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LE PARCOURS MIGRATOIRE DES INTERVENANTS SOCIAUX ŒUVRANT EN CONTEXTE INTERCULTUREL UN SAVOIR

1. Contexte de l’étude : Immigration, services sociaux et interventions

Le phénomène migratoire n’est plus l’apanage d’une société donnée ; il concerne toutes les sociétés modernes, qui se sont brassées au fil du temps. À ce jour, il touche presque toutes les régions du monde d’une façon ou d’une autre (Wihtol de Wenden, 2008; 2013). Ainsi, le Canada, deuxième pays au monde après l’Australie, qui a une frange significative de sa population née en dehors du pays (Statistiques Canada, 2007; 2011) a une histoire d’immigration composée de vagues et qui remonte loin.

Le Québec n’échappe pas à ces mouvements et se distingue par sa particularité linguistique. Au-delà de l’emphase mise sur une immigration francophone, le Québec est aussi une mosaïque ethnoculturelle (Recensement 2006, Statistiques Canada) qui accueille chaque année un nombre constant d’immigrants. Montréal, sa métropole qui concentre le plus d’immigrants, selon l’ENM (2011), comptait environ 33.2% de personnes immigrantes. On y dénombrait aussi 200 ethnies et pas moins de 120 communautés culturelles différentes1. Il faut de façon générale, retenir de ces différents constats et chiffres, que la population immigrante n’est pas homogène.

En outre, cette immigration comporte son lot de défis autant pour la société d’accueil que pour les personnes qui immigrent. Une des difficultés concerne l’insertion sur le marché de l’emploi des immigrants en dépit « de leurs expériences professionnelles et de leurs connaissances linguistiques » (Chicha, 2012 : 82). En effet, malgré un taux de scolarisation hautement plus élevé que la moyenne canadienne et québécoise (Bourdabat et al 2010; Forcier et al., IRIS, 2012), cette richesse académique et professionnelle est « gaspillée » (Chicha, 2013). Ce gaspillage résulte de plusieurs obstacles structurels et humains qui donne lieu à un taux de chômage élevé (Cloutier, 2005; Rachédi et Legault, 2008; Eid, 2012; Chicha, 2012 et 2013; Badwall, 2014; Pullen-Sansfaçon, 2015). Cependant, même si ce nombre est encore faible, à force d’acharnement et de travail (Cloutier, 2005; Pullen-Sansfaçon, 2015), de plus en plus d’immigrants se frayent un chemin dans certaines professions au Québec.

81 Un autre obstacle tient à la question de l’adaptation même des services destinés à aider ces immigrants à s’adapter et s’intégrer. Ainsi, selon Kalanga W-T et Legault (2008), dans un contexte marqué de plus en plus par une diversification sociale et culturelle, les besoins doivent être analysés en tenant compte d’éléments à la fois personnels, culturels et historiques propres à la personne qui les a formulés. Ce qui n’est pas toujours le cas comme le soulignent plusieurs études (Nduwimana et Home, 1995, Battaglini et al., 2007 et 2010; Vissandjée, 2008; Léanza, 2013).

Pour faire face à ces défis, des modèles ont parallèlement fait leur apparition en vue de rendre les services de la société d’accueil plus accessibles et adéquats pour les personnes immigrantes. C’est dans ce contexte que s’est faite l’émergence conceptuelle de « l’interculturel ». Selon Abdallah-Pretceille (2011) et plusieurs auteurs dans son sillage, l’interculturel réfère à « une mise en relation et une prise en considération des relations entre des groupes, des individus, des identités […] ». Pour notre part, nous retenons la définition de l’interculturel comme celle d’un rapport dynamique, « une interaction entre deux identités qui se donnent mutuellement un sens » (Legault et Rachédi, 2008 : 124).

