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Construction de l’identité du travailleur dyslexique par des interactions intra-personnelles : Le stigmate, un

CHAPITRE 1 LA DYSLEXIE DANS LES ORGANISATIONS

II. L’identité du travailleur dyslexique : L’impact des interactions intra et inter-personnelles

II.I. Construction de l’identité du travailleur dyslexique par des interactions intra-personnelles : Le stigmate, un

travailleur dyslexique (II). Ce chapitre aboutit à l’explication de l’impact du stigmate. Cependant, peu d’études empiriques valident les éléments de cette revue de littérature.

STRUCTURE DU CHAPITRE

I. L’individu dyslexique dans l’organisation : Les manifestations invisibles du handicap

I.I. L’importance du langage et de la parole pour le dyslexique I.2. La gestion du temps et l’apport des aménagements

II. L’identité du travailleur dyslexique : L’impact des interactions intra et inter-personnelles

II.I. Construction de l’identité du travailleur dyslexique par des interactions intra- personnelles

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I.

L’individu dyslexique dans l’organisation : Les

manifestations invisibles du handicap.

I.I. Les troubles liés à la dyslexie

La dyslexie a pour particularité d’être un handicap invisible (Santuzzi & al, 2014). Son origine est neurologique (Habib, 2014) et ses conséquences sont multiples pour le travailleur. De longue date (1964), la dyslexie se définit comme renvoyant à des « troubles rencontrés dans l'apprentissage de la lecture en l'absence de déficit sensoriel et intellectuel et de retard scolaire, caractérisés par la confusion de certaines lettres, l'inversion de syllabes et des substitutions de mots entraînant des troubles de l'écriture et des troubles dans l'apprentissage de l'orthographe ». Les mêmes auteurs (Mucchielli, Bourcier, 1964) précisent « la dyslexie est la manifestation d'une perturbation dans la Relation du Moi et de l'Univers, perturbation qui a envahi sélectivement les domaines de l'expression et de la communication » (Mucchielli, Bourcier, 1964).

L’usage des NTIC a donné une place accrue à la rédaction dans les organisations. La compétence écrite est, de surcroît, un critère essentiel de sélection des candidats (Martin- Lacroux, 2016). Les difficultés des travailleurs dyslexiques se trouvent ainsi multipliées, car la maîtrise des règles d’orthographe est, pour eux, un exercice complexe. Cette situation provoque des effets pervers pour l’organisation : mauvaise image de cette dernière auprès des partenaires et détérioration de la relation avec ceux-ci, productivité affaiblie (Martin- Lacroux, 2016).

Dans l’organisation, les troubles de la dyslexie placent le travailleur dans les situations handicapantes suivantes :

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- La syntaxe : Lors de la rédaction de courriels, de textos, de rapports, de bilans et de présentations informatisées (PowerPoint, prezzi …), ainsi que lors de l’utilisation de réseaux sociaux, la syntaxe de ses phrases n’est pas correcte et l’information à transmettre est confuse. Le problème réside dans la transcription de l'oral à l’écrit, le dyslexique se trouvant dans l’incapacité d’employer un niveau de langage équivalent à d’autres travailleurs non dyslexiques et de produire une syntaxe correcte (Maeder, 2012). À ce propos, le neurologue Habib (2014) constate que la production écrite est de faible qualité, constituée de phrases courtes, avec une maîtrise insuffisante de la ponctuation, de la grammaire et comprenant de nombreuses erreurs malgré la relecture comme la présence de mots identiques écrits de façons différentes. Les aménagements tels que les logiciels de correction ne permettent pas aux dyslexiques de corriger ce type de problème. - Les fautes d’orthographe : Elles sont souvent présentes et multiples au sein d’une même phrase et peuvent présenter des variations pour un même mot. La dyslexie occasionne une mauvaise retranscription des sons à l’écrit entraînant des confusions de lettres. Les mots sont écrits de manière phonétique et deviennent incompréhensibles. Ce trouble auditif est d’autant plus handicapant dans l’apprentissage et la pratique des langues étrangères (anglais, chinois, etc.).

- L’oubli de mot : C’est un écueil fréquent que rencontre le dyslexique lors de la rédaction de textes. L’origine de ce problème réside dans le fait que le dyslexique imagine plus rapidement ses phrases qu’il ne les retranscrit, ce qui produit des « fautes de frappe ». - La lenteur : L’apprentissage d’un nouveau logiciel, la relecture d’un mail ou d’un rapport demande davantage de temps à une personne dyslexique, ce qui peut accentuer sa fatigue et ses erreurs. La lenteur provient d’un défaut de synchronisation.

