• Aucun résultat trouvé

1. Budget, cadre législatif et changement institutionnel : les facteurs d’évolution de la gestion des agents

1.2 Le cadre statutaire et législatif de recours au contrat dans la fonction publique territoriale

Dans la fonction publique, le recrutement d’agents contractuels est autorisé par dérogation au principe d’occupation des emplois permanents par des agents titulaires du statut. Parce qu’il présente un caractère dérogatoire au regard du statut, qui reste la norme légale de recrutement dans la fonction publique, le recours aux contractuels n’est autorisé que s’il peut être rattaché à des motifs inscrits dans la loi. Si cette situation est en tout point comparable au droit privé (cf. 1ère partie, II.), les employeurs publics le décrivent

comme un cadre strict, une contrainte pour leurs pratiques d’embauche : « On est très encadré. » (MAIRIE-BRI)

« Une collectivité peut remplacer un fonctionnaire absent mais dans certaines conditions, c’est donc assez difficile. La loi permet d’élargir cette possibilité en recrutant des contractuels, mais c’est limité dans le temps. » (GEST-AVI)

Dans les collectivités, les cas de recours au contrat sont précisés par la Loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant Statut de la fonction publique territoriale (Biland, 2013). Dans sa version actualisée par la Loi Transformation de la fonction publique (Loi n° 2019-828 du 6 août 2019) les recrutements répondant à des besoins temporaires sont distingués de ceux répondant à des besoins permanents.

1.2.1. Le recours au contrat est principalement autorisé pour répondre à des besoins temporaires

Les cas de recours prévus par le statut ont été clairement définis dès 1984, et se sont sans cesse accrus depuis 10 ans. Les recrutements en dehors du statut sont d’abord, logiquement, autorisés pour répondre à des besoins temporaires, dont l’accroissement temporaire ou saisonnier d’activité (article 3). Le motif d’accroissement temporaire d’activité autorise un recrutement en CDD pour une durée maximale de 12 mois, renouvellement compris, sur une période de 18 mois consécutifs. Le motif d’accroissement saisonnier d’activité autorise quant à lui un recrutement en CDD pour une durée maximale de six mois, renouvellement compris, sur une période de douze mois consécutifs. La durée minimale n’est pas précisée, autorisant tacitement le recrutement pour une durée inférieure à un mois. S’ajoutent à ces besoins temporaires deux autres cas de recours : d’abord celui du remplacement temporaire de fonctionnaires ou d'agents contractuels (article 3.1), qui autorise le recrutement en CDD renouvelable, dans la limite de la durée de l'absence de l'agent à remplacer) ; ensuite celui de la vacance temporaire d'emploi dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire (article 3.2). Dans ce dernier cas, la durée maximale du CDD est de un an, renouvelable jusqu’à deux ans.

Les propos des responsables RH enquêtés laissent quelquefois entendre une certaine ambiguïté sur les motifs de recours utilisés pour rédiger les contrats : en été, le remplacement du personnel en congé peut ainsi être pourvu par un CDD dit « saisonnier » (correspondant au motif d’accroissement saisonnier d’activité).

Encadré 1 : Des vacations en lieu et place des contrats courts ? À propos des catégories « indigènes » Les entretiens avec les employeurs publics montrent que, comme ailleurs, le critère de durée n’est pas prégnant dans les catégories « indigènes ». Le seuil de trois mois semble cependant faire consensus dans les discours et les usages, car il correspond au seuil en deçà duquel les collectivités doivent faire appel aux services de remplacement des centres de gestion de la fonction publique territoriale, qui entretiennent des viviers d’agents temporaires pour répondre à ces besoins courts. Les CDD « longs » sont généralement plutôt d’une durée égale ou supérieure à un an – les CDD de trois ans, renouvelables une fois, répondent à d’autres logiques de recrutement et de gestion : non seulement ils sont assortis de possibilités d’évolutions de salaire, de formation et d’une meilleure protection sociale, mais ils ouvrent la possibilité d’une « cédéisation », forme de stabilisation distincte d’une titularisation mais offrant des perspectives de promotion et de mobilité professionnelle.

