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1.1 Contexte de l’étude

Ce sujet de thèse s’inscrit dans le cadre du projet européen European Sodium Fast

Reactor-Safety Measures Assessment and Research Tools(ESFR-SMART) lancé en 2017, dont le but est d’étudier de nouvelles mesures de sûreté pour les Réacteurs nucléaires à Neutrons Rapides refroidis au Sodium (RNR-Na). Les activités de recherche sont parta-gées entre le Laboratoire Énergies & Mécanique Théorique et Appliquée (LEMTA) de l’Université de Lorraine et le Laboratoire d’études et d’Expérimentations pour les Acci-dents Graves (LEAG) du Commissariat à l’Énergie atomique et aux énergies Alternatives (CEA) de Cadarache.

En France, en 2006, dans le cadre de la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion des déchets radioactifs [4], un programme de recherche impliquant le CEA, Framatome, et EDF, se concentrant sur le développement de réacteurs de quatrième génération refroidis au sodium, a été lancé. À la fin de l’année 2009, la mise au point d’un démonstrateur industriel de RNR-Na a été identifiée comme étant une priorité nationale dans un plan d’investissement global. C’est la naissance du projet ASTRID, dont le budget a été arrêté par la loi de finances de 2010 [5]. C’est dans le cadre des études de sûreté pour ASTRID que le présent sujet de thèse tire son origine.

Tout nouveau réacteur nucléaire doit prendre en compte, dès sa conception, les leçons tirées de l’accident de Fukushima Dai-ichi, comme souligné par le rapport de la Western

European Nuclear Regulators Associationde 2013 [6]. Ainsi, la possibilité de dégradation du cœur et la fusion de combustible conduisant à la rupture de la première barrière de confinement – les crayons combustibles – doivent être prises en compte. Des stratégies

de mitigation doivent donc être définies. Ces recommandations s’appliquent tout par-ticulièrement aux réacteurs de quatrième génération dont les objectifs sont basés sur [7] :

— la possibilité de multi recyclage du plutonium et une utilisation optimale de la ressource en uranium naturel ;

— la possibilité de transmuter et détruire une partie des actinides mineurs à l’origine de la dangerosité des déchets nucléaires ;

— l’amélioration des niveaux de sûreté, qui devront être au moins équivalents à la troisième génération (Evolutionary Power Reactor - EPR) ;

— l’atteinte d’un niveau de compétitivité économique acceptable rapporté à l’utili-sation ;

— la démonstration de résistance à la prolifération d’armes nucléaires.

Les deux premiers objectifs cités avantagent les réacteurs à neutrons rapides. Dans le spectre rapide, l’isotope 238 de l’uranium, qui constitue environ 99 % de l’uranium naturel, se transmute en plutonium dont tous les isotopes sont fissiles dans ce même spectre.

En cas de fusion du cœur d’un RNR-Na, la stratégie de mitigation, initialement pensée pour le projet ASTRID, consiste à placer des tubes de déchargement traversant le cœur du réacteur et les structures de maintien – sommier, platelage – pour déboucher dans le plénum de sodium (cf. fig. 1.1). Entre les tubes et la cuve, qui constitue la deuxième barrière de confinement1, serait positionné un plateau récupérateur de corium. Il per-mettrait de protéger la paroi de la cuve de l’impact du jet, mais aussi d’étaler le corium, augmentant ainsi la surface d’échange thermique. Par ailleurs, l’étalement induit un accroissement des fuites neutroniques ce qui réduit la probabilité de recriticité du co-rium. Ce plateau permettrait donc d’augmenter la probabilité de stabilisation du corium, après formation, et d’améliorer sa gestion à long terme. Les spécifications techniques du récupérateur de corium sont les suivantes [8] :

— Peut contenir la totalité de la matière relocalisée (combustible et éléments de structure) ;

— Optimise le contrôle de la criticité de la matière relocalisée ;

— Permet de refroidir le corium et d’évacuer la chaleur résiduelle due aux désinté-grations des produits de fission ;

— Protège les structures de maintien du récupérateur des chocs thermiques et mé-caniques ;

— Maintient ses performances malgré le possible impact d’un jet de corium ; — Une fois la matière relocalisée, le rôle du sodium est d’évacuer la chaleur résiduelle

en évitant une évaporation excessive ;

— Est construit dans un matériau compatible avec du sodium dans des conditions normales d’opération sur la durée de vie du réacteur ;

— Présente des coûts de production acceptables.

