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II. Première étude : Effet d’une stimulation des canaux semi-circulaires sur la

1. Contexte scientifique

Comme nous l’avons énoncé en introduction de ce manuscrit, lors d’une tâche locomotrice, l’Homme doit en permanence maintenir son centre de masse au sein même du polygone de sustentation. Pour ce faire, il doit prévoir et réguler un ensemble de commandes parallèles destinées à anticiper les déséquilibres posturaux qui accompagnent le mouvement : c’est la coordination posture/mouvement (Massion, 1992). Les informations sensorielles provenant des capteurs visuels, proprioceptifs et vestibulaires alimentent une boucle sensori-motrice (se référant à la réponse motrice) et une boucle cognitive (se référant à l’intégration consciente des informations par rapport à un référentiel donné) permettant l’avancée du corps et le contrôle de l’action (Paillard, 1999). Comme l’énonce Orlovsky (1972a), la voie vestibulospinale agit sur les muscles extenseurs lors de la locomotion (Orlovsky, 1972a). En effet, le recrutement fonctionnel des muscles fléchisseurs plantaires pendant la phase d'appui de la locomotion est lié à l'activité phasique de la voie vestibulospinale, elle-même régulée par des signaux provenant de la voie spinocérébelleuse et du cervelet (Kanaya, et al., 1985 ; Matsuyama & Drew, 2000, Orlovsky, 1972a). Lorsqu'elle est stimulée électriquement, la voie vestibulospinale augmente le tonus du muscle fléchisseur plantaire. Cependant, le moment de la stimulation par rapport au cycle moteur n'a aucun effet sur la coordination musculaire (Orlovsky, 1972b). Cela suggère que la régulation de l'activité musculaire dans les phases appropriées du cycle

locomoteur peut être réalisée par un mécanisme différent, probablement rachidien (Grillner, 1985). En outre, l'activité des neurones de Deiters évoquée par une stimulation vestibulaire s'est révélée sensiblement diminuée pendant la locomotion ou inhibée par une stimulation concomitante de la région locomotrice mésencéphalique au cours d'une tâche statique (Orlovsky et Pavlova, 1972).

L'inhibition des signaux vestibulaires avec l'augmentation de la vitesse du mouvement (de la posture à la marche) a également été observée chez l’Homme (Brandt 2000 ; Brandt et al., 1999 ; Dakin et al., 2013 ; Jahn et al., 2000). Par exemple, Brandt et al. (1999) ont constaté une diminution de la déviation latérale de la marche pendant la course comparativement à la marche chez les patients présentant une vestibulopathie unilatérale et chez les participants en bonne santé soumis à un déséquilibre transitoire du tonus vestibulaire (DTTV, stimulation des canaux semi-circulaire latéraux) (chapitre II, Figure n°1).

Chapitre II, Figure 1. Déviation des sujets sains due à un DTTV. Figure issue de Brandt et al. (1999).

Plus récemment, Dakin et al. (2013) ont montré une diminution du couplage vestibulo-musculaire due à l'augmentation de la cadence de marche, en particulier pendant la phase d'appui du cycle de marche. Dans l'ensemble, ces résultats suggèrent un changement probable dans les réseaux neuronaux impliqués dans le contrôle de la locomotion, avec une plus grande dépendance aux entrées vestibulaires pour la posture et la marche lente que pour les

comportements locomoteurs rapides. Orlovsky & Pavlova (1972) ont montré que l'origine fonctionnelle de cette inhibition vestibulaire permet d’éviter les interférences des mouvements de tête irréguliers sur l'activité des réseaux spinaux et supra spinaux impliqués lors d’une tâche de locomotion rapide. Des résultats récents par résonance magnétique fonctionnelle corroborent ces hypothèses (Deutschländer et al., 2009, Jahn et al., 2004, 2008, la Fougère et al., 2010). Une faible activité des structures supra spinales (cervelet, thalamus et ganglions de la base) agissant sur les réseaux neuraux spinaux a été mise en évidence et permet le contrôle de l'équilibre en position anatomique de référence. Cependant, à mesure que le rythme du mouvement augmente (marche → course), l'activité de ces réseaux supra spinaux augmente

