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Chapitre I : Revue bibliographique

5. Contexte du travail de thèse

5.1. Contexte et choix du modèle d’étude

Ce travail de thèse s’intègre dans les thématiques du laboratoire MAPIEM plus précisément au sein des thématiques de l’équipe « Aspects moléculaires de l’inhibition des biofilms marins » dirigée par Maëlle Molmeret. Cette équipe est composée de microbiologistes (Claudine Baraquet et Maëlle Molmeret) et de chimistes organiciens (Annie Praud, Yves Blache et Olivier Bottzeck) qui travaillent de concert afin d’étudier différents aspects de l’inhibition du biofilm en essayant de comprendre certains mécanismes impliqués dans la formation du biofilm et en synthétisant des analogues de synthèse qui viendraient cibler certains de ces mécanismes. L’objectif à plus longtemps terme serait de constituer des cocktails de molécules qui pourraient être intégrés dans des revêtements de peintures antifouling de type SPC (Self Polishing Coating) à relargage contrôlé de molécules plus respectueuses de l’environnement ou dans des revêtements hybrides de type SPC-FRC (Foul Release Coating) par ailleurs déjà efficaces sur le macrofouling lorsque le bâtiment est en mouvement mais inefficaces sur le microfouling (composés principalement de bactéries et de diatomées).

L’un des mécanismes étudiés au laboratoire MAPIEM est celui du QS des bactéries marines sur lequel une étude préliminaire avait débuté en 2011 avec la thèse de Mireille Ayé. Ce travail visait à identifier le lien entre la sécrétion de la violacéine chez une souche isolée de biofilms récoltés dans la rade de Toulon, Pseudoalteromonas ulvae TC14, le QS et la formation du biofilm (Ayé et al., 2015). C’est en travaillant sur ce sujet que nous avons réalisé qu’excepté quelques souches de Vibrio, peu de biosenseurs fonctionnaient en conditions marines. Or l’un de nos objectifs était de pouvoir tester sur des bactéries marines formatrices de biofilm, le rôle potentiellement inhibiteur de molécules commérciales ou synthétisées au laboratoire MAPIEM ciblant le mécanisme de QS sur la formation du biofilm en conditions proches de l’environnement marin. De plus, il est possible que les bactéries marines présentent des caractéristiques différentes des autres bactéries en matière de QS. Par exemple, il a été montré que les bactéries marines tendent à secréter des molécules d’AHLs différentes (notamment à chaines très longues) par rapport à ce qui a déjà été rapporté chez d’autres bactéries (Doberva et al., 2017). L’objectif ici était donc de trouver une autre bactérie marine susceptible d’avoir un QS actif et dont le phenotype serait facile à analyser et à quantifier. Travaillant déjà au laboratoire sur des bactéries du genre Shewanella, nous avons

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identifié comme candidate potentielle, une bactérie luminescente Shewanella woodyi MS32 (ATCC 51908).

5.2. Shewanella woodyi

Les informations concernant cette bactérie sont limitées à quelques études seulement. S.

woodyi est une bactérie Gram-, isolée en 1997 à partir d’échantillons d’eau prélevées à une

profondeur de 200 à 300 m dans la mer d’Alboran (Makemson et al., 1997). Makemson et al ont rapporté que c’est une bactérie aérobie, non sporulante, poussant à une température située entre 4 et 25°C et possédant un flagelle polaire. Elle peut utiliser l’oxygène, le nitrate ou le nitrite comme un accepteur terminal d’électron (Makemson et al., 1997). Le génome de S.

woodyi a été séquencé complétement par Copeland et al en 2008 (Copeland et al., 2008). Liu

et al ont montré en 2012 le rôle de c-di-GMP dans la régulation de la formation du biofilm

chez cette bactérie (Niu Liu et al., 2012). L’intérêt principal de ce modèle marin pour l’étude dont il est question ici, est lié au fait qu’elle émet de la luminescence et qu’elle soit capable de former un biofilm. Alors que les bactéries luminescentes sont probablement très abondantes dans l’environnement marin, seuls quelques genres ont été décrits avec des informations sur les mécanismes moléculaires de l’émission de luminescence. Parmi les quelques espèces bactériennes décrites comme capables d’émettre de la luminescence (appartenant aux genres

Aliivibrio, Photobacterium, Shewanella et Vibrio), seules quelques espèces de Vibrio telles

que V. fisheri, V. harveyi, et dans une moindre mesure V. campbellii ont été décrites de façon détaillée (Bassler et al., 1994; Egland and Greenberg, 1999; Defoirdt et al., 2008).

5.3. Le genre Shewanella

La première bactérie appartenant au genre de Shewanella a été isolée en 1931 comme un des plusieurs microorganismes contaminants responsables de la putréfaction du beurre. Derby et Hammer ont provisoirement identifié cette bactérie comme Achromobacter

putrefaciens (Derby and Hammer, 1931). Après 54 ans et suite à des caractérisations biochimiques, métaboliques et en se basant sur la séquence d’ARNr 5S la bactérie découverte en 1931 a été classées sous un nouveau genre bactérien, Shewanella et la bactérie a pris le nom de S. putrefaciens (MacDonell and Colwell, 1985) {plus de détails dans la revue de (Hau and Gralnick, 2007)}. En se basant principalement sur la séquence d’ARNr 16S, 40 espèces appartenant au genre de Shewanella ont été identifiées comme par exemple, S. algae (ATCC 51192) (Nozue et al., 1992), S. baltica (NCTC 10735) (Ziemke et al., 1998), S. frigidimarina ATCC (700753) (Bowman et al., 1997), S. hanedai (ATCC 33224) (Jensen et al., 1980), S.

oneidensis (ATCC 700550) (Venkateswaran et al., 1999), S. violacea (JCM 10179) (Nogi et

al., 1998) et S. woodyi MS32 (ATCC 51908) (Makemson et al., 1997).