À l’inverse, les contrats de courte durée s’apparentent à des emplois morcelés, n’ouvrant droit qu’à une protection sociale éparse et hasardeuse, et n’engageant que rarement sur la voie d’une stabilisation. C’est sans doute pour cela que ces « petits » contrats sont souvent confondus avec les « vacations », qui désignent une situation d’emploi caractérisée par une tâche ponctuelle ne nécessitant pas d'engager un agent contractuel, ou dont le caractère d'urgence nécessite le recours à un intervenant extérieur.

Le cas typique dans les collectivités est celui des agents recenseurs, mobilisés de manière ponctuelle lors des campagnes de recensement. C’est la solution qu’a retenu MAIRIE3-G pour la première fois, après avoir embauché des agents en contrat court les années précédentes : « Dans ce cas, on n’a pas à payer l’indemnité de congé payé, c’est moins cher ».

De fait, l’emploi à la vacation ne relève d'aucune disposition législative ou règlementaire et ne donne droit ni aux congés, ni à la formation – la rémunération inclut néanmoins des cotisations sociales (sauf pour les fonctionnaires cumulant). De fait, le terme est souvent utilisé à tort pour désigner un agent public contractuel rémunéré pour des durées très courtes, mais de manière répétée. Or, juridiquement, ceux-ci devraient être employés de manière continue sur des emplois à temps incomplet ou non complet ou employés de manière saisonnière.

Cela semble être le cas pour les contractuels affectés à la collecte des ordures ménagères dans cette collectivité, où le CDD de 6 mois correspond à un nombre de prestations prédéfinies, payées à l’heure : « Sur les remplacements courts, pour 2 ou 3 jours par exemple, on fait appel à des vacataires pour éviter l’interruption de collecte. […] C’est des contrats de 6 mois, avec 12 vacations par mois maximum. C’est payé à l’heure. On peut parfois appeler la veille pour le lendemain... donc bon, on ne peut pas faire un contrat normal. » (METROP-G)

Au-delà de ces cas de recours couvrant des besoins temporaires, et apportant aux employeurs publics une dose de flexibilité pour recruter hors du statut, le recrutement d’agents contractuels est en outre autorisé pour répondre à des besoins permanents (article 3.3). Ces cas de recours ont d’ailleurs été considérablement assouplis par la Loi Transformation de la fonction publique (Loi n°2019-828 du 6 août 2019) : le recrutement par contrat est autorisé lorsque les besoins des services ou la nature des fonctions le justifient, ou lorsque la quotité de temps de travail est inférieure à 50 % ; le recours est même possible pour tous les emplois pour les « petites » collectivités (communes de moins de 1 000 habitants et groupements de communes de moins de 15 000 habitants, ainsi que pour les communes nouvelles issues de la fusion de communes de moins de 1 000 habitants, pendant une période de trois années suivant leur création). Dans tous ces cas, les CDD sont conclus pour une durée maximale de trois ans, et sont renouvelables dans la limite d'une durée maximale de six ans (au-delà, ils sont reconduits pour une durée indéterminée)149.

1.2.2. Le contrat court comme solution parmi d’autres sources de flexibilité

Dans la fonction publique, les contrats courts sont historiquement la principale source de flexibilité offerte aux employeurs pour absorber les charges de travail supplémentaires, qu’elles soient temporaires, saisonnières ou liées à des agents absents ou à des vacances de postes. Mais en contexte de pénurie et/ou de contrainte budgétaire, recruter un contractuel ne se fait pas à la légère : les responsables du personnel

149 Les collectivités enquêtées en 2019 n’appliquaient pas encore l’une des dispositions les plus importantes de la Loi

Transformation de la fonction publique, introduisant le versement d’une prime de précarité (article 23) pour tous les CDD d’une durée inférieure ou égale à un an dont la rémunération brute globale est inférieure à un plafond fixé par décret. En ce qui concerne l’assurance chômage, les collectivités peuvent signer une convention avec Pole emploi lui confiant la gestion du versement de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) ; à défaut, elles sont en régime d’auto- assurance. Par ailleurs, les agents publics contractuels relèvent du régime général pour ce qui concerne les risques de maladie, accidents du travail ; ils disposent enfin d’un régime de retraite adossé sur une caisse spécifique : l’Ircan- tec (Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques).

