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Chapitre 2 : cadre théorique

1. Connaissances, compétences : de quoi parle-t-on ?

Management des connaissances ou des compétences : une ambiguïté demeure sur ces notions et se traduit par une scission dans les entreprises : le management des connaissances (ou Knowledge Management) est davantage l’apanage des Directions de Systèmes d’Information, tandis que la gestion des compétences relève des fonctions Ressources Humaines. La gestion des Hommes est donc décorrélée d’une gestion stratégique des connaissances au sens opérationnel (métier). Un débat entre ces deux notions subsiste donc, dissociant par là-même la connaissance (notion complexe et intangible), et la compétence comme « ensemble de connaissances (théoriques, procédurales), de savoir-faire et de qualités personnelles (Le Boterf (2002, p. 48) ». Cette dernière est, quant à elle, directement associée à la notion de performance : « Dans une profession où la diffusion des techniques et des savoirs est rapide, où les moyens de production se ressemblent à l’identique et où les entreprises en concurrence permanente travaillent pour les mêmes clients, la performance d’une entreprise passe de manière croissante par la compétence de ses salariés et donc la maîtrise qu’ils ont de leur métier » (Brochier, 2009, p1025). A travers cette définition de la compétence, l’individu devient un élément clé de l’entreprise.

Cette dichotomie requiert par conséquent la clarification de ces deux notions afin de repositionner la connaissance au sein de la stratégie de l’entreprise.

1.1. La notion de connaissance

Les caractéristiques de la connaissance en font une ressource difficile à évaluer et à gérer du fait du mélange complexe d’expérience, de valeurs, d’informations contextuelles dont elle est issue, et qui permettent à l’individu d’intégrer de nouveaux éléments.

Elle se distingue de la simple donnée brute et de l’information par la « réappropriation cognitive par l’homme » (Prax, 2007, p. 64), autrement dit son caractère dynamique, sa mise en contexte, et par le sens qui lui est donné par celui qui l’interprète (Figure 3).

Figure 3 : Des données aux connaissances Modèle hiérarchique de la connaissance (Balmisse, 2004)

Elle est dans la tête de celui qui la détient, donc difficile d’accès. Dans les organisations, elle apparaît généralement sous forme de documents mais intervient également dans les routines, les processus, les pratiques et les normes (Davenport & Prusak, 1998, p. 5). La connaissance peut donc prendre de nombreuses formes ou demeurer totalement intangible. Elle n’en n’est cependant pas moins nécessaire à l’entreprise : c’est sa proximité avec l’action qui fait sa valeur. En tant que savoir et savoir-faire, elle relève des capacités dynamiques permettant à l’entreprise de maintenir une aptitude d’adaptation et d’innovation (Ibid, p.6).

C’est par cette création de valeur que la connaissance permet d’assurer un avantage compétitif à long terme (Grant, 1996). Ce caractère durable de la connaissance la différencie des ressources matérielles, qui perdent de la valeur à l’usage et avec le temps. Or, dans un contexte de forte pression où la productivité est une nécessité, la connaissance devient un élément déterminant qui génère de la valeur (Davenport et Prusak, 1998, p.17) : la connaissance a de la valeur et permet d’en créer, accroissant ainsi sa valeur première. Elle tend ainsi à perdre son caractère intangible et devient un bien « que l’on échange, que l’on vend ou que l’on achète » (Carré, 2004, p. 559) : c’est le « marché de la connaissance » (Davenport & Prusak, 1998, p.27). Elle constitue ainsi une monnaie d’échange dans un marché constitué de règles basées sur la réciprocité, la réputation et l’altruisme (Ibid p.32), que l’on retrouve dans les réseaux informels et les communautés de pratiques. À ce titre, la connaissance « constitue un facteur de compétitivité » (Carré, 2004, p. 559), qui consiste en la « la génération, la représentation, le stockage, le transfert, la transformation, l'application, l'enracinement et la protection de connaissances organisationnelles », le management des connaissances devient une nécessité pour les organisations (Drucker, 1993).

(Informations assimilées et utilisables pour une action)

(Données mises en contexte)

(Données brutes)

Connaissance

Information

Données

Outils de gestion des connaissances (KM)

Outils de gestion de l’information

Outils de gestion de données

D’autre part, la connaissance doit s’inscrire dans une dynamique individuelle dans laquelle chacun doit évoluer et faire évoluer ses connaissances sous peine d’en faire une opinion ou un dogme (Davenport & Prusak, 1998, p. 10). Ainsi, si elle constitue une ressource capitale pour l’entreprise, cette connaissance individuelle est néanmoins volatile et fragile, et nécessite un mode de gestion adapté.

