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Chapitre 4 : démarche terrain

1. Contexte spécifique de Total

Sont ici présentées les principales caractéristiques du groupe Total sur le plan de la problématique du transfert de connaissances, telle qu’elle est abordée dans le Groupe et où elle prend le nom de transfert de savoir-faire, qui sera le terme retenu dans ce chapitre relatif à la démarche terrain.

1.1. Caractéristiques de Total

Les caractéristiques du groupe Total en font un terrain particulièrement intéressant pour cette étude : véritable vivier de connaissances, ce Groupe est constitué de plus de 96.000 collaborateurs, répartis dans 130 pays. Ce sont au total 500 métiers17qui couvrent toute la chaîne de l’industrie pétrolière, depuis l’Exploration/Production de pétrole brut et de gaz naturel, jusqu'à la production d'électricité, le transport, le raffinage, la distribution des produits pétroliers et le commerce de pétrole brut et de produits raffinés. Le Groupe se décline ainsi en plusieurs branches métiers (Figure 20) (Tableau 12) :

‐ Le secteur Amont, qui rassemble l’Exploration et la Production d’hydrocarbures et les activités Gaz et Energies Nouvelles ;

‐ Le secteur Aval, qui regroupe les activités de Raffinage et Marketing (R&M) des produits pétroliers (carburants, combustibles, spécialités - GPL, carburants aviation, lubrifiants) à travers le réseau, sous les marques : TOTAL, Elf et Elan, et hors réseau, ainsi que le Trading et Shipping (T&S) ;

‐ Le secteur Chimie, constitué d'un ensemble d'activités comprenant la Chimie de Base (Pétrochimie et Fertilisants) et la Chimie de Spécialités dont les produits sont destinés à l'industrie ou à la grande consommation.

Ces trois branches bénéficient de l’assistance des directions fonctionnelles de la Holding : Secrétariat Général, Finances, Ressources Humaines, Communication, Gestion des Dirigeants, Affaires Publiques, Juridique Groupe18.

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Le référentiel métier du Groupe définit un métier comme un ensemble de connaissances et de savoir-faire communs, mobilisés en vue de concevoir et mettre en œuvre une offre de produit ou service.

Figure 20 : Organisation générale simplifiée du Groupe Total

Tableau 12 : Les métiers du pétrole et du gaz - ONISEP Février 2007

À ces métiers sont associées des problématiques spécifiques qui requièrent une organisation adaptée pour faire face aux enjeux liés :

‐ aux problématiques énergétiques, environnementales et économiques (diminution des réserves et augmentation de la demande) ;

‐ à un périmètre d’intervention international imposant le respect des règles locales et l’adaptation des modes de travail ;

EXPLORATION

PRODUCTION

RAFFINAGE ET

MARKETING

PETROCHIMIE

L’aventure pétrolière com-mence par la recherche de gisements :

c’est l’exploration.

Arrive ensuite l’étape de la prospection : le forage d’exploitation qui va déterminer si les prévisions étaient exactes.

Enfin, la phase d’instal-lation de tous les équipements.

La production peut com-mencer.

Le pétrole brut n’est pas utilisable en l’état. Il doit être purifié et transformé dans des raffineries qui fonctionnent 24 h sur 24. Le pétrole sous sa forme initiale ou en produits raffinés est commercialisé.

À partir du naphta, issu du pétrole, on peut tirer plus de 2000 produits différents. Parmi eux, les caoutchoucs, les fibres synthétiques, les détergents, les matières plastiques… grâce aux transformations des pétro-chimistes. Exploration & Production Gaz & Energies Nouvelles Raffinage & Marketing Trading & Shipping Chimie

Secteur Amont Secteur Aval Secteur Chimie

‐ à des difficultés techniques (par exemple, l’extraction du pétrole à de grandes profondeurs) nécessitant une adaptation des technologies et du savoir-faire des hommes ;

‐ à la sécurité des personnes travaillant en milieux hostiles ; ‐ au développement du capital humain.

D’autre facteurs de pression viennent s’ajouter à ces contraintes tels que la concurrence, l’évolution des besoins des consommateurs ou encore les contraintes environnementales, qui impliquent une adaptation permanente. Le Groupe se doit par conséquent de maintenir une expertise technique, d’améliorer constamment la performance de ses outils et processus industriels, de diversifier ses activités et d’innover.

