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La Suisse a adopté le concept de société à 2000W ces dernières années. Ce concept a été repris par le Canton de Genève dès 2006 (NOVATLANTIS, 2006). Il s’agit d’une vision à long terme développée dans les années nonante par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) et Novatlantis (NOVATLANTIS, 2010 [en ligne]) – vision d’une société « idéale » au niveau énergétique (selon leurs concepteurs), où (NOVATLANTIS, 2005) :

• La quantité relative d’énergie dite primaire8

• L’efficacité énergétique est systématiquement améliorée ;

est divisée par 2.5 (de 5'000 W/hab à 2'000 W/hab) ;

• La proportion relative d’énergie primaire issue des énergies fossiles (actuellement de 55%) diminue à 25% ;

• La proportion relative d’énergie primaire issue des énergies non-fossiles (renouvelables et nucléaire), actuellement de 45%, passe à 75% de la demande totale.

Cette vision implique de facto une diminution des émissions directes de CO2 à une tonne par personne par an9

Schématiquement, la société à 2000W correspond à une demande primaire moyenne annuelle par personne de 17'500 kWh, ou 2’000 Watts en continu. Malgré ces unités de puissance, il s’agit en réalité d’une énergie annuelle moyenne comptabilisée en énergie primaire d’une région ou d’un pays divisé par le nombre d’habitants (unité relative). La comptabilisation concrète de l’énergie primaire d’une société comme celle de la Suisse ou de la région genevoise pose des problèmes méthodologiques non résolus à ce jour.

(NOVATLANTIS, 2005). Elle a été reprise comme le scénario le plus ambitieux (scénario IV) dans les perspectives énergétiques 2035 de la Suisse (OFEN, 2007).

A notre sens, les 5'000 W/hab actuels pris habituellement comme énergie primaire dans la société à 2000W (NOVATLANTIS, 2005), correspondent quantitativement à la notion de consommation brute telle qu’elle est définie par l’office fédéral de l’énergie (OFEN) : « la consommation brute est la somme de la production indigène, des importations nettes d’énergie et des variations de stocks » (OFEN, 2010a).

8 L’énergie primaire est estimée à partir de l’énergie finale, elle-même issue des consommations statistiques (voir plus loin).

9 Par rapport à une moyenne de 5.6 t/pers/an ces vingt dernières années selon les données de l’Office fédéral de l’environnement - OFEV (annexe 3).

Cette notion d’énergie brute permet de prendre en compte les pertes de transformations de la production de l’électricité sur le territoire national (par exemple, un facteur trois est appliqué à l’électricité d’origine nucléaire), ainsi que certains rendements concernant les énergies renouvelables (par exemple 40% pour les capteurs thermique solaires – CSE, 2011 [en ligne]). L’énergie brute peut être utilisée pour comptabiliser les pertes de transformations de la production électrique issue des installations thermiques (fossiles et nucléaires). Concernant les nouvelles énergies renouvelables – encore minoritaire dans le bilan global – la comptabilisation de leur énergie brute sera rediscutée dans le chapitre 4.

La consommation finale (ou énergie finale) se situe « à la fin de la chaîne commerciale » (OFEN, 2010a).

Depuis 1990, les statistiques prennent en compte la consommation d’énergie renouvelable non commercialisée (par exemple la chaleur des capteurs solaires ou des pompes à chaleur). L’OFEN définit qu’ « ainsi, est dite finale l’énergie achetée (ou autoproduite) pour un usage déterminé », comme le courant pour s’éclairer ou l’essence pour faire avancer la voiture.

Schématiquement, on peut représenter le flux d’énergie à travers le système énergétique suisse comme suit (Figure 1 – PFEIFFER A. et al., 2005) :

Figure 1 : flux d’énergie à travers le système énergétique suisse (PFEIFFER A. et al., 2005)

La partie droite (en blanc) représente les flux dans les frontières nationales et correspond statistiquement aux flux de l’énergie brute vers l’énergie finale pour les consommateurs (hors biens et services « matériels » importés - en vert). La partie gauche de la figure (en orange) représente l’énergie primaire d’un pays comme la Suisse, qui n’est pas calculée statistiquement mais peut être estimée selon différentes méthodes. Cette sorte d’« énergie grise » est rajoutée à l’énergie brute, avec un taux pour la Suisse variant selon les sources entre 25% (PFEIFFER A. et al., 2005 ; SPRENG D., 2005) et 80% (cité dans PSI, 2007), cette dernière source nous paraissant très incertaine. Elle est en effet basée sur l’empreinte écologique selon des hectares globaux, en répartissant les importations et exportations d’un pays selon son intensité énergétique et en lui assignant un équivalent CO2