Généralement, les bactéries du genre Shewanella sont aérobies/anaérobies facultatives et largement distribuées dans l’eau douce et l’eau saline. Elles ont été isolées à partir d’une large gamme de température, de pression barométrique et de concentration en sel et elles sont caractérisées par leur capacité à utiliser différents accepteurs finaux d’électrons en absence d’oxygène tels que le nitrate, le nitrite, l’oxyde de triméthylamine (TMAO), le diméthylsulfoxyde (DMSO) et l’oxyde de fer [fer(III)]. Ceci leur permet de vivre dans divers habitats et d’être impliquées dans des processus de bioremédiations et ainsi d’avoir un rôle important dans les cycle biogéochimiques (Hau and Gralnick, 2007). En plus de leur rôle dans la biorémediation, ces espèces peuvent occuper plusieurs fonctions dans l’environnement allant de la détérioration des aliments comme le cas de S. baltica responsable de la détérioration des poissons conservés dans la glace (Wang et al., 2017), à la symbiose comme le cas de S. hanedai qui colonise les glandes nidamentales accessoires, un organe dans le système reproducteur femelle du calmar (Loligo pealei) associé à la ponte des œufs (Barbieri

et al., 2001). De plus, certaines bactéries de ce genre sont pathogènes opportunistes pour l’être humain comme S. algae et S. putrefaciens qui peuvent être à l’origine de septicemie, de péritonite et d’ infection de la peau et des voies billiaires (Nogi et al., 1998; Hau and Gralnick, 2007).

5.4. Le QS chez les bactéries du genre Shewanella

La plupart des études concernant les Shewanella traitent de leur implication dans les processus de bioremédiation (Heidelberg et al., 2002; Gorby et al., 2006; Marsili et al., 2008). Bienque S. henedai soit décrite comme une bactérie luminescente dont les gènes luxR, luxI et l’opéron lux ont été séquencés, aucune étude concernant la caractérisation de son système QS n’a été réalisé à ce jour. Les études focalisées sur le QS chez ce genre bactérien sont limitées à quelques cas seulement. La première caractérisation de QS chez une espèce de Shewanella a été réalisée chez S. oneidensis par Learman et al en 2009 (Learman et al., 2009). Dans cette étude, Learman et al ont montré que S. oneidensis ne synthétise aucune molécule d’AHL et ne possède pas un système AI2 actif. Elle serait capable de synthétiser l’AI2 via LuxS mais elle ne possède pas de récepteur pour cette molécule signal. De plus, la mutation de luxS chez S.

oneidensis inhibe la formation du biofilm mais l’addition d’AI2 exogène ne restaure pas le

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(AMC) et la régénération de la méthionine plutôt que dans le QS comme cela a été vu chez d’autres bactéries (Learman et al., 2009). À noter que le gène luxS semble etre présent chez la plupart des bactéries appartenant au genre de Shewanella (Bodor et al., 2008). Très

récemment, des études chez les souches responsables de la détérioration des aliments comme

S. baltica visaient à déterminer le rôle de QS dans ce processus. Il a été démontré que le

développement de biofilms et la détérioration des Pseudosciaena croceapossons (une espèce des poissons marins) par S. baltica ne sont pas affectés par la présence d’AI2 exogène mais diminuent en présence des molécules d’AHLs comme la C8-HSL, C10-HSL, C12-HSL, C14-HSL, 3-O-C8-C14-HSL, 3-O-C12-HSL et 3-O-C14-HSL. Ceci suggère un rôle régulateur des systèmes AHL de QS chez S. baltica (Zhu et al., 2015; Zhu et al., 2016; Zhao et al., 2016). Zhu et al ont montré que S. baltica ne synthétise aucune molécule d’AHLs et seulement 2 types d’auto-inducteurs ont été détectés dans son surnageant, l’AI2 et un dipeptide cyclique (Zhu et al., 2016). Cependant, grâce à l’utilisation d’une approche de detection beaucoup plus sensible (Ultrahigh-Performance Liquid Chromatography Coupled to Triple Quadrupole Mass Spectrometry, UHPLC-QqQ-MS/MS), Wang et al ont montré en 2017 que S. baltica synthétise en fait principalement la C10-HSL et 6 autres molécules d’AHLs dont la C8-HSL. L’effet de ces différentes molécules sur la formation du biofilm par S. baltica a été également déterminé et il semblerait que le système AHL jouerait le rôle d’un stimulateur du biofilm chez cette bactérie (Wang et al., 2017). Cependant, le mécanisme d’action du QS n’a pas encore été élucidé chez cette bactérie, ni les protéines synthases ni les recepteurs de ces molécules d’AHLs ne sont connus, sachant que le génome de cette bactérie n’est pas sequencé à ce jour. L’ensemble de ces résultats montrent une certaine diversité dans les systèmes QS présents au sein des Shewanella et de leur implication potentielle dans le biofilm.