La plupart des définitions de l’interculturel se recoupent dans deux notions : celles de la culture et du parcours migratoire. Au niveau de la notion de culture, la plupart des auteurs consultés ont en commun d’ouvrir le concept à quelque chose de doublement visible et non visible (Das, 1988 cité dans Gratton, 2009), de dynamique non figée, en constante construction de sens (Bouchard, 2012; Léanza, 2013).

Le deuxième concept relié à l’interculturel est celui du parcours migratoire, quasiment considéré par certains auteurs comme la clé de voûte de l’approche interculturelle (Gratton, 2009; Cohen Emerique, 2011). Dans la perspective de cette approche, deux acteurs sont à prendre en compte : les intervenants et les personnes immigrantes. Autant il est nécessaire de s’arrêter au parcours migratoire des usagers immigrants pour avoir une meilleure compréhension de leur situation, autant il faut s’arrêter à la personne de l’intervenant. En effet, celui-ci est vu comme son premier outil de travail et ses savoirs, ses connaissances, ses habiletés ainsi que son identité sont grandement mobilisés dans l’intervention.

82 Dans un contexte marqué par l’immigration, ces intervenants doivent composer avec plusieurs défis, notamment en revoyant leurs façons d’intervenir pour s’adapter à cette clientèle (Kalanga, W-T et Legault, 2008). Parfois, ces interventions complexes amènent les intervenants à développer des savoirs en cours de pratique, savoirs qui demeurent souvent méconnus2.En travail social, les intervenants sont vus comme des personnes polyvalentes qui possèdent plusieurs savoirs dont des savoirs théoriques produits scientifiquement, des savoirs pratiques produits par l’action et l’expérience et finalement des savoirs existentiels englobant les croyances et les valeurs qu’ils utilisent dans leur pratique (Crête, 2013).

En ce sens, notre postulat est qu’il y a parmi eux des praticiens qui font usage, parmi leurs savoirs pratiques produits par l’action et l’expérientiel, d’un savoir tiré de leur expérience migratoire tel que mentionné plus haut. Ce postulat est soutenu par l’une des rares recherches existant au Québec sur cette question spécifique, menée par Cloutier (2005), qui a mis en lumière les savoirs expérientiels des intervenantes immigrantes œuvrant dans des organismes communautaires à Montréal. Nous pensons que le fait d’avoir vécu les différentes phases du processus migratoire a amené les intervenants sociaux immigrants à faire des apprentissages et des expériences qui font partie désormais de leur bagage de connaissances disponibles (Schön, 1994) qu’ils utilisent pour aider les nouveaux arrivants et immigrants moins récents. Ce qui nous amène à nos questions de recherches qui sont les suivantes :

 Dans quelle mesure les intervenants sociaux immigrants exerçant en contexte interculturel réfèrent-ils aux savoirs d’expérience de vie tirés de leur propre parcours migratoire ?

 Quelle place occupent ces savoirs parmi les différents types de savoirs et comment sont-ils mobilisés dans l’action ?

 Concrètement, il s’agit de qu’est ce qui est utilisé dans la pratique, de quelle façon ? Ces questions permettront de répondre ultimement aux objectifs suivants :

2

Certains auteurs soutiennent dans un cadre non spécifique à l’interculturel que la pratique est un lieu de production de savoirs. Pour la plupart de ces auteurs consultés, les intervenants utilisent des outils et des éléments tirés de leur expérientiel, un processus tacite, conduisant à des actions qui s’inspirent autant de la théorie que de l’expérience pratique (Schön, 1986 : 70).

83  Explorer et comprendre la place du parcours migratoire dans la construction des

savoirs d’expérience chez l’intervenant social immigrant;  Documenter comment ce savoir est mobilisé dans l’intervention.

Le contexte de notre recherche étant présenté ainsi que les objectifs, nous allons nous atteler à présent à exposer l’ensemble des concepts, hypothèses et théories qui soutiennent tout ceci, c'est-à-dire le cadre conceptuel (Maxwell, 1999).

2. Cadre d’analyse : parcours migratoire, approche interculturelle et savoirs