Or, son envergure, la diversité et la complexité de ses métiers exposent le Groupe à d’importants risques opérationnels et humains : l’éclatement des équipes et des compétences dans cet environnement concurrentiel, les mouvements permanents des individus ou encore les réorganisations sont autant de risques pour la sécurité des personnes, le maintien des compétences et de la production, qui font du management des connaissances un véritable enjeu stratégique. Mais les flux de connaissances, et les connaissances elles-mêmes, sont encore peu maîtrisés pour permettre de les associer directement à la performance de l’entreprise. Il s’agit alors de faire évoluer la conscience collective ainsi que les pratiques, tout en maintenant la production.

En collaboration avec les acteurs du terrain, l’objectif de ce travail est de contribuer à l’essor de cette conscience collective.

1.2. Une grande diversité des pratiques de KM

En mars 2009, à la demande de la Direction des Systèmes d’Information de la Holding, un audit KM est réalisé par des étudiants de 3ème année et de Master Recherche de l’Ecole Centrale Paris, dans le cadre d’un enseignement sur le Knowledge Management. Cet audit est réalisé auprès de douze salariés de Total19

(sept à la Holding et cinq dans les branches) (Encadré 1).

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Audit réalisé sous la direction d’Aurélie Dudezert, Maître de conférences et HDR à l’Ecole Centrale Paris. Parmi les personnes interrogées, 3 travaillent dans les métiers Informatique, 1 dans les métiers de la Gestion de

Les interviews alors menées auprès de personnes identifiées par le commanditaire ont abouti aux constats d’une grande hétérogénéité des pratiques de KM dans le Groupe (Figure 21) liée à la fois aux individus, aux évolutions de l’organisation et à la diversité des métiers impliquant naturellement des besoins et des approches tout aussi variés (approches outil, processus, d’accompagnement ; objectifs de stockage ou de diffusion de la connaissance ou objectif de collaboration, etc.). Il n’y a donc pas de vision unifiée du KM dont les actions sont encore peu valorisées car difficiles à lier à la performance de l’entreprise.

Figure 21 : Hétérogénéité des cultures et des pratiques de KM extrait du rapport d’audit des étudiants de Centrale Paris – mars 2009

Or, l’enjeu des projets de KM réside dans la performance et la pérennité des solutions auxquelles ils conduisent, qu’il s’agisse de systèmes d’information ou de travail collaboratif. Cette diversité des pratiques révèle non pas un, mais des besoins en matière de management des connaissances.

la Finance, 1 dans les métiers du Juridique, 3 dans les métiers de la Production et des Méthodes. Ces interlocuteurs ont été choisis par le commanditaire, en charge de projets KM à la DSIT du Groupe.

Culture « Connaissance » Total Culture Total Formalisation et codification Culture Fina Culture réseau Culture Elf KM pour la R&D notamment

Encadré 1 : Le management des connaissances chez Total

Extrait du rapport d'audit réalisé par les étudiants de Centrale Paris – Dudezert, Mars 2009

La culture de la connaissance actuellement évoquée dans les entretiens est décrite comme une culture de la « différence » et du cloisonnement organisationnel, une culture de la centralisation de l’information et de la connaissance, et une culture du réseau informel. Les propos suivants décrivent cette culture :

« Le partage des connaissances n’est pas toujours aisé entre ces entités car chacune souhaite remplir ses objectifs de rentabilité sans s’ouvrir aux autres »

« Aujourd’hui les personnes expérimentées détiennent un grand nombre de connaissances, et communiquent peu sur ces connaissances. Les nouveaux employés n’ont pas d’information »

« La gestion des connaissances est très tournée vers la relation et le réseau de connaissances humaines. L’ancienneté dans la société permet de contacter les bonnes personnes en cas de problème/question »

« Les postes sont vus comme des « territoires » et non comme une partie d’un flux » « Au niveau du Groupe il n’y a pas vraiment de formalisation des connaissances mais on cherche à centraliser l’information »

Ainsi le partage de connaissance se fait essentiellement au sein des entités auxquelles sont rattachés les collaborateurs et par réseautage. Le réseau est constitué par les expériences antérieures au sein du Groupe et les contacts conservés lors des changements de poste. Les raisons évoquées concernant le peu d’échanges entre entités sont essentiellement la spécificité des métiers de chaque entité mais également la défense de « territoires ». Ainsi la logique de cloisonnement et de défense des spécialisations semble très fortement mise en œuvre au sein du Groupe.