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- L’oral : Quelques erreurs peuvent être émises lors de la prononciation des mots aux sons complexes et des mots en langue étrangère plus particulièrement anglophones.

Dans l’organisation, certains facteurs provoquent également des situations handicapantes :

- Le management les perçoit souvent comme relevant de la fainéantise ou d’un cas d’illettrisme, remettant ainsi en cause le handicap du dyslexique, ce qui a pour effet d’accroître son mal-être.

- Les tâches multiples, imposées par certains postes, peuvent forcer une montée en compétences des dyslexiques qui rencontrent alors de grandes difficultés dans cette synchronisation des tâches.

On retrouve deux grandes formes d’expression de la dyslexie : elle peut s’exprimer selon un système de pensée plus littéraire, voir artistique ou plus scientifique avec une pensée logique. Le dyslexique dispose également d’une pensée analytique, soit macro-globale, soit micro-détaillée. Le passage d’une manière de pensée analytique à une autre demande des efforts extrêmement importants, occasionnant une prise de temps non négligeable au début de cet exercice. Selon les besoins et les évolutions de certains métiers, les deux types de pensée sont requis. Dans les organisations confrontées à des évolutions fréquentes, les individus dyslexiques rencontrent des difficultés pour s’adapter à leur nouveau poste lors de leur montée en compétences.

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I.2. L’importance du langage et de la parole pour le dyslexique, un

subterfuge au handicap

Comme nous pouvons le voir, les troubles liés à la dyslexie sont particulièrement handicapants pour le travailleur dyslexique. Cependant, certaines d’entre elles possèdent un très bon niveau d’élocution leur permettant de contourner leur situation de handicap. La dyslexie est ainsi dissimulée, voir même imperceptible pour les collaborateurs. L’origine neurologique de ce handicap pourrait expliquer que la fonction communicationnelle soit développée, car celle-ci est liée à la fonction cognitive (Girin, 2010, p. 53).

Powers et Le Loarne-Lemaire (2017) ont pu remarquer les appétences des jeunes dyslexiques à devenir entrepreneur, mais Danny Miller (2011) est le premier chercheur en gestion à évoquer les potentialités des dyslexiques en situation de travail. Compte tenu de leur nombre, les travailleurs dyslexiques sont présents à tous les niveaux des organisations (privées, publiques ou associatives). Certains sont même des entrepreneurs de renom, tels que Elon Musk patron de Teslat, Bill Gates fondateur de Microsoft, Richard Brandson patron de Virgin, Steve Jobs ex-patron d’Apple et John Chambers directeur général de Cisco2. D’autres sont des célébrités du cinéma tels que Sylvester Stallone, Danny Glover, Robin Williams, Harrison Ford, Jack Nicholson, Dustin Hoffman et Whoopi Goldberg3. Enfin certains sont devenus des figures politiques tels que Winston Churchill, Robert Kennedy et George Walker Bush4. Le langage constitue le point commun de l’ensemble de ces succès, ceux-ci coïncidant avec le fait que l’oral est une des compétences des dyslexiques. Le

3https://www.dys-positif.fr/la-dyslexie-et-les-personnages-celebres/ URL consulté le 07/08/18 4http://www.apedys.org/dyslexie/article.php?sid=75 URL consulté 08/08/18

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métier de manager (Mintzberg, 1973) requiert en effet un ensemble de qualités : une maîtrise de la parole, une fluidité d’expression, une imprégnation de l’environnement de travail, des postures pragmatiques dans la transmission de l’information. L’aisance en matière d’expression orale permet ainsi à la pensée des dyslexiques de s’exprimer sans la contrainte de la transposition écrite, toujours source de difficultés. Dans l’environnement professionnel elle constitue un atout pour les postes à responsabilités et de représentation publique.

On constate que la force du langage « dérive partiellement des sentiments dont ils sont l’indice direct » (Goffman, 1987 p. 27). La qualité des dyslexiques est d’arriver à transmettre une émotion sincère dans l’émission de leur message. La mesure émotionnelle dans l’élocution constitue un atout, particulièrement dans une situation de management participatif (Girin, 2010). La sensibilité des dyslexiques à leur environnement leur permet par empathie et l’utilisation de mots adéquats, de créer une situation d’échange favorable. En d’autres termes, nous pouvons affirmer que leur expression orale constitue un atout si nous envisageons « la puissance d’action du langage sur le monde, de son pouvoir, de sa performativité » telle que la décrit la sociolinguiste, Josiane Boutet (2016, p. 37).

Le ressenti du vécu constitue un véritable outil de variation de la communication verbale par l’intonation. L’art de la persuasion (Boutet, 2016) employé par les dyslexiques se caractérise par leur maîtrise des façons de parler (Goffman, 1987). La transposition de leur pensée à l’oral utilise pour structuration une approche inductive imagée avec mise en contexte des mots et des phrases afin de créer une plus forte résonnance pour le récepteur. Nous observons chez certains dyslexiques un renforcement du poids de l’oral par une véritable théâtralisation de celui-ci (gestes, mimiques, postures).

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La maîtrise de l’art de la communication par certains dyslexiques constituerait un atout de persuasion non négligeable dans certaines de leurs tâches professionnelles telles que la négociation, l’échange d’informations, la mise en réseaux, les relations publiques, la mobilisation et le management de collaborateurs, la formation et la pédagogie. Cette maîtrise du langage est conditionnée par une profonde connaissance des codes propres au métier de l’organisation et par une socialisation réussie (Girin, 2010). Ainsi leur habileté dans la communication orale contribue à faire des personnes dyslexiques des leaders d’opinion. Ainsi ils s’exercent « dans le monde des idées, des connaissances pour construire des opinions, modifier ou imposer des croyances, influencer et persuader » (Boutet, 2016, p. 37).

Ainsi en reprenant l’idée de « communauté langagière » proposée par Girin (2010, p. 59), les dyslexiques développent un certain nombre de caractéristiques communes dans la maîtrise de cette compétence orale (Brock, Fernette, 2012). Cette aptitude invisible devient « un élément primordial de l’identité sociale » (Joseph, 2009, p. 95).

Dans le contexte organisationnel, le fait de devoir coopérer et échanger par les discussions quotidiennes permet de valoriser cette compétence, celle-ci étant renforcée par leur facilité à tisser du relationnel et à coopérer de façon complémentaire dans le travail de groupe.

Cet atout du langage a cependant été mis à mal par l’arrivée des NTIC et la suppression progressive des secrétaires dans les organisations, poussant ainsi les travailleurs dyslexiques à augmenter leurs tâches administratives, ce qui passe notamment par l’augmentation des taches écrites. En effet, antérieurement, l’ensemble des managers disposaient de secrétaires ; celles-ci pouvaient reprendre les notes de leur supérieur hiérarchique et corriger éventuellement les fautes d’orthographe avant la présentation du

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support de communication ou du rapport. Ainsi le travail des secrétaires permettait de dissimuler la dyslexie dans les échanges collectifs à l’écrit propres aux « pratiques organisationnelles [qui] imposent très souvent une rédaction collective [suivie] d’une procédure d’approbation, des modifications successives, etc., qui conduisent à la « version finale » » (Girin, 2010, p. 51).

Aujourd’hui, les postes de secrétaire se sont de plus en plus raréfiés, remplacés par l’utilisation d’objets connectés, transférant cette charge de travail aux managers.

Cette qualité d’élocution peut se révéler difficilement exploitable avec la multiplication des échanges numériques, notamment via l’intranet, devenu dans certaines organisations un moyen de communication privilégié. L’emploi de ce moyen de communication s’expliquant souvent par le besoin ressenti d’établir des preuves au sein d’un rapport hiérarchique. Ainsi les combinés téléphoniques présents dans les bureaux disparaissent ainsi que les usages des échanges oraux. La communication se fait par l’écrit avec tous les risques que cela comporte pour un dyslexique. Ainsi l’emploi de la télécommunication à outrance a contribué à créer le silence dans les tours (Girin, 2010, 2016) au même titre que dans les open spaces dont il annule l’effet escompter.

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I.3. La gestion du temps et l’apport des aménagements

Comme nous l’avons également souligné, la dyslexie provoque des troubles de lenteur chez l’individu concerné. Cette caractéristique de la dyslexie place le travailleur dans une situation inconfortable qui le pousse à camoufler cette déficience. Il va ainsi mettre en place des stratagèmes pour minimiser son impact sur son travail. Ceux-ci favorisent ainsi l’invisibilité du handicap.

Le rapport au temps dans la politique du handicap propre à la dyslexie revêt une importance particulière. La politique des aménagements en la matière (Stone, William, 1995 ; Cleveland