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Il semble donc qu’il puisse dans certains cas exister une différence de traitement entre les travailleurs handicapés et leurs collègues valides dont nous avons pu identifier quatre explications.

Dans le premier cas, le handicap entraîne des incapacités telles que l’évolution de carrière est largement freinée. A titre d’exemple, certaines personnes handicapées ont les diplômes, l’ancienneté suffisante pour obtenir un statut de cadre. Or, accéder à ce statut implique de pouvoir animer des réunions, diriger une équipe, ce que ne peuvent pas faire certaines personnes du fait même de leur handicap comme par exemple une personne sourde mal oralisée, ou une personne souffrant d’un handicap psychique limitant sa résistance au stress. Il s’agit là d’une réalité supposée objective.

Dans un deuxième cas, le handicap fait référence aux barrières de représentation précédemment évoquées. La progression salariale de travailleurs handicapés est moins rapide que celle de leurs collègues valides : primes et autres revenus annexes ne leur sont généralement pas attribués.

« Moi j’ai eu un entretien l’année dernière avec ma chef de service, quand je lui ai parlé de mon niveau de rémunération qui était très très en deçà du niveau moyen des gens qui sont du même niveau d’études que moi, elle m’a regardé. Là aussi, en fait, j’ai ressenti la même chose qu’il y a quinze ans, c’est à dire qu’elle a été très surprise et elle m’a même dit,

“Mais je ne comprends pas, tu es le premier à te plaindre du niveau de salaire.”[…]Donc,

moi je lui ai dit, c’était très formalisé, je lui ai dit que vu mon expérience, mes qualifications et mon expérience, j’estimais que je n’étais pas assez payé, et j’ai demandé par écrit, qu’on me fasse une sorte d’étude comparative, c’est à dire qu’on regarde les gens qui avaient à peu près la même expérience que moi, le même niveau d’études, pour comparer le niveau de rémunération, et on m’a répondu par un simple mail qu’ils avaient contacté les RH, et qu’on n’avait strictement rien trouvé d’anormal. Qu’une étude a été faite, et que tout allait bien. On ne m’a pas donné ni les éléments, ni les échantillons, rien, sans aucune preuve.

Oui, je l’évalue, actuellement pour moi, je l’évalue à trois cents euro. » PH 1655

Dans ces deux premiers cas, il est difficile de déterminer s’il s’agit ou non de discrimination. Les entreprises mettent en avant le handicap et les limitations qu’il induit pour justifier le fait que les personnes n’accèdent pas aux postes visés et donc à l’augmentation salariale désirée. Dans le cas où il est visible qu’une personne ne bénéficie pas des mêmes évolutions que ses collègues valides, il est difficile de distinguer l’impact de son handicap de celui de sa façon d’être sur cette différence de traitement. Il n’est pas impossible qu’une personne ne bénéficie pas des mêmes évolutions que ses collègues pour des raisons qu’elle peut elle-même imputer à son handicap mais qui sont en réalité davantage liées à son comportement, ses capacités réelles à travailler etc. Nous avons rencontré au cours de notre enquête une personne handicapée syndicaliste ; le cumul de ces deux particularités semble entraîner une stagnation de son évolution professionnelle.

« Vos évolutions de carrière et de salaire sont-elles similaires à celles de vos collègues valides ?

Bonne question. Moi je dirais que pendant trente deux ans, l’évolution de salaire, elle a été bloquée par deux faits. D’abord le premier de tous les faits, c’est celui d’appartenir à un syndicat qui n’est pas celui de la maison, de l’entreprise, d’avoir une activité comme ça. Ça, c’est le premier fait, ça c’est certain. J’ai des collègues, je vois à peu près, au bout de trente deux ans, j’arrive en net, même pas à neuf mille francs. J’ai des collègues qui, même période ou après moi etc., on a on va dire, trois à quatre mille francs de différence. Quasiment en poste égal quoi. Il y a ça. Et le deuxième, qui est évidemment un autre problème, même si les statistiques disent le contraire, ce qui est vrai en statistiques pour l’arrêt des personnes handicapées, c’est que quand vous avez un accident lié à votre handicap, là je vois, je suis arrêté depuis le vingt sept juillet, je voudrais bien reprendre le boulot, je ne peux pas, eh bien, c’est vrai que ça vous pénalise parce que quand on vous dit

“On ne peut pas toujours compter sur vous, c’est ça le problème”. » PH 11

La raison suivante expliquant une différence de traitement entre salariés handicapés et valides, est reliée à l’évolution favorable du handicap. Elle peut paradoxalement dans certains cas s’avérer problématique. En effet, lorsqu’une personne intègre un emploi en ayant le statut de travailleur handicapé, son travail peut être limité à un certain type de tâches, d’où une rémunération en conséquences. Mais quand son handicap évolue favorablement, par exemple une fatigabilité qui décroît, ou lorsque la maîtrise des procédures lui permet d’accroître sa cadence de travail, il lui est souvent très difficile de faire admettre son repositionnement à ses supérieurs, et surtout d’obtenir une réévaluation de sa rémunération.

« J’aimerais que mon salaire prenne une réelle évolution, autant que mes collègues ; mais j’ai bien l’intention de me battre pour ça. Avant je m’en foutais un peu, j’étais content déjà de travailler, je n’étais pas en inoccupation. Maintenant, je sais que j’arrive à travailler quand même raisonnablement bien, même si j’ai encore des limites, j’apporte quand même vraiment quelque chose au service, je n’ai pas envie de laisser courir ; j’ai envie d’avoir cette évolution comme tout le monde. » PH 5

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Il est intéressant de noter ici que ce salarié travaille dans l’entreprise ayant réalisé l’étude qualitative sur l’évolution des salariés handicapés concluant à une évolution professionnelle différente entre salariés handicapés et valides.

Dans ce cas, c’est bien le handicap qui a été intégré, pas forcément la personne.

Enfin, nous avons pu identifier un dernier cas où personnes handicapées et personnes valides connaissent une évolution de carrière différente. Celui où handicap et intérêts financiers sont intimement liés. Nous avons précédemment évoqué la politique de baisse de charges sociales sur les bas salaires. Il est possible que, une fois la personne handicapée recrutée, l’employeur ne souhaite pas la faire évoluer au risque de perdre ces avantages financiers (phénomène de trappe à bas salaires). Cette hypothèse a pu être vérifiée au cours d’un entretien. Parmi les entreprises rencontrées, ce cas reste anecdotique. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur sa portée à l’échelle nationale.

« XXX connaît-il une évolution de carrière ?

Non. C’est pas possible. Déjà, si on augment son salaire, on perd les avantages, et ça peut remettre en cause son coefficient d’handicap56. Donc la situation est figée par l’administration elle-même. » Entreprise 7, Gérant

Les différentes d’évolutions de carrière entre personnes handicapées et personnes valides sont difficiles à justifier. Si la discrimination n’est pas totalement étrangère à ce phénomène, il reste difficile d’en déterminer l’ampleur. Intéressons-nous à présent au dernier axe de l’emploi des personnes handicapées, celui de la qualité des relations professionnelles.

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