évaluent précisément les coûts, et le remplacement des absences par des contrats courts fait l’objet d’arbitrages financiers préalables.

Dans l’exemple qui suit, les coûts de recrutement en CDD sont évalués au plus juste, allant jusqu’à calculer la durée minimale pour répondre aux besoins.

« Certes quand on était dans l’opulence, on ne "gérait" pas. Aujourd’hui, on n’a pas les moyens. Mais on n’en est pas encore à se dire "si je prends un vacataire pour tant d’heures ça me coutera moins qu’un CDD de trois jours", etc. On n’en est pas là, mais on sent qu’on s’y dirige. [...] La charge de travail RH est donc beaucoup plus importante dans ce contexte de remplacements, et de contrat court. On doit faire du cas par cas, on calcule tout au plus proche pour trouver un équilibre… pourquoi s’embêter à faire tout ça ? Eh bien on dégage des moyens, et plus on a de moyens, plus on peut faire d’autres choses dans la commune, rendre des services… » (MAIRIE1-G)

Ces exigences d’équilibre budgétaire et la nécessité de rendre des comptes concernent aussi les organismes de droit privé exerçant une mission de service public, qui doivent négocier avec l’État l’affectation des dépenses de fonctionnement – y compris la masse salariale – dans le cadre de conventions d’objectifs et de gestion et viser l’équilibre entre recettes et dépenses.

« On a une enveloppe pour l’année, alors vous savez, moi quand je dois embaucher, je ne regarde pas le profil du candidat en premier, je regarde mon budget ! C’est peut-être malheureux, mais c’est comme ça ! […] C’est l’État qui décide à quelle hauteur on remplace, puisque c’est lui qui nous attribue des enveloppes. Et ici, c’est comme partout vous savez, ça fait plusieurs années que les moyens sont à la baisse, sur les CDD comme sur les CDI. On préfèrerait avoir des CDI, mais on ne peut pas. Et les CDD on peut de moins en moins. On en faisait beaucoup plus il y a 6 ans environ… Là, je peux vous dire que ça s’est sévèrement calmé ! […] La durée du contrat est millimétrée, en lien avec le budget. » (SECU-BRI)

La question du coût salarial est particulièrement aigüe lorsqu’il s’agit du remplacement d’un agent absent pour raison de santé. En raison du maintien du salaire des agents titulaires lorsqu’ils sont en congé maladie, certains DRH enquêtés considèrent le salaire du contractuel remplaçant comme un « surcoût » : « Quand il s’agit d’une maladie courte, [...] le salaire du fonctionnaire est maintenu pendant 90 jours en plein traitement, il faut donc continuer à le payer. » (MAIRIE3-G)

« On ne remplace aucun arrêt maladie de courte période, d’une semaine à trois mois. Pour une grossesse, on remplace si on sait que derrière il y a un congé parental : pas de paie, donc là on peut remplacer, on bascule la paie de l’un sur l’autre. […] Pour les arrêts longs idem, quand les agents passent à mi-traitement au bout de 90 jours, les primes sont abattues, donc ça nous fait de la trésorerie, et là on peut éventuellement remplacer un peu. Ça, c’est ce qu’on fait sur tous les services où on n’est pas obligé de remplacer. […] Pour des raisons budgétaires, on ne remplace aucun congé annuel, c’est notre choix. Hormis cas très particuliers, sur les secteurs où il y a une forte activité, type la piscine, mais sinon on ne remplace pas. » (MAIRIE-BRI)

D’autres possibilités sont offertes aux collectivités territoriales pour faire face à cet ensemble de besoins temporaires : elles peuvent faire appel aux Centres de gestion de la fonction publique territoriale, qui disposent de « viviers » pour des « missions » de remplacement ou de surcroit d’activité de moins de trois mois, mais aussi aux agences d’intérim (depuis la Loi n° 2009-972 du 3 août 2009). Mais ces deux solutions « externes » ne sont pas suffisamment réactives aux yeux des employeurs (on y revient dans la partie 3.3.2.).