La difficulté réside par conséquent dans la maîtrise de cette ressource complexe et intangible qu’est la connaissance. Or, si elle est un préalable à la compétence, la seule détention de savoirs ne suffit pas : c’est le résultat perçu, tangible et mesurable de la compétence qui va contribuer directement à la performance de l’entreprise.

De ce fait, le management des connaissances est peu ou pas intégré à la stratégie de l’entreprise, bien que la connaissance elle-même fasse partie des ressources clés de cette dernière. Elle est alors gérée sous sa forme plus concrète exprimée dans l’action : c’est la compétence.

Enfin, le management des connaissances participe à la mémoire organisationnelle et est étroitement liée au partage d’information et au travail collaboratif (Schultze et Leidner, 2002). La gestion, le partage et le transfert des connaissances à l’ensemble de l’organisation sont par conséquent devenus une nécessité qui contribue à une transformation des entreprises, tant dans les modes d’organisation que dans les pratiques de management (Mounoud et Dudezert, 2008, p. 179).

1.2. Autour de la connaissance… des fondements théoriques

Ce travail de recherche s’appuie sur les fondements théoriques qui caractérisent la connaissance au sein des organisations :

La connaissance comme ressource…

À ce titre, les théories du Resource et Knowledge Based (Penrose, 1959 ; Wernerfelt, 1984 ; Barney, 1991 ; Grant, 1991) soulignent l’importance de la transférabilité des ressources et des compétences d’une entreprise comme un déterminant critique pour un avantage concurrentiel durable (Barney, 1986).

Dans cette perspective, le KBV (Grant, 1996) positionne la connaissance comme une ressource stratégique transférable entre les entreprises mais également au sein des entreprises. Les connaissances constituent un avantage concurrentiel « soutenable », à condition d’être rares, non imitables, non substituables et sources de valeur pour le client (Barney, 1991). La connaissance est par conséquent une ressource à part entière mais, à la différence d’autres ressources davantage matérielles, elle est dynamique et volatile.

…transférable…

La notion de « transférabilité » de la connaissance (Polanyi, 1980 ; Winter, 1987 ; Spender, 1996, Grant, 1996) appelle ses niveaux organisationnels : tacites8 ou explicites, individuels ou collectifs.

Cette classification illustre la dualité des dispositifs de management des connaissances, partagés entre codification et personnalisation, entre la connaissance comme ressource à « stocker » et la connaissance comme ressource non codifiable, basée sur les échanges interpersonnels au sein des organisations (Hansen et ali, 1999).

… qui se transforme.

Ainsi, au-delà des caractéristiques de la connaissance, de son caractère dual, il convient de s’intéresser aux processus d’acquisition, de transformation et de diffusion de la connaissance dans les organisations.

Le processus de création de connaissance de Nonaka et Takeuchi (1995) - le SECI, souligne le passage d’un état tacite à un état explicite par le biais d’un mode de développement spécifique. Dans ce modèle, les individus (ou groupe d’individus) vont au-delà des limites de leurs propres connaissances pour générer une dynamique de création de connaissances au sein d'une organisation.

Pour aller plus loin, Nonaka et Konno (1998) propose la notion de « Ba », un « espace mental partagé et dédié », nécessaire à la circulation des connaissances au sein de l’organisation. Le transfert de connaissance n’est pas uniquement inhérent aux individus, il est conditionné par l’environnement dans lequel il s’effectue.

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Par tacite nous entendons les connaissances qui s’acquièrent par un apprentissage informel et par socialisation d’un individu dans un groupe (Plane, 2000). Beyou (2003) distingue les notions tacite « que l’on ne peut pas exprimer » et implicite que l’on ne veut pas exprimer. Par explicite, nous entendons les connaissances formalisées (sous forme de normes, procédures, etc.). Ces connaissances peuvent être intériorisées et partagées.

Des groupes se constituent ainsi autour d’une connaissance partagée, d’un intérêt commun, pour créer à leur tour de nouvelles connaissances. Ce sont les communautés de pratique, décrites par Wenger (1998) comme un « ensemble d’individus socialement liés, engagés dans une activité, une pratique conjointe ou complémentaire, partageant des préoccupations, une passion, des concepts et un langage communs, et qui développent leurs compétences par l’échange et des activités communes de résolution de problèmes. C’est par l’échange entre pairs et la pratique commune, que les membres des Communautés de Pratique font sens de leur pratique. » Ces communautés contribuent à une dynamique de création de connaissances et donnent du sens aux actions du groupe, sens qui permet le maintien de ces communautés.