Figure 1.1 – (Gauche) Vue en coupe d’un RNR-Na équipé d’un couple tubes de dé-chargement / plateau récupérateur en situation accidentelle. (Droite) Vue en coupe du réacteur ASTRID.

Pour permettre aux futurs récupérateurs de corium de répondre à ces spécifications, plusieurs points doivent être éclaircis. L’efficacité des stratégies de mitigation retenues doit être prouvée. L’absence de données quantitatives et de codes prédictifs sur les char-gements thermiques et mécaniques reçus par les éléments présents dans la cuve du ré-acteur, y compris le récupérateur de corium, doit être comblée. Notamment, de grandes incertitudes demeurent sur les interactions corium / sodium lors du déchargement. Les méthodes de détermination de la longueur de rupture du jet de corium pénétrant dans du sodium doivent être fiabilisées. Donc, la possibilité d’impact d’un jet cohérent de corium ne pouvant être écartée, elle doit être étudiée, et le récupérateur de corium dimensionné en conséquence.

Malgré l’arrêt du projet ASTRID, les activités de recherche se maintiennent dans le domaine des réacteurs de quatrième génération, qui sont nécessaires pour envisager un avenir à la filière électronucléaire. C’est d’autant plus vrai pour ce qui concerne les études de sûreté qui sont des préalables indispensables à la mise en œuvre de tout nouveau réacteur. La stratégie du CEA concernant les RNR-Na met l’accent sur trois grands axes de recherche :

1. L’amélioration des connaissances des phénomènes liés aux accidents nucléaires graves ;

2. L’édification d’un programme de recherche axé sur la simulation numérique per-mettant de capitaliser les connaissances acquises afin de perfectionner, ou de mettre au point, des codes de calculs et d’estimer les incertitudes ;

(a) Étendre la base de données disponible pour la qualification des codes de cal-culs ;

(b) Qualifier les approches proposées pour les futurs RNR-Na.

L’intérêt pour les RNR-Na, parmi les technologies retenues pour la quatrième généra-tion de réacteurs nucléaires, et l’importance de l’analyse de leur sûreté ont été confirmés au niveau européen par l’institution du projet ESFR-SMART en 2017. Dans le cadre de ce projet, deux programmes ont été proposés :

— La mise en place d’une plateforme expérimentale permettant l’étude de l’ablation de blocs de glace transparente par des jets d’eau - approche utilisant des matériaux simulants - et la réalisation d’expériences par son biais, qui est l’objet de la thèse ; — La construction du dispositif Jet Impingement on Metallic Core Catcher (JI-MEC), à partir de l’installation MOCKA au Karlsruher Institut für Tehnologie (KIT), pour l’étude de l’ablation d’un bloc d’acier par un jet d’acier – maté-riaux prototypiques2 – qui a reçu des contributions du projet de thèse et dont les résultats sont discutés au sein du présent document.

Beaucoup d’inconnues demeurent sur la forme finale que pourront prendre les récupé-rateurs de corium des futurs RNR-Na. L’enjeu principal du projet et de donner accès à des éléments fiables permettant de prendre les meilleures décisions de dimensionnement pour ces dispositifs. La succession de régimes d’ablation déjà identifiée, régime d’ablation en film suivi du régime de « pool-effect » doit être confirmée.

