3. Caractérisation de précurseurs de nanomatériaux par spectrométrie de masse
3.3. Contrôle de la stabilité des précurseurs et processus de grossissement par
L’étude des phénomènes de fragmentation des ions pseudo-moléculaires produits par
ESI, qu’ils soient de type thiophénolates de zinc ou de cadmium, porte sur les processus
pouvant intervenir :
• dans la source (dit dissociation « in-source ») ;
• dans la cellule d’analyse FTICR (dit « in-FTICRMS cell »).
Comme expliqué au § 3.1.4.3., le processus de fragmentation d’un ion, isolé au
préalable, permet de donner des informations supplémentaires relatives à la structure et en
termes de stabilité. Ce dernier point est à mettre en relation avec les processus mis en jeu lors
de l’activation thermique des thiophénolates en vue de leur grossissement en nanomatériaux
II-VI. Nous pouvons ainsi tenter de mimer l’activation thermique des précurseurs par une
activation collisionnelle (SORI-CID).
La Fig. 3-17 présente l’analyse par SM en tandem ou MS/MS pratiquée sur l’ion
[Cd
10S
4(SPh)
14]
-2à m/z 1390,54 préalablement isolé dans la séquence d’analyse présentée à la
Fig. 3-14 (b). Cet ion pseudo-moléculaire [Cd
10S
4(SPh)
14]
-2à m/z 1390,54 est alors fragmenté
V
c= - 15 V
masse/charge
par SORI-CID comme indiqué au § 3.1.4.3 (Tableau 3-2) en faisant notamment varier les
paramètres d’excitation SORI-CID.
Fig. 3-17 : Spectre de masse de fragmentation par SORI-CID ESI-FTICRMS
2de l’ion [Cd10S4(SPh)14]
-2(isolation de l’ion m/z 1390,54) à une tension de cône Vc = -15 V et en mode négatif. La notation spécifique
à la fragmentation MS
nest indiquée sur la figure ( )
La séquence d’isolation ESI-FTICRMS
2est présentée à la Fig. 3-18. Après sélection
de la gamme de masse des ions guidés (0,1-3kDa), la séquence d’isolation du pic à m/z 1390
(Arb. Waveform sur la Fig. 3-18) est introduite 150 ms après la séquence de guidage (Ion guide RF
sur la Fig. 3-18).
Fig. 3-18 : Séquence d’isolation ESI-FTICRMS2 de l’ion pseudo-moléculaire [Cd10S4(SPh)14]-2 à
m/z 1390,54 avec une amplitude de 5V et en mode négatif.
V
c= - 15 V
La signature caractéristique des thiophénolates de cadmium aux faibles valeurs de m/z
est observée puisque les pics correspondants aux ions [Cd(SPh)
3]
-à m/z 441 et (SPh)
-à
m/z109 sont détectés. Par ailleurs, plusieurs éléments de la famille d’agrégats
[Cd
4S
4(Cd(SPh)
2)
xSPh]
-(2≤x≤5) apparaissent déjà aux plus faibles paramètres de
fragmentation (amplitude 5V). La Fig. 3-19 fait état de ce comportement déjà observé par
activation « in-source ». De manière générale, trois séries d’ions sont détectés. La première
série est associée aux ions pseudo-moléculaires et met en jeu le cœur C
10S
4(en noir). Le
second type relève de processus de fragmentation limité de l’ion pseudo-moléculaire : les ions
parents ne perdent que de petites espèces neutres et la réorganisation structurale reste minime
(en rouge); La dernière série associe les ions de formule générale [Cd
4S
4(Cd(SPh)
2)
x]
-(2≤x≤5) dont le signal augmente conjointement à celui de l’ion thiophenolate (SPh)
-(en bleu).
En extrapolant ces résultats à tous les thiophénolates étudiés, il apparaît qu’au-delà d’une
énergie d’activation « in source » obtenue sous 20 V de tension d’accélération, les ions
pseudo-moléculaires semblent facilement dissociables puisqu’ils subissent, d’une part une
séparation de charges et d’autre part des modifications plus ou moins importantes dans leur
structure.
Fig. 3-19 : Evolution des différentes espèces ioniques détectées par ESI-FTICRMS pour le composé
[Me4N]4[Cd10S4(SPh)16] en fonction de la tension d’accélération (volts) responsable de l’énergie
d’activation dans la source. Trois familles distinctes apparaissent : les ions relatifs à l’ion
pseudo-moléculaire Cd10S4 (a), les ions issus de la fragmentation de l’ion pseudo-pseudo-moléculaire par perte d’un ou
deux motif neutre Cd(SPh)2 (b) et la famille d’agrégats basée sur la structure Cd4S4(SPh)2-5SPh
-(c).