alors que les cortex vestibulaires et somatosensoriels sont progressivement inhibés (Jahn et al., 2004). Ces résultats peuvent avoir des applications concrètes en pratique clinique. Par exemple, différents modes de locomotion pourraient être intégrés dans la rééducation vestibulaire. Néanmoins, l’efficacité de cette rééducation sur les mécanismes d’intégration des informations vestibulaires lors de la marche reste difficilement quantifiable. Face à ces difficultés méthodologiques, l’étude des synergies musculaires (ou modules musculaires) offre une perspective d’analyse particulièrement riche et novatrice, puisqu’elle permet d’obtenir des informations à la fois sur les stratégies sous-jacentes du contrôle nerveux des comportements moteurs et sur l’implication fonctionnelle des activations musculaires (Safavynia et al., 2012 ; Ting et al., 2015). Récemment, il a été proposé que ces synergies musculaires, composées de muscles activés simultanément, constituent des blocs de construction qui faciliteraient l’élaboration des comportements moteurs (Bizzi & Cheung, 2013 ; d’Avella et al., 2005 ; Ting & McKay, 2007). Le système nerveux s’appuierait alors sur une quantité limitée de synergies musculaires dont le recrutement flexible permettrait de produire une grande quantité de mouvements. A la marche, un nombre limité de synergies musculaires (Ivanenko et al., 2003) permet d’expliquer la variabilité d’une multitude de signaux électromyographiques (EMG) et

leur activation temporelle reflète une sous-tâche fonctionnelle du cycle de marche (chapitre II, Figure 2).

Chapitre II, Figure 2 : A la marche, les commandes descendantes de la moelle épinière, du tronc cérébral et du cortex peuvent moduler les synergies musculaires. Chaque synergie comprend une composante spatiale qui représente l’implication de chaque muscle au sein de

la synergie, et une composante temporelle qui reflète son patron d’activation au cours du cycle de marche. Le pattern d’activation de chaque muscle se traduit par la combinaison des différentes synergies au sein desquelles le muscle est plus ou moins impliqué. Figure issue de

Ting et al. (2015).

Chez le sujet sain, la littérature (Chvatal & Ting, 2012, 2013 ; Chvatal et al., 2011) souligne que les synergies musculaires forment un répertoire moteur commun, sous-jacent à la production de différents comportements moteurs, pouvant être recruté par une variété de voies/structures nerveuses : mouvements volontaires (cortex), réactifs (tronc cérébral) et rythmiques (moelle épinière). De fait, la modulation du nombre de synergies musculaires, de leur composition et/ou de leur activation temporelle permet de rendre compte des adaptations neurophysiologiques sous-jacentes au contrôle du mouvement en fonction d’une altération sensorielle (e.g. capteur vestibulaire) et/ou d’une prise en charge thérapeutique.

L’objectif de ce travail est de quantifier le niveau d’intégration des informations vestibulaires au cours de la locomotion chez des participants sains. Pour cela, nous utilisons une stimulation

visant à perturber la fonction vestibulaire selon la méthode décrite par Brandt et al., 1999 et consistant en une surstimulation vestibulaire (Déséquilibre Transitoire du Tonus Vestibulaire). Ainsi, la surstimulation des canaux semicirculaires vise à modifier les informations vestibulaires « normales » pour interagir sur la locomotion. Nous émettons alors deux hypothèses : (1) La surstimulation engendre une plus grande déviation à la marche comparée à la course des sujets dans l’espace, comme l’ont montré Brandt et al., 1999 (chapitre II, Figure n° 1). (2) Pour comprendre comment sont intégrées les informations vestibulaires, nous avons utilisé les coordinations musculaires (synergies) comme curseurs de dégradation de la commande motrice. Nous posons l’hypothèse que la DTTV engendre une faible altération des synergies musculaires quel que soit le mode de locomotion en faveur d’une origine spinale des synergies. Par conséquent, l’intégration des informations vestibulaires déstabilisantes (DTTV) à la marche sous-tendrait une intégration supra spinale des informations vestibulaires, tandis que l’inhibition du DTTV à la course sous-tendrait une commande motrice d’origine spinale.

2. Matériels et Méthodes