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Le contexte du regroupement en soins de santé primaires et de la politique en favorisant le

Le regroupement autour du généraliste en France se définit par l'exercice dans un même lieu d’au moins deux praticiens ou professionnels de santé d'une même catégorie (mono-disciplinaire ou mono-professionnel) ou non (interprofessionnel). A l’inverse de ce que l’on peut observer dans d’autres pays, comme par exemple aux Etats-Unis (Rebitzer et Votruba, 2011), au Canada (Hutchison

et al., 2011 ; Coyle et al., 2014) ou en Europe, comme en Angleterre (Asworth et Armstrong, 2006) ou

au Pays-Bas (Hombergh et al., 2009), la connaissance de l’exercice collectif en France reste parcellaire. Les sources d’information sont limitées à quelques enquêtes transversales (d’Humières et Gottely, 1989 ; Audric, 2004 ; Evrard et al., 2011), l’exercice en groupe ne fait encore l’objet d’aucun recensement systématique. Il est impossible de qualifier simultanément, quelle que soit la forme de l’exercice regroupée considérée, le groupement et les professionnels qui le composent.

Dans une recherche précédente, nous avions pu montrer qu’avec 54 % des médecins généralistes déclarant exercer en groupe en 2009, contre 43% en 1998, cette forme d’exercice était devenue majoritaire et attractive (Evrard et al., 2011). L’attrait était alors encore plus net chez les moins de 40 ans qui déclaraient huit fois sur dix exercer en groupe. Le regroupement restait de taille modeste et mono-disciplinaire, les trois-quarts des généralistes regroupés l’étant dans des cabinets exclusivement composés de deux ou trois médecins. Des études, menées à l’échelon régional, confirmaient ces constats (Aulagnier et al., 2007 ; Beauté et al., 2007).

En France, la dynamique en faveur du regroupement a été essentiellement portée, jusqu’il y a peu, par les choix des professionnels et l’évolution de leurs aspirations. L’attrait pour l’exercice en groupe s’expliquait principalement par la réduction des charges, consécutive au partage des moyens (Audric, 2004 ; Barnay et al., 2007 ), et l’amélioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, consécutive au partage d’un certain nombre de contraintes en termes de continuité et de délivrances des soins (Bourgueil et al., 2009c ; Aulagnier et al., 2007, Baudier et al., 2010). Néanmoins de nombreuses barrières semblaient freiner encore son développement (IGAS, 2004 ; Juilhard et al., 2010 ; Georges et Waquet, 2013).

Comme nous l’avions mis en évidence dans une recherche comparative internationale sur l’intensité du regroupement et de ses leviers (Bourgueil et al., 2009b), le regroupement en France restait moins développé, de taille plus modeste et moins pluriprofessionnel que dans d’autres pays comparables, à l’exception de l’Allemagne (Kringos et Klazinga, 2013). La proportion de généralistes en groupe est supérieure ou égale à 90 % dans les pays nordiques (Suède, Finlande, Norvège) au Royaume-Uni et

au Québec. Elle avoisine 80 % dans les pays latins (Portugal, Espagne, Italie), et est supérieure à 60 % au Pays-Bas ou en Ontario.

Une politique d’accompagnement et de soutien au regroupement pluriprofessionnel en soins de premiers recours émerge depuis 2007 de la part de l’Etat et de l’Assurance-maladie (Mousquès, 2011). Elle est principalement orientée en direction de deux nouvelles formes d’organisation pour les professionnels de santé libéraux et rémunérés à l’acte, les maisons et les pôles de santé pluriprofessionnels, et d’une forme beaucoup plus ancienne dans laquelle les professionnels sont rémunérés sur la base du salariat ou de vacations, les centres de santé (Baudier et Thomas, 2009 ; Juilhard et al., 2010).

Plusieurs lois ont été votées permettant de mieux qualifier l’exercice regroupé pluriprofessionnel en maisons et pôles de santé (loi de financement de la sécurité sociale (décembre 2007), la loi « Hôpital, Patients, Santé, Territoires » (juillet 2009) et la loi Fourcade (août 2011). Des programmes de soutien financier en direction de ces structures ont été mis en place. Il en ressort que les maisons, pôles et centres de santé partagent plusieurs points communs. Ils accueillent des professionnels de santé de catégories variées (médicaux, auxiliaires médicaux, voire pharmaciens), qui dispensent des soins de premiers recours sans hébergement, et parfois même de second recours, qui participent à des actions de santé publique et de prévention, voire d'éducation pour la santé et sociales. Les centres de santé (CDS) se différencient des maisons de santé (MSP) et des pôles de santé (PDS) par un conventionnement spécifique avec l’Assurance maladie qui rend obligatoire la pratique du tiers- payant pour la dépense d’assurance maladie obligatoire, de nombreux centres le pratiquant également pour tout ou partie de la dépense complémentaire, et des tarifs conventionnels du secteur 1. Les MSP se différencient des PDS par l’unité du bâti et par le fait qu’elles sont dotées d’une personnalité morale et d’un projet de santé formel signé par l’intégralité de ses membres, projet compatible avec le Schéma Régional d’Organisation des Soins Ambulatoires et transmis à l’Agence régionale de santé (ARS) pour information. Bien qu’aucun organisme ne soit en charge aujourd’hui d’octroyer un label de maison ou pôle de santé, l’obtention de financement public (cf. infra) est souvent conditionnée, en plus des critères énumérés ci-dessus, par une composition minimale de deux médecins généralistes associés à au moins un professionnel paramédical, par la pratique de tarifs opposables de secteur 1 et la définition d’un projet de santé.