Les entretiens évoquent que cette culture pose des problèmes opérationnels. Notamment pour certains processus transverses (innovation, formation…) il est évoqué que ce manque de visibilité sur les connaissances/compétences présentes dans le Groupe conduit les collaborateurs à être inefficaces, voire conduit à des surcoûts (impossibilité d’identifier qui fait quoi dans le Groupe donc création d’activités en double pour répondre au même problème). Par ailleurs, cette culture pose aussi des problèmes importants pour l’intégration et surtout l’efficacité des nouveaux arrivés dans le Groupe (difficulté à trouver les bons interlocuteurs). Il est évoqué dans les entretiens que le temps d’intégration et d’adaptation pour les nouveaux collaborateurs peut être long et aussi mal vécu. Aussi les personnes interviewées appellent à un changement de culture de la connaissance.

Le problème de la transversalité et de sa difficulté de mise en œuvre est aussi évoqué au travers du problème de l’internationalisation. A plusieurs reprises, le problème de la compréhension de la langue est évoqué. Il est notamment suggéré de mettre l’accent sur la traduction ou de favoriser les modes de représentation visuelle de la connaissance pour faciliter son intégration par des non-francophones.

En revanche, ces actions demeurent confidentielles (ce sont généralement des démarches isolées, répondant à un besoin très spécifique donc peu généralisables) et ne répondent pas à une démarche globale : solutions de partage ou de diffusion (Intranet, Concours d’Innovation, réseaux d’experts), de stockage (guides et manuels, référentiels techniques, bases Rex), d’identification des connaissances (Systèmes d’Information RH, méthodologie de cartographie des connaissances).

Ainsi, cette problématique de management des connaissances est une problématique récurrente, voire permanente, qui concerne non pas quelques acteurs ou entités, mais toute une organisation. Les nombreux projets mis en œuvre chez Total confirment la volonté d’une plus grande maîtrise des connaissances générées mais également la difficulté d’une implantation durable du KM ainsi que le développement d’une logique globale partagée à l’échelle de l’entreprise. L’Encadré 1 ci-dessus, extrait d’un audit réalisé par des étudiants de l’Ecole Centrale Paris, sous la Direction d’Aurélie Dudezert illustre ces difficultés : une culture du partage difficile à généraliser, révélant une volonté de maîtriser la connaissance comme élément de négociation (de pouvoir) ; mais au-delà, cette forme de rétention souligne les craintes et représentations autour de cette ressource connaissance (la crainte de « perdre son pouvoir » en transmettant ses connaissances ou encore la crainte d’une remise en question de sa légitimité dans l’organisation). Ces réactions (au demeurant naturelles dans ce contexte particulier et dans ce type d’organisation) se traduit par l’absence d’une dynamique globale formalisée, de processus de transfert de connaissances. Le partage demeure informel et restreint aux réseaux constitués (collègues, communautés).

Il ressort de cet audit un cloisonnement des connaissances individuelles, résultant de la logique matricielle de l’organisation. La connaissance est alors difficile à localiser, à identifier et, par voie de conséquence, à exploiter, entraînant des conséquences en termes d’efficacité et de coûts : « il faut refaire ce qui a déjà été fait », les temps d’intégration des nouveaux arrivés sont plus longs.

La dimension internationale vient ajouter à la complexité des relations. Une représentation visuelle de la connaissance apparaît, selon cet audit, une solution à la barrière de la langue.

Enfin, cet audit révèle une volonté de changement vers le développement d’une culture de la connaissance.

Tous ces éléments confirment l’intérêt de l’introduction de la cartographie de connaissances pour aborder ces problématiques d’identification et de visualisation de la connaissance et, plus largement, de transfert entre les individus. Cependant, bien qu’il s’inscrive dans un projet de transformation, ce travail de recherche ne prétend pas transformer le groupe Total, ni même impacter l’ensemble de l’organisation. Son objectif est d’apporter quelques éléments de réponse, quelques pistes de réflexion autour de cette problématique de management des connaissances.