• Aucun résultat trouvé

1. Recours au contrat court pour « contourner » certaines « contraintes » du CDI

1.2 Des contraintes liées à la gestion des contrats de travail

Le recours aux contrats courts se présente parfois comme la seule solution face à d’autres « contraintes » inhérentes au régime juridique du CDI, ou répondant à des choix de gestion de l’employeur : organisation du travail, durée de la période d’essai, règles de la rupture du contrat ou encore personnel permanent insuffisant sont autant de raisons invoquées par les employeurs enquêtés.

1.2.1 Des contraintes liées aux plannings, diplômes et à la durée maximale du contrat

Changement de planning

Deux des conventions collectives applicables dans nos établissements de santé imposent un délai de pré- venance de une à deux semaines pour tout changement de planning60. Notamment, la convention relative

aux établissements médico-sociaux de l’Union intersyndicale des secteurs sanitaires et sociaux prévoit que toute modification nécessite que le salarié en soit informé au moins sept jours à l’avance, sauf circonstance exceptionnelle et non prévisible. Une absence pour maladie, généralement imprévue, ne permettra donc pas de modifier le planning au dernier moment, sauf à la considérer comme exceptionnelle et non prévi- sible, ce qui est peu probable. Outre l’aspect juridique, on peut relever que les salariés sont attachés à leur planning et à sa prévisibilité et que de trop nombreux changements dégradent les conditions de travail. Dans le secteur du commerce, nous l’avons vu, beaucoup de salariés travaillent à temps partiel. Vont donc s’appliquer les règles du temps partiel concernant les possibilités de modification d’emploi du temps. En outre, pour tous salariés, la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance ali- mentaire dispose que les horaires de travail doivent être affichés deux semaines à l’avance et ne pourront être modifiés qu’en cas de circonstances imprévues61.

Diplôme obligatoire pour le CDI

Dans le secteur de la santé, l’exercice de certaines professions en CDI nécessite l’obtention d’un diplôme, alors que celui-ci ne sera pas nécessaire pour une embauche en CDD pour occuper le même poste. Ainsi,

58 Art. 6.2.4. 59 Art. 39.

60 La CC relative aux établissements médico-sociaux de l’Union intersyndicale des secteurs sanitaires et sociaux et la

CCN des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif.

chez HANDI-G, « Pour le CDI il faut un diplôme, c’est une règle éthique et conventionnelle ». En cas de pénurie de main-d’œuvre diplômée disponible, notamment liée au territoire, la seule solution pour pallier l’urgence demeure le CDD.

L’accès à la fonction publique est conditionné par le concours. L’embauche d’un agent contractuel ne né- cessite pas de passer par cette étape.

Contraintes conventionnelles ou internes liées à la durée maximale du contrat

La convention collective des organismes de sécurité sociale dispose qu’« exceptionnellement et pour un travail déterminé, il pourra être procédé à l’embauchage de personnel temporaire pour une durée déter- minée et au maximum de trois mois, qui pourra être renouvelé une fois », après avoir posé la règle selon laquelle « tout nouvel agent sera titularisé, au plus tard après six mois de présence effective dans les ser- vices, en une ou plusieurs fois »62. Aucune dérogation n’est apportée à cette règle, qui impose donc de

chercher sans cesse de nouveaux candidats pour pallier les besoins temporaires de main-d’œuvre. La direction d’un établissement peut choisir de limiter la durée des CDD, sans pour autant que celle-ci soit inférieure à un mois, dans le respect des dispositions légales. Dans l’un de nos établissements, c’est le logiciel de gestion des contrats qui est paramétré pour limiter la durée des contrats à un mois maximum : (EHPAD-AVI). Dans d’autres établissements, l’usage est de ne pas faire de contrats de plus d’une semaine, qui peuvent se succéder sur plusieurs mois, voire une année entière, sans que la justification ne soir clai- rement énoncée : l’une des communautés d’agglomération enquêtée (COMMAGLO1-AVI) emploie ainsi systématiquement les remplaçants du service déchet en CDD d’une semaine, reconduits chaque semaine. SUPER-G précise que le siège oblige l’établissement à recourir à l’intérim pour les remplacements, sous la forme de missions d’une semaine, renouvelées chaque semaine.

