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Chapitre 3 : Effet microphysique des sels marins sur le cyclone tropical

3.1. Contexte synoptique

Cette section est dédiée à la description du contexte environnemental dans lequel s’est formé et

a évolué le cyclone tropical Dumile. Certaines particularités font de ce système un cas d’étude

intéressant pour l’étude de l’interaction aérosols-nuages.

3.1.1. Cyclogénèse & évolution

Dans le bassin SOOI, le flux de mousson d’été est un forçage essentiel de la cyclogénèse. Ce

flux chaud se charge en humidité au-dessus de la mer d’Arabie et descend vers l’équateur en longeant

les côtes africaines pendant l’été austral (figure 45). Il est piloté par un contraste en température entre le

continent asiatique plus froid que la partie sud de l’océan Indien. La situation synoptique lors de la

cyclogénèse de Dumile est atypique. Le flux de mousson est faible et plutôt sec le long des côtes

africaines. Ce flux de mousson impacte la cyclogénèse par le biais de la faible humidité qu’il apporte,

mais aussi lors de l’intensification du système du fait de l’advection d’aérosols. Ce dernier point sera

détaillé dans la suite du manuscrit.

Figure 45. Les vents de surface dans l’océan Indien issues de réanalyses sont représentés par des vecteurs et des isotaques (tous les 2 m s-2). La rencontre entre le flux de mousson et les alizés est symbolisée par les flèches rouges. Extrait de Hastenrath et Lamb, 2004 et annoté par S. Langlade (CMRS Réunion).

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L’origine de la cyclogénèse de Dumile est une pulsation de la MJO (voir section 1.1.1) à la fin

du mois de décembre 2012. La conséquence directe de cette pulsation a été l’augmentation de l’activité

convective et la formation d’un minimum dépressionnaire au sud des Chagos. Ce dernier s’est déplacé

vers l’ouest-sud-ouest le 27 décembre 2012 mais un cisaillement de vent important a empêché tout

développement (Caroff et al., 2014).

Malgré une contrainte cisaillante toujours présente, l’activité convective s’intensifie nettement

le 30 et 31 décembre. Ceci aboutit à la formation d’une structure allongée s’étendant sur une grande

distance (2000 km) qui s’apparente à une dépression de mousson (figure 46) dans le sens où les vents

sont faibles et leur maximum (30 nœuds) est rejeté loin du cœur du minimum dépressionnaire. La

condition sine qua non pour l’intensification de ce système est la mise en place d’une activité convective

pérenne au centre de la dépression, celle-ci étant pour le moment rejetée à l’ouest du minimum.

Le déplacement du système vers le sud va lui permettre de s’affranchir de la contrainte

cisaillante à partir du 1er janvier 2013. A 03 UTC, le système se trouve dans un environnement cisaillé

défavorable à l’intensification (cisaillement supérieur à 12.5 m s

-1

) comme le montre la figure 47. Son

déplacement zonal le fait se rapprocher d’une dorsale d’altitude représentée par la ligne bleue en

pointillés (figure 47), i.e. une zone où la vitesse des vents de haute troposphère est plus faible. Une fois

sous le seuil de cisaillement de vent de 12.5 m.s

-1

(section 1.1.1), ce facteur ne joue plus son rôle

d’inhibiteur de l’intensification.

Figure 46. Image visible du satellite Meteosat 7 le 31/12/12 à 09 UTC. Le système a une structure très large et une convection éloignée du centre dépressionnaire.

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Les mesures in-situ attestent de l’intensification du système : une bouée du réseau RAMA

enregistre des vents de 12 nœuds à plus de 200 km du centre, et jusqu’à 38 nœuds le 1

er

janvier à 23

UTC. Le suivi de ces mesures de bouée a permis en temps réel de comprendre que la zone de vents

faibles s’était réduite et que le changement de structure s’amorçait, ce qui était cohérent avec les

observations ASCAT. La combinaison de ce développement de la circulation tangentielle et d’une

convection intense dans l’après-midi du 2 janvier 2013 permet finalement la promotion du système en

forte tempête tropicale.

3.1.2. Atterrissage sur La Réunion

Dumile atteint sa maturité le 3 janvier 2013 alors que le temps sur La Réunion commence à se

dégrader. Les rafales atteignent alors 100 km h

-1

sur les côtes et 120 km h

-1

dans les Hauts de l’île. L’œil

est maintenant visible en imagerie micro-onde, ce qui est un signe de l’intensification du système. Il

passe à 105 km de l’île dans l’après-midi du 3 janvier. L’impact du phénomène n’a pas été maximal car

l’île a échappé au mur de l’œil. Par ailleurs, la durée d’impact a également été courte car le système se

déplaçait à une vitesse relativement rapide (30 km h

-1

) lors de cette journée.