Un nouveau statut juridique vient consacrer ces évolutions en 2012. La Société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa) donne lieu à l’attribution d’un numéro du Fichier national des établissements sanitaires et sociaux (Finess) et autorise, tout en préservant l’exercice libéral des professions de santé pour les MSP ou les PDS, la rémunération par l’Assurance maladie d’activités

réalisées en commun par différents professionnels. La Sisa permet également de partager l’information relative au patient, avec son accord express. En termes de système d’information, l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip) est en charge de la labellisation du caractère pluriprofessionnel des logiciels patients, sur démarche volontaire des éditeurs. L’identification dans les bases de données de l’Assurance maladie des structures regroupées reste problématique. Si les centres de santé reçoivent un numéro d’établissement (Finess), aucune information sur les professionnels y exerçant n’est colligée. Les maisons et pôles de santé se constituant sous la forme d’une Sisa obtiennent également un numéro Finess, mais celui-ci n’est pas encore intégré aux bases de données administratives existantes dans lesquelles figurent des informations sur les professionnels (Répertoire partagé des professionnels de santé, RPPS). Enfin, même si l’Observatoire des recompositions de la DGOS recense les maisons et pôles de santé, il ne permet pas de distinguer ces deux types de structures et contient peu d’information sur leurs caractéristiques.

L’attribution d’aides financières à l’exercice en groupe, notamment sous la forme d’aides à l’investissement et/ou au fonctionnement, provenant d’acteurs multiples tels que l’État, l’Assurance maladie ou les collectivités territoriales, s‘est développée parallèlement. Les aides financières apportées par l’Assurance maladie, qui proviennent du Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins (FIQCS), participent au financement des études de faisabilité, d’ingénierie du projet, du démarrage ou du fonctionnement. Le nombre de projets financés a augmenté régulièrement, passant de 20 en 2007 à 185 en 2011, avec 9,1 millions d’euros, adressés pour les trois-quarts aux maisons de santé (Cnamts, 2012). Dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire, l’Etat et les collectivités territoriales apportent également des aides à l’investissement pour des groupes pluridisciplinaires. D’une part, un « label des pôles d’excellence rurale » cofinance des projets intercommunaux favorisant le développement économique, avec la création depuis 2008 d’une cinquantaine de maisons et pôles de santé, principalement en zone de revitalisation rurale. En 2010, un plan national a été lancé, visant à cofinancer la création de 250 MSP en milieu rural sur la période 2010-2013, dans des zones considérées comme fragiles ou dans lesquelles l’offre de soins nécessite d’être renforcée. En milieu urbain, le plan « Dynamique Espoir Banlieues » a pour objectif de créer 10 MSP par an parmi les 215 quartiers prioritaires de la politique de la ville (ZUS, CUCS). L’aide à l’investissement s’élève à un montant forfaitaire estimé à 100 000 euros en moyenne par maison de santé, soit un budget global de 25 millions d’euros environ. Au total, 280 maisons et pôles de santé seraient en fonctionnement selon les données transmises en 2013 par l’Observatoire des recompositions de la DGOS du ministère de la Santé. On dénombre également environ 400 centres de santé dont la majorité est implantée en milieu urbain (Georges et Waquet, 2013).

Enfin, des expérimentations de nouveaux modes de rémunération (ENMR) ont été introduites dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2008 visant à cofinancer le fonctionnement de maisons, pôles et centres de santé. Ces montants, forfaitaires, distincts du paiement à l’acte, et non- substitutifs, visent à améliorer la coordination des soins, favoriser la mise en œuvre de nouveaux services aux patients (ils concernent aujourd’hui principalement l’éducation thérapeutique du patient) et développer la collaboration entre professionnels. Pilotées par la Direction de la sécurité sociale (DSS) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), les ENMR sont mises en œuvre au niveau local par les Agences régionales de santé (ARS). Ces expérimentations réalisées dans 19 régions françaises concernent 151 structures en 2012, dont 115 maisons ou pôles de santé ; elles ont été prorogées et étendues à 150 nouveaux sites jusqu’à fin 2014. Le budget total des forfaits alloués est estimé à 8,5 millions d’euros par an avant extension.

Nous avons montré que le regroupement en France connaissait un attrait croissant, très marqué chez les jeunes généralistes, mais qu’il restait moins développé, de taille plus modeste et moins pluriprofessionnel que dans d’autres pays comparables. Nous avons montré également que le regroupement pluriprofessionnel, aux formes diverses, se précise, et qu’il est désormais l’objet d’un intérêt croissant de la part des pouvoirs publics. Nous présenterons dans les parties suivantes les hypothèses théoriques et les évidences empiriques quant aux gains d’efficience associés au regroupement puis les objectifs, la méthode et les principaux résultats des deux derniers articles de la thèse portant sur le travail en équipe et le regroupement pluriprofessionnel.