Les régimes d’ablation et la phénoménologie seront développés plus loin dans le texte. Il semble néanmoins pertinent de présenter ici les deux principaux régimes d’ablation, qui viennent d’être mentionnés. Ils sont schématisés en figure 1.2. Le premier est celui qui a été le plus étudié par le passé. La vitesse d’ablation y est constante. Le second régime d’importance, appelé « pool-effect », a été baptisé ainsi par Saito et al. [9], il se produit lorsque le film liquide s’effondre et remplit la cavité. Il est à l’origine d’une réduction de vitesse d’ablation dans les expériences de Saito et al. [9].

Les autres régimes potentiellement rencontrés doivent être inventoriés. Les limites d’existence des différents régimes doivent être étudiées, autant que possible. Les dif-férents régimes étudiés doivent être caractérisés, en particulier à l’aide de corrélations expérimentales ou de modèles physiques lorsque c’est possible. Ce sont les objectifs prin-cipaux de la thèse.

L’étude de l’ablation d’une paroi solide par un jet liquide fait intervenir de nombreux concepts physiques. C’est un problème de transfert thermique convectif triphasique (so-lide - liquide - gaz), dont l’approche par simulation est ardue et nécessite un grand nombre d’informations a priori. Une partie de ces informations sont fournies dans la

Figure 1.2 – Schéma en coupe des deux principaux régimes d’ablation.

présente étude à dominante expérimentale. L’impact de la nature diphasique des in-teractions liquide / gaz se retrouve lors de la chute du jet, dont le comportement est totalement différent de celui d’un jet submergé. Il se retrouve aussi lors de l’étalement du jet sous forme de film sur la paroi, et avec l’entraînement de gaz dans la cavité remplie de liquide lors du « pool-effect ». La gravité et la forme de la cavité ont un effet majeur sur la succession des régimes d’ablation, qui a été négligé dans les études précédentes. Dans le but de comprendre les phénomènes mis en jeu et étendre l’étude au-delà de la zone de stagnation, une étude bibliographique approfondie a été réalisée sur la base des phénomènes d’intérêt - étalement d’un jet liquide, fonte en convection forcée. Elle fait l’objet du deuxième chapitre de cette thèse.

Le développement d’un nouveau dispositif expérimental était nécessaire afin de s’af-franchir des limitations techniques des installations précédemment décrites par les au-teurs ayant étudié la problématique. Ce dispositif nommé Hot Ablation of a SOlid by

a Liquid jet - Observation (HAnSoLO) est la colonne vertébrale du projet de thèse. Sa mise en place a nécessité de nombreux développements techniques qui sont présentés au sein du troisième chapitre. La conception a été pensée de manière à ce que l’installation soit pérenne et puisse être le support de futurs travaux étendant, notamment, le nombre de paramètres étudiés.

Plus précisément, l’installation HAnSoLO, qui a été conçue au LEMTA pour étu-dier l’ablation de manière analytique, possède deux buts. Le premier est d’améliorer la compréhension physique du phénomène. Le second est d’apporter des éléments pour construire une démonstration de sûreté. Pour concilier ces deux impératifs, des choix ont été faits. Ils sont cités ici et seront détaillés ultérieurement. Nous avons fait le choix

de nous concentrer sur l’ablation d’une paroi solide par un jet liquide cohérent de même nature. Nous supposons que c’est la situation entraînant les plus grandes vitesses d’abla-tion. Pour obtenir une visualisation correcte, le système eau / glace transparente a été utilisé. Le jet est vertical et dirigé dans le sens de la gravité. Le solide impacté – glace – est à une température proche de sa température de fusion, et les expériences sont faites de telle manière que le profil de température à l’intérieur de ce dernier soit uniforme. Pour se rapprocher du cas « réacteur », les jets utilisés sont turbulents.

Ces décisions ont été prises pour limiter le nombre de phénomènes mis en jeu et se concentrer sur la vitesse d’ablation, la succession de régimes d’ablation et notamment le « pool-effect » décrit pour la première fois par Saito et al. [9], ainsi que la forme de la cavité. Aussi, nous avons privilégié l’étude de l’influence de paramètres ciblés : la vitesse du jet, la température du jet et le diamètre du jet.