Fondements théoriques Auteurs

Resource-Based View (RBV) Penrose (1959) Wernerfelt (1984) Barney (1991) Knowledge-Based View (KBV) Kogut et Zander (1992) Grant (1996) Classification Tacite/Explicite Individuelle/Collective Polanyi (1966) Grant (1996) Nelson et Winter (1982) Spender (1996) Lam (2000) SECI BA Nonaka et Takeuchi (1995) Nonaka et Konno (1998)

Création de sens Weick (1995)

Communautés de pratique Wenger (1998)

Capital social Bourdieu (1980)

Organisation apprenante Senge (1990)

Tableau 2 : Synthèse des théories du management des connaissances sollicitées dans cette recherche

émerge la notion de capital social désignant « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d'un réseau durable de relations d'interconnaissance et d'inter-reconnaissance » (Bourdieu, 1980). La combinaison savoir/réseau sociaux accroît la valeur créée. L’organisation dispose d’une capacité d’apprentissage via son collectif : c’est l’organisation apprenante. Cette dernière encourage ainsi le travail en réseau et le partage de connaissances pour devenir une « network centric enterprise » (Binot & Dudezert, 2008). Enfin, les systèmes d’information se développent pour faire l’interface entre l’individu et l’information de manière contextualisée : c’est le « network centric information » (Lancini et Lebraty, 2007). Les notions de réseau et d’organisation apprenante sont des éléments clés de l’Organisation 2.0 définie plus loin : les dynamiques d’acteurs font la dynamique de la connaissance au travers des interactions souvent portées (et favorisées) par les systèmes d’information ; elles permettent une création de valeur propice à l’organisation qui intègre cette valeur et accroît sa performance.

1.3. Panorama des outils et pratiques de management des connaissances

Davenport & Prusak (1998, p. 146) identifient trois types de projets de knowledge management :

- des projets de “stockage” de connaissances (knowledge repositories) où la connaissance est une entité distincte des individus qui la créent et l’utilisent :

- la connaissance externe (ex. : veille concurrentielle) ;

- la connaissance interne structurée (ex. : rapports de recherche, méthodes) ; - la connaissance interne informelle, faisant davantage référence aux retours d’expérience.

- des projets visant l’accessibilité à la connaissance et le transfert entre les individus : ces projets se focalisent sur les individus qui détiennent cette connaissance et les utilisateurs potentiels ;

- des projets visant à créer un environnement propice au développement de démarches de knowledge management (Knowledge environment), comme la mesure et l’amélioration de la valeur du « capital connaissance », le développement d’une culture KM, l’accompagnement au changement, l’amélioration des processus de management des connaissances.

Ces projets répondent à des objectifs (et donc des besoins) spécifiques, amenant le déploiement d’approches et d’outils dédiés ; sur la base du modèle SECI (Nonaka et Takeuchi, 1995), Balmisse (2004) propose un panorama des outils de management des connaissances : VERS Tacite Explicite DE Tacite Socialisation Externalisation Localisation d’expertise - Outils de localisation d’expertise - Outils de groupware - Outils d’e-Learning  Messagerie électronique  Mailing lists  Forums de discussions  Chat Echange d’expertise - Outils de groupware - Outils d’e-Learning Explicit e Internalisation Combinaison - Text mining

- Outils de cartographie des connaissances - Outils de visualisation

- Outils d’e-learning

- Outils de G.E.D

Acquisition - Text mining

- Data mining Organisation - Data warehouse - Thésaurus - Réseaux sémantiques - Systèmes experts - Systèmes de raisonnement à base de cas - Réseaux bayésiens Accès - Moteur d’indexation et de recherche - Agents Partage - Outils de groupware - Outils de workflow - Outils de push

Tableau 3 : Panorama des outils de gestion de connaissances (Balmisse, 2004)

Ainsi, la littérature révèle un grand nombre de pratiques autour du management des connaissances et souligne une diversité de solutions inhérentes aux objectifs et au contexte et des acteurs impliqués. Mais le KM ne se limite plus aux solutions outillées ; il est une opportunité de combiner des approches centrées sur les individus (Barthélémy et al. 2002) et des approches centrées sur la tâche (Pastorelli, 2006) pour une utilisation pertinente (ciblée) et efficace des systèmes d’information, notamment en matière de prise de décision.

Mais ces approchent révèlent également l’absence de démarches globales et soulignent la nécessité d’un environnement propice à l’acceptation d’une culture centrée connaissance.

Ce panorama donne un aperçu de l’existant et illustre l’ensemble des possibles mais également la complexité d’un management des connaissances global dans des organisations centrées processus.