L’augmentation des paramètres de dissociation SORI-CID confirme cette tendance
puisque l’ion isolé [Cd
10S
4(SPh)
14]
-2à m/z 1390,54 dans l’exemple présenté Fig. 3-17
disparaît totalement et l’intensité relative des pics correspondant à (SPh)
-ainsi qu’à la famille
0 15 30 45 60 75 0 20 40 60 80 100
Int
ens
ité Rel
ative
Energie d'activation dans la source (V)
Cd10S4(SPh)142- + Cd10S4(SPh)16(Me4N) Cd9S4(SPh)12 + Cd8S4(SPh)10(Me4N) -Σ Cd4S4(SPh)2-5SPh -(a) (b) (c)
Tension d’accélération (V)
d’ions [Cd
4S
4(Cd(SPh)
2)
2-5(SPh)]
-augmente. Si les paramètres d’activation SORI-CID, à
savoir le temps d’activation ou son amplitude, sont encore augmentés, il apparaît un
effondrement des espèces de haut rapport m/z dans la famille d’agrégats jusqu’à obtenir (i)
une diminution du signal des espèces [Cd
4S
4(Cd(SPh)
2)
5(SPh)]
-et [Cd
4S
4(Cd(SPh)
2)
4(SPh)]
-et (ii) l’apparition des derniers éléments [Cd
4S
4(Cd(SPh)
2) (SPh)]
-à m/z 1017,44 et
[Cd
4S
4(SPh)]
-à m/z 685,51.
Le comportement ci-dessus est similaire pour tous les types de précurseurs étudiés.
Pour des paramètres d’activation importants, l’éjection d’espèces neutres (M(SPh)
2)
s’accompagne de l’augmentation des signaux associés à la famille [M
4L
4(M(SPh)
2)
x(SPh)]
-(1≤x≤5). Systématiquement, la dernière espèce ionique fille de cette famille est détectée :
(M
4L
4SPh)
-[avec M = Cd ou Zn et L = S ou Se]. Il est important de noter que la signature de
cette famille est liée au cœur M
4L
4, ce qui démontre sa grande stabilité. Il semble donc que la
structure étudiée repose, non sur une association « élémentaire » métal-thiophenolate qui
grossirait ainsi mais plutôt sur la base de ce noyau M
4L
4très stable sur lequel viendrait se
greffer des M(SPh)
2neutres. La Fig. 3-20 représente le spectre de dissociation IRMPD de
l’ion [Cd
4Se
4(SPh)]
-à m/z 874,29 obtenu par ESI-FTICRMS
2de [Cd
4Se
4(Cd(SPh)
2)
3(SPh)]
-à m/z 1865,07. Une étude approfondie de la stabilité de cette entité a été menée.
Fig. 3-20 : IRMPD ESI-FTICRMS
3du composé [Me4N]4[Cd10Se4(SPh)16] par l’isolation successive des ions
[Cd4Se4 (Cd(SPh)2)3 (SPh)]
-à m/z 1865.07 et [Cd4Se4 (SPh)]
-à m/z 874,29 à une tension de cône
Vc = - 30 V en mode négatif.
Bien que les différents modes de fragmentation disponibles (§ 3.1.4.3) aient été
employés dans le cadre de cette étude, seul le processus IRMPD a permis la dissociation
complète de l’ion associé directement à l’espèce M
4L
4comme le montre la Fig. 3-20 avec la
détection des pics successifs entre m/z 874 et m/z 537. Contrairement aux phénomènes mis en
exergue auparavant, c.à.d. perte de fragments neutres M(SPh)
2, les fragmentations observées
dans ce cas correspondent à la perte successive d’un, deux puis trois atomes de cadmium pour
obtenir au final l’ion CdSe
4-à m/z 537,58. Il est à noter toutefois que les paramètres employés
dans cette analyse sont particulièrement sévères puisque l’irradiation nécessaire à la séquence
IRMPD est de 30 secondes à pleine puissance (70 W). Or, il est cohérent de mettre en relation
le processus de fragmentation IRMPD avec le grossissement thermique de nanomatériaux
puisque le principe d’interaction laser-matière en phase gazeuse mis en jeu ici (IRMPD)
correspond bien à des phénomènes « d’échauffement » pour l’agrégat ionisé tout comme pour
la structure subissant la rampe de température lors du grossissement thermique (§ 2.3). Tout
masse/charge
ceci confirme donc la très grande stabilité de la structure (M
4L
4SPh)
-et par voie de
conséquence, du noyau M
4L
4ainsi que son importance dans la croissance de NC.
L’interprétation de ces résultats quant à l’activation thermique des thiophénolates de
zinc et de cadmium pour la production de nanomatériaux II-VI de type CdSe, CdS, ZnS ou
ZnSe, donne plus d’informations sur les processus mis en jeu. Lors de la phase de
grossissement des composés organométalliques, l’activation thermique consiste en une
transformation significative de la structure du composé : la structure du précurseur se
désagrège pour conduire à un coeur M
4L
4encapsulé par des espèces M(SPh)
2qui sont ensuite
successivement éliminées lors des différentes phases d’activation thermique pour permettre
ainsi la croissance de ML à partir de petites unités M
4L
4.
Du fait de la difficulté inhérente à la technique ESI-FTICRMS en termes de
stabilisation d’un analyte de très haut poids moléculaire durant les phases d’ionisation et de
transfert des ions vers l’analyseur, l’analyse de NC de CdSe a plutôt été envisagée par
MALDI-TOFMS et ceci sera abordé au chapitre 4.
Chapitre 4
Caractérisation physique et
physico-chimique de
nanoparticules de CdSe
Dans le document
Elaboration et caractérisation physico-chimique de nanosemiconducteurs de type II-VI
(Page 89-96)