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Le contexte de la variabilité et de la politique d’amélioration des pratiques médicales

Il est fréquemment constaté que l'éventail des stratégies de prise en charge (préventive ou thérapeutique) observé en médecine générale, la fonction de production, est très vaste (HCAAM, 2004 ; OCDE, 2004). Si l’éventail des cas (case mix), explique en partie cette diversité, celle-ci perdure à contexte épidémiologique et clinique équivalent. On parle alors de variabilité des pratiques médicales (VPM). La variabilité des pratiques médicales correspond donc aux écarts de pratique médicale à une pratique moyenne (conception descriptive), ou à une norme explicite issue d’un consensus médical et faisant l’objet de recommandations (conception normative). Outre que la

présence de VPM est source d’inefficience dans le système de santé (Phelps, 2000), elle questionne la croyance dans l’adéquation entre l’évidence et la décision médicale (Long, 2002).

Partant, la politique d’amélioration des pratiques médicales en France, par la réduction de leur hétérogénéité, repose principalement sur une logique qui consiste à porter les résultats de la recherche à la connaissance des professionnels, plutôt que sur le développement de leur capacité à utiliser les résultats de la recherche et à éveiller leur sens critique (Lavis et al., 2003). Cette politique s’appuie sur l’élaboration, par les agences sanitaires (HAS et AFSSAPS), de recommandations de bonne pratique (RBP) et sur leur diffusion (Caniard, 2002 ; Obrecht 2009). Le médecin est en effet dans l’incapacité pratique de réaliser par lui-même la synthèse d’une littérature pléthorique en croissance exponentielle. L’élaboration de ces recommandations en France répond désormais à des critères méthodologiques très précis et cette mission en incombe principalement à la Haute Autorité de santé (HAS).

La politique de diffusion de RBP mobilise différents leviers (ANAES 2000 ; Grimshaw et al., 2004 ; Obrecht 2009). Cette politique de diffusion s’appuie principalement sur une politique dite « passive » de mise à disposition des recommandations par le biais de documents écrits et à destination des professionnels. Elle s’appuie également sur des relais auprès des professionnels, notamment au travers des sociétés savantes, des organismes de formation médicale continue (FMC) ou de la politique d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). La FMC souffre d’une faiblesse de développement historique (Pascal et al., 2000 ; Bras et Duhamel 2008). Bien qu’elle soit en théorie obligatoire aujourd’hui, seulement 40 % des généralistes auraient rempli leurs obligations de FMC en 2008 (Guerville et al., 2009). La FMC et l’EPP sont aujourd’hui fusionnées dans le dispositif de développement professionnel continu (DPC) depuis la loi HPST.

L’élaboration et la diffusion des référentiels ne suffisent pas à assurer leur mise en œuvre, et celle-ci suppose des interventions auprès des médecins. D’autres modalités d’amélioration des pratiques médicales sont considérées comme plus actives et efficaces pour modifier les pratiques des professionnels. Elles reposent soit sur des interactions en face à face, soit sur des audit-retours d’information ou des rappels informatiques en situation de soins (ANAES 2000 ; Grimshaw et al., 2004 ; Obrecht 2009 ; Rolland et Sicot, 2012). L’Assurance maladie par le biais des délégués de l’Assurance maladie (DAM) s’appuie en partie sur ce type de dispositifs.

Enfin, la politique d’amélioration des pratiques professionnelle repose principalement sur la mise en place de nouvelles incitations dans la politique conventionnelle dont les deux derniers exemples sont relatifs à la rémunération à la performance (Cour des comptes 2005 ; HCAAM 2009 ; Cour des

Comptes, 2014). Cette politique a été initiée hors convention, dès juillet 2009, avec les contrats d’amélioration des pratiques individuelles (CAPI) souscrits par les généralistes sur la base du volontariat. Les CAPI ont ensuite été généralisés, avec la convention signée en 2011, sous la forme de la rémunération sur objectif de santé publique (ROSP), non plus sur la base du volontariat mais dans le cadre d’un dispositif avec option de retrait (opting out), choisie par moins de 3% des généralistes. Les incitations visent à obtenir des contreparties, en termes d’amélioration des pratiques cliniques dans le suivi des pathologies chroniques des pratiques de prévention et dans l’efficience de la prescription, aux suppléments de rémunération accordés. Les résultats de ces démarches sur les pratiques médicales sont très mitigés, le suivi des pathologies chroniques s’améliore lentement et les pratiques de prévention, elles, ne s’améliorent pas (Cnamts, 2013). Les situations de sur-utilisation, sous-utilisation, ou de mauvaises utilisations de biens ou services sont encore nombreuses, comme par exemple s’agissant de la prise en charge des patients diabétiques (Robert et al., 2009 ; Jourdain- Menninger, 2012).

La capacité des acteurs publics à contrer l‘information transmise par l’industrie pharmaceutique auprès des généralistes, associant information scientifique et commerciale, reste faible (Mazière et Paris, 2004 ; Bras et al., 2007 ; Postel-Vinay, 2009). L’industrie mobilise de son côté différents leviers. L’industrie agit ainsi, au travers de la visite médicale (le face-à-face entre un visiteur médical de l’industrie et le médecin) mais aussi par le biais du cofinancement des frais d’hébergement dans les congrès scientifiques et de la rémunération de la participation à des essais cliniques. L’industrie recourt également à des leviers indirects, avec le financement par l’industrie de nombreuses revues, colloques, formations continues et autres éditeurs de logiciels de prescription, et enfin, de façon croissante, par les informations directes vers le consommateur.

Nous avons montré que la politique d’amélioration des pratiques médicales en France s’appuie principalement sur des leviers « passifs » ou sur des incitations conventionnelles et que les résultats en matière d’amélioration sont modestes. Nous présenterons dans la partie suivante les objectifs, la méthode, les résultats du premier article de la thèse sur la mesure et la qualification de la variabilité des pratiques médicales des généralistes dans le cas de la prescription d’antibiotiques pour rhinopharyngite aiguë.

5.

La variabilité des pratiques médicales : une recherche appliquée