêts et l’ajustement psychologique d’ACC. Bien que le fait de se blâmer pour les causes de l’évènement puisse contribuer à la sévérité post-traumatique, il semble que cela puisse, dans certains cas, s’avérer protecteur en termes de perception de la qualité de vie. Nous nous permettons tout de même de supposer que, bien que le fait de blâmer ses actions pour les causes de l’évènement puisse contribuer à amélioration la perception de la qualité de vie en diminuant l’anxiété associée à la perte de contrôle (Janoff-Bulman, 1992 ; Stardup & al., 2007), cela puisse à la fois agir à titre de facteur de maintien de certains symptômes. En ce sens, il est possible de croire que l’évitement systématique des actions commises pendant l’évènement traumatique puisse empêcher l’acquisition d’informations nouvelles et incohérentes avec les éléments existants dans la structure de peur, soit un processus essentiel au rétablissement et à la digestion émotionnelle de l’événement traumatique. D’autres études sont nécessaires dans le but de vérifier de telles affirmations.

Documents relatifs