1.2.2 Des contraintes liées à la période d’essai et à la rupture du contrat

Le contrat à durée déterminée comme période d’essai

Le recours au CDD comme « période d’essai » semble être devenu la norme pour beaucoup d’employeurs (Dares, 2017)63. Si le CDD est souvent ouvertement présenté comme une période d’essai avant pérennisa-

tion, il arrive aussi que le processus résulte d’un enchaînement d’évènements opportun : une personne est recrutée en CDD pour un besoin temporaire, elle est ensuite embauchée en CDI parce qu’un poste s’est libéré (ou un emploi a été créé) et que l’employeur préfère recruter une personne qu’il connait. BRICO- AVI, a ainsi recours systématiquement au CDD comme période d’essai. Chez ENFANTS1-AVI, « le CDD est la norme avant un recrutement plus long ». Plusieurs employeurs enquêtés estiment insuffisante la pé- riode d’essai du CDI, face à une « nouvelle génération » jugée moins fiable que les précédentes. Au point parfois d’observer des cas de contrats courts reconduits sur une longue période, allongeant d’autant la période durant laquelle le salarié doit faire ses preuves. De fait, certaines conventions collectives réduisent

62 Art. 17. 63 65 %.

la durée légale de la période d’essai64 : la convention collective des établissements et services pour per-

sonnes inadaptées et handicapées prévoit une durée d’un mois, sauf pour les cadres65 ; celle de l’hospita-

lisation privée, ramène l’essai à un mois pour les employés, deux pour les techniciens et agents de maîtrise, trois pour les cadres66.

Le contrat court comme contournement des règles relatives à la rupture

L’idée que le CDI serait un contrat permanent, liant l’employeur au salarié avec peu de possibilités de rupture, est bien ancrée – le terme de « titularisation », propre à la fonction publique, est d’ailleurs aussi utilisé dans le secteur privé. C’est parfois très clairement exprimé : « [On ne fait] pas d’embauche directe en CDI car c’est difficile après de se séparer de la personne » (RESI-G). On aurait alors recours au CDD afin de ne pas avoir à appliquer les règles relatives à la rupture du CDI, procédure de licenciement et motivation de la rupture. Bien que ce motif ne soit pas la raison première invoquée par les employeurs à l’origine du recours aux contrats courts, c’est d’ailleurs lui qui a guidé plusieurs des dernières réformes du droit du travail (Kirat, 2019). La rupture anticipée du CDD est quant à elle très limitée : seuls l’accord des parties, la faute grave du salarié, son inaptitude physique ou la force majeure permettent, en effet, de rompre un CDD avant son terme67. La rupture pour un autre motif est sanctionnée par le paiement au salarié de

dommages et intérêt d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, y compris l’indemnité de précarité lorsqu’elle est due68. Un licenciement en CDI devant reposer

sur une cause réelle et sérieuse, une rupture anticipée du CDD très limitée ont peut-être conduit certains employeurs à préférer le contrat court, avec lequel, de fait, le risque de rupture anticipée est plus faible.

1.2.3 Moins de permanents et augmentation des absences / coût du remplacement

Selon l’enquête Offre d’emploi et de recrutement 2016 de la Dares (2017), 56% des employeurs ont recours aux CDD au motif qu’ils n’ont pas une vision à long terme de leur volume d’activité. Si l’assertion semble admise pour le secteur du commerce, on constate une situation comparable dans les secteurs de la santé et des collectivités territoriales : les établissements enquêtés dans ces secteurs déclarent ne pas avoir suffisamment de personnel permanent pour faire face aux absences, dont les principales causes sont les congés payés et les arrêts maladies (qui ne sont généralement pas établis pour une longue durée mais reconduits si nécessaire). Face à un volume d’heures de remplacement d’autant plus important que les conditions de travail sont pénibles69, le nombre de salariés du noyau dur (salariés en CDI ou agents

titulaires), ne suffit pas à combler les absences. Le recours au CDD est en particulier inévitable lorsque le salarié absent doit obligatoirement être remplacé : à certaines périodes dans le commerce, pour certains postes dans les établissements de santé, et enfin pour certains services publics.

L’option d’embaucher davantage de personnel permanent étant écartée, souvent par contraintes budgé- taires, le choix est parfois fait de ne pas procéder au remplacement, les tâches étant alors réparties entre les personnels présents, sans pour autant qu’il n’y ait recours aux heures supplémentaires. Cette décision

64 Art. L. 1221-19 c. trav. : 2 mois pour les ouvriers et employés, 3 mois pour les agents de maîtrise et les techniciens,

4 mois pour les cadres, renouvelable une fois pour la même durée.

65 Art. 13 bis. 66 Art. 43.

67 Art. L. 1243-1 c. trav. 68 Art. L. 1243-4 c. trav.

69 La question des conditions de travail a d’ailleurs souvent été évoquée par nos employeurs, les métiers concernés

par les absences étant souvent considérés comme pénibles (charge de travail, rythmes de travail, horaires de travail, …).

peut également résulter de la difficulté de trouver du personnel qualifié disponible, notamment dans cer- tains territoires. Le CDD, souvent de courte durée, s’avère donc souvent la seule solution lorsque le rem- placement est nécessaire. Les contraintes budgétaires étant le plus souvent invoquées comme motif de l’absence d’augmentation de la main-d’œuvre permanente, on peut s’interroger sur le coût du recours au CDD de remplacement : est-ce une solution « économique » pour l’employeur ?