L’énergie dite primaire de 5’000 W/hab du concept de la société à 2’000W (NOVATLANTIS, 2005) ne prend donc pas en compte l’énergie grise des biens et services importés. Pour mesurer l’énergie primaire réelle, il faudrait rajouter à l’énergie brute suisse l’énergie dépensée dans les autres pays pour la production de ces biens et services, tout en déduisant cette énergie dans lesdits pays. A l’inverse, l’énergie dépensée pour les biens et services exportés de Suisse devraient être soustraits des statistiques suisses. Mais la difficulté, voir l’impossibilité de calculer cette énergie primaire réelle pour une région donnée

correspondant à une empreinte en hectares globaux (MONFREDA C. et al., 2004 ; HUIJBREGTS M.A.J. et al., 2008).

10, amène à se poser des questions sur l’utilisation concrète et opérationnelle de ce concept de société à 2000W. Nous y reviendrons dans le chapitre 4.

10 Au vu de l’interconnexion et de la vitesse d’échanges des biens et des services.

Pour expliciter cette problématique, on trouvera dans le Tableau 1 ci-dessous, l’exemple des statistiques suisses (issues du conseil suisse de l’énergie) concernant l’énergie brute et finale (CSE, 2011 [en ligne]) et intégrant les différents facteurs de conversion d’énergie finale en énergie primaire, issus des concepteurs de la société à 2000W (annexe 6.1 de NOVATLANTIS, 2006) :

SUISSE : Moyenne 1990-2009 Energie primaire

Autres énergie renouvelables nd12 36 31

Soldes énergies (charbon, déchets) nd 202 139

TOTAL 6’16513 4’812 3’744

Tableau 1 : statistiques suisses de l’énergie en W/hab (annexe 3)

11 Y compris les soldes d’import/export électrique, rendant impossible la comparaison directe avec la somme hydroélectrique plus nucléaire.

12 Non déterminé en raison de la problématique de la comptabilisation des énergies renouvelables et des déchets-ressources (voir chapitre 4).

13 Autres énergies renouvelables et solde énergie considéré comme équivalent à l’énergie brute pour la somme de l’énergie primaire.

Ce tableau mérite quelques commentaires :

• Les 5'000 W/hab actuels correspondent à de l’énergie brute. D’ailleurs, la période 1990-2009 montre que cette unité relative (par habitant) est à peu près constante et que l’augmentation de la consommation s’est donc déroulée en parallèle à l’augmentation de la population (annexe 3).

• Le passage de l’énergie finale à l’énergie primaire correspond à un facteur moyen de 1.65 ;

• Le passage de l’énergie finale à l’énergie brute correspond à un facteur moyen de 1.29 ;

• Le passage de l’énergie brute à l’énergie primaire correspond à un facteur moyen de 1.28 ;

• La comptabilisation en énergie brute ou primaire est très pénalisante pour l’électricité thermique, spécialement l’électricité nucléaire en suisse : sa contribution relative passe de 10% (énergie finale) à 23% (énergie primaire), faisant passer la somme de l’électricité primaire au-delà de 2000W;

La réalité physique de cette énergie primaire est difficile à évaluer, étant donné que les facteurs de conversion proviennent d’analyses de cycles de vie divers et variés (ECOINVENT, 2011 [en ligne]), difficiles à interpréter au niveau local.

Le concept de société à 2000W paraît à première vue égalitaire (tout le monde a « droit » à 2000 Watts), mais elle cache de l’inéquitable entre les différentes catégories de population dans une société et entre les sociétés. A partir des statistiques internationales de l’AIE, Spreng a calculé la valeur moyenne actuelle et la valeur estimée des 10% les plus riches et des 10% les plus pauvres (Figure 2 - SPRENG D., 2005).

Figure 2 : utilisation d’énergie en kW par habitant de différents pays (utilisation moyenne – points - et utilisation du premier et du dernier décile - traits) – SPRENG D., 2005

Il ressort clairement de cette figure que la moyenne nationale peut cacher de profondes inégalités de répartition de l’énergie, avec par exemple une valeur d’environ 2'500 W pour les moins riches et de 14'000 W pour les plus fortunés de Suisse.

Cela dit, l’intérêt de la société à 2000W « moyenne » réside dans le fait que, par son objectif très ambitieux mais de long terme et en unité relative, elle intègre l’augmentation probable de la population tout en bridant la consommation énergétique globale et en tenant compte de l’inertie du système énergétique et des infrastructures (objectif lointain à 2150).

Des choix sur le modèle d’habitation et sur le type de mobilité devront être faits collectivement pour augmenter l’efficacité, substituer les énergies fossiles par des renouvelable, voire même devenir plus sobres pour certaines prestations. Mais ce n’est pas la société à 2000W qui rendra notre société plus juste ou équitable.