« Pour un remplacement de quelqu’un en arrêt, on pourrait passer par l’intérim. Mais comme nous sommes dans l’obligation de faire d’abord appel au centre de gestion pour voir s’il y a des agents en surnombre qui pourraient être placés… Il y a un délai avant que le centre ne nous réponde, puisqu’ils ont d’ailleurs un mois

maximum pour le faire, et donc… l’intérim n’a plus d’intérêt pour nous car nous ne pouvons le mobiliser dans l’urgence. […] Nous, dans les collectivités on ne peut pas se dire : il manque quelqu’un, je décroche mon téléphone et je trouve une personne pour remplacer. Le temps qu’on trouve, la personne est revenue souvent… Et il faut aussi vérifier les casiers des gens, même pour trois jours, donc cette vérification prend déjà 48H, ensuite le maire doit valider, et il faut signer le contrat, envoyer à la préfecture… Bref, vous voyez que pour 5 jours c’est compliqué. » (MAIRIE-BRI)

De fait, malgré l’introduction de l’intérim dans la fonction publique voici une dizaine d’années150, les

pratiques des employeurs ont très peu évolué à ce sujet : l’intérim est globalement évité par toutes les collectivités territoriales enquêtées, sauf de façon exceptionnelle, par défaut. L’intérim n’est préféré aux contrats courts que dans un seul cas : la COMAGGLO2-AVI a décidé, l’année de l’enquête, d’abandonner l’embauche directe en contrat court au profit de l’intérim pour les remplacements dans le service de collecte des déchets.

« Il y a beaucoup d’absentéisme chez les titulaires dans ce service [le service déchets environnement :] accidents du travail, arrêts maladie, congés. […] Depuis avril de cette année, on recourt à l’intérim pour le replacement du personnel de ce service car la gestion des contractuels était devenue très compliquée. La communauté a lancé un appel d’offre auprès d’une société d’intérim. On n’a pas le droit de passer un contrat en direct avec une société d’intérim, on doit passer par le Centre de gestion mais celui-ci n’est pas compétent pour ces postes, ceci nous a permis de justifier notre recours à l’intérim. »

C’est ainsi la complexité de gestion d’un volume important de contractuels qui a poussé la communauté d’agglomération à expérimenter la solution de l’intérim, au moins pendant une année, celui-ci étant en effet d’emblée plus coûteux. « De plus l’administration paie de la TVA sur la prestation de service mais ne la récupère pas [mais il existe peut-être un système de compensation s’interroge notre interlocuteur ?] » Point intéressant, la société d’intérim a été incitée par la collectivité à puiser dans le vivier des agents contractuels habitués aux remplacements (on reviendra sur l’enjeu du vivier dans la partie 3) : « On a demandé à la société d’intérim d’embaucher ce personnel remplaçant, elle a joué le jeu, a offert à certains de passer le permis PL et en a embauché certains en CDII. » Ce sont donc les mêmes personnes qui sont passées d’un statut de contractuel de droit public, à un statut de contractuel de droit privé : « entre l’administration publique et la société d’intérim il y a différentes façons de payer, des primes différentes… » Mis à part ce cas exceptionnel, le recours au contrat court est la principale source de flexibilité employée par les collectivités territoriales sur nos trois terrains d’enquête. Nous allons voir que dans l’ensemble, le contrat court y répond principalement à des besoins temporaires : accroissement d’activité temporaire, et surtout saisonnier, et remplacement d’agents ; les CDD de plus longue durée sont quant à eux mobilisés pour les autres cas et pour les emplois plus qualifiés. Ces deux principaux motifs s’articulent en deux régimes d’usage du contrat court, renvoyant chacun à des motifs, des postes, des profils de salariés et des modes de gestion, mais aussi à des dynamiques distinctes.

150 Cette possibilité a été introduite par la Loi n° 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours

Outline

Documents relatifs