Le recours au CDD de remplacement suppose le versement du salaire et des charges afférentes au salarié embauché en CDD, ainsi qu’une indemnité compensatrice de congés payés et une indemnité de précarité dans le secteur privé70, plus des coûts indirects (personnel en charge du recrutement et gestion du contrat

de travail). À cela s’ajoute, selon le motif de l’absence, le versement d’un complément aux indemnités journalières versées aux salariés du secteur privé et aux agents contractuels et le paiement de tout ou partie du traitement des fonctionnaires, pour un arrêt maladie, le versement du salaire ou du traitement en cas de congés payés. Il faudra, à partir d’une date non encore connue, ajouter dans certains cas une majoration de la contribution à l’assurance chômage (bonus-malus).

Concernant les salaires et charges du salarié embauché en CDD, malgré le principe d’égalité de traitement entre salariés en CDI et salariés en CDD71, la rémunération n’est pas équivalente, en raison de la différence

d’ancienneté. Dans la fonction publique, le recours au contractuel coûte moins cher que le recours à un fonctionnaire : « Sur les contractuels, on embauche sur le premier échelon du grade la plupart du temps. Donc c’est sûr que ça coûte moins cher. […] sur l’ancienneté, les indices de carrière, les primes, bon, il y a une petite économie souvent sur l’embauche en contractuel » (Comcom1-BRI). Selon une jurisprudence constante du Conseil d’État il n’existe en effet pas de principe d’égalité de traitement entre fonctionnaires et agents contractuels, solution remise en cause par une décision récente de la CJUE (Luzuy et al., 2020)72.

Dans le secteur privé, à l’inverse, le coût d’un salarié en CDD peut être plus élevé que celui d’un salarié permanent en raison de l’indemnité de précarité, pour les postes faiblement rémunérés. Dans le secteur de la santé par exemple, où les salaires à l’entrée sont bas, les jeunes diplômés préfèrent enchaîner les CDD de courte durée, mieux rémunérés que des CDI, offres qu’ils refusent parfois. Un tel écart peut d’ail- leurs créer des tensions avec les salariés permanents.

Les coûts indirects sont plus difficiles à chiffrer. Selon les structures, du personnel est dédié aux missions de recrutement, à temps plein ou en partie ; cette tâche est aussi parfois déléguée. Les employeurs en- quêtés expliquent ainsi consacrer beaucoup de temps à constituer un vivier de candidats, publier des offres, faire appel à une plateforme d’emploi, contacter les candidats. Une fois le candidat choisi, les con- trats de courte durée sont souvent signés bien après le délai de deux jours imposé par la loi, parfois même seulement à la fin du mois lorsque plusieurs CDD ont été conclus avec le même salarié (CLINIC2-AVI). Concernant le travailleur remplacé, le coût dépendra notamment du motif de l’absence. En cas d’absence pour prise de congés payés, l’employeur continue, bien entendu, à verser le traitement ou le salaire. Pour un arrêt maladie, les situations sont variées. Lorsqu’il s’agit d’un fonctionnaire, c’est son employeur qui continue à lui verser son traitement, à 100% puis 50%, après un jour de carence. Pour les salariés du sec- teur privé et les agents contractuels, l’employeur versera un complément aux indemnités journalières ver- sées par les organismes de sécurité sociale73, après plusieurs jours de carence, selon les conventions col-

lectives, pour les salariés du secteur privé, 1 jour pour les contractuels de la fonction publique. Ainsi, la

70 A noter que la loi de transformation de la fonction publique prévoit le paiement d’une indemnité aux agents con-

tractuels dans certains cas.

71 Art. L. 1242-15 c. trav.

72 CJUE n° C-72/18 du 20 juin 2019.

73 Par exemple, art. 7.4.1. CCN du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire : En cas de maladie ou

convention collective des entreprises de la filière sports-loisirs prévoit que le complément des indemnités journalières sera versé après 7 jours de carence et seulement aux salariés ayant un an d’ancienneté74.

Certains employeurs énoncent ainsi que le surcoût n’est pas si important, notamment car « les IJ sont inférieures au salaire, donc cela diminue le surcoût du CDD » (ENFANTS-AVI). Ce délai est toutefois souvent supprimé en cas d’accident du travail. Un employeur soulignant à ce sujet que cette règle tend à faire augmenter le nombre de déclarations d’accidents du travail (EHPAD-G). De même, certaines conventions collectives ne prévoient pas de délai de carence pour le versement du complément75, l’employeur devant

en outre se substituer aux organismes de sécurité sociale pour les trois jours de carence (ENFANTS-G).

Outline

Documents relatifs