Figure 47. Cisaillement vertical (kts) en contours colorés le 01/12/13 à 09 UTC. Les lignes blanches (bleues) pleines (pointillées) font référence à une tendance positive (négative) pendant les précédentes 24 heures. La dorsale d’altitude est représentée par un trait en pointillés bleu, le système par un rond rouge, et son déplacement est symbolisé par une flèche noire (adapté du produit du CIMMS : http://tropic.ssec.wisc.edu/)

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L’influence du cyclone a été très hétérogène : seules les régions de l’Ouest, du centre (Le

Tampon) et le flanc est du volcan ont subi des conditions cycloniques réelles. Les valeurs maximales de

rafales enregistrées sont de 137 km/h sur la côte et 162 km/h dans les hauts de l’île (Figure 48b). En

termes de précipitations, les maxima sont logiquement enregistrés au niveau des sommets de l’île (plus

de 500 mm de cumuls sur 2 jours) où le forçage orographique a été le plus efficace. Les zones côtières

ont été globalement épargnées (moins de 100 mm sur 2 jours), hormis le littoral sud (Figure 48a). Ce

scénario n’est pas habituel car la côte au vent n’a pas connu ici les plus fortes précipitations. Pour

l’expliquer, Caroff et al. (2014) évoquent le fait que le cyclone n’advecte pas de bandes pluvieuses lors

de son passage au plus proche de l’île : les précipitations sont donc essentiellement orographiques. Les

cumuls de certains points de l’île ont une durée de retour décennale. La valeur la plus remarquable est

le cumul de 1187 mm en 48 h mesuré sur le piton de La Fournaise (2000 m d’altitude).

Le système commence à se déstructurer le 4 janvier sous l’influence d’une baisse du contenu

énergétique océanique et est déclaré système extratropical dans la matinée du 5 janvier.

Figure 48. (a) Cumul de précipitations (en mm) sur 2 jours (2,3 et 4 Janvier 2013) et (b) rafales de vent maximales (en km h-1) enregistrés lors du passage du cyclone Dumile à proximité de l'île de La Réunion. (Source : Météo-France)

(a)

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3.1.3. Classification des aérosols dans le bassin SOOI lors de l’épisode Dumile

Dans l’optique de déterminer les types d’aérosols présents dans le bassin SOOI, plusieurs

passages du satellite CALIPSO ont été exploités. Nous présentons ici deux profils du produit VFM

(section 2.2.3) correspondant à deux contextes distincts : une zone en océan ouvert (figure 49a-b) et une

zone sous influence continentale (figure 49c-d).

Sur océan ouvert, pendant la phase de cyclogénèse, une couche d’aérosols est observée entre

-14°S et -20°S (figure 49a). L’absence de données sur une large part du segment est due à la couverture

nuageuse liée à la dépression tropicale, futur Dumile, localisée à un peu plus de 1000 km au nord des

Mascareignes. Les sels marins (en bleu sur la figure 49b) sont prédominants dans la couche de surface

dont l’épaisseur varie entre 1 et 2 km. Il semble que cette couche d’aérosols soit épaisse lorsqu’elle est

sous l’influence directe des alizés, entre -15°S et -30°S, par opposition à la ZCIT, entre -5 °S et

l’équateur.

Le deuxième profil (figure 49c-d) concerne plutôt la partie ouest du bassin SOOI. CALIOP

mesure ainsi les couches au-dessus de Madagascar alors que Dumile est au stade de forte tempête

tropicale. Ce dernier aspect explique le manque de données entre -25 °S et -17°S. Ce profil affiche une

opposition nette entre la partie nord et la partie sud séparées par la couverture nuageuse du cyclone.

Alors que la partie sud exhibe une couche de surface maritime dominée par les sels marins, la couche

au nord (entre -10 °S et -5°S) est constituée d’un mélange entre les sels marins, les poussières désertiques

et des aérosols de pollution (en bleu, orange et cyan sur la figure 49d). L’algorithme du produit VFM

distingue les poussières désertiques naturelles des aérosols qui ont des propriétés similaires tels que les

aérosols de pollution urbaine.

Dans l’optique de mieux investiguer cette couche mixte, nous analysons l’épaisseur optique de

chaque type d’aérosols estimée par CALIOP (Winker et al., 2003) sur ce profil du 2 janvier 2013.

L’histogramme en figure 50 montre que les aérosols marins représentent plus de 45 % de la base de

données. Comme il a été dit précédemment, la couverture cirriforme empêche la mesure des aérosols ;

il est donc envisageable que la fraction réelle des aérosols marins soit supérieure à 45 %. Sur ce profil,

les poussières désertiques contribuent à hauteur de 25 % au nombre total de points. La majorité des

points mesurés se situe dans la gamme d’épaisseur optique de 0.1 et égale la fraction des sels marins.

Ceci est représentatif de la couche mixte observée entre -5°S et -10°S (figure 49c). A une échelle plus

locale, l’épaisseur optique due aux poussières désertiques atteint 0.4. Ceci confirme que les

concentrations de poussières désertiques au cœur de la masse d’air advectées dans la circulation du

cyclone Dumile (vers 2 km d’altitude) ne sont pas négligeables. Les plus fortes valeurs d’épaisseur

optique sont associées aux autres types d’aérosols émis au-dessus de Madagascar. Ceux-ci représentent

uniquement 8 % de la base de données.

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Figure 49. (a-c) Trajectoires du satellite CALIPSO représentant le type d’objets observés à une altitude de 1000 m, et (b-d) profils verticaux des types d’aérosols déterminés par l’algorithme VFM, (haut) le 30 décembre 2013 à 20 UTC avec une orientation nord-sud et (c-d) le 2 janvier 2013 à 10 UTC avec une orientation sud-nord.

(a) (b)

(c) (d)

Figure 50. Distribution des épaisseurs optiques par couche d’aérosols sur le profil du 02/01/2013 12 UTC.

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3.2 Impact de l’émission et de l’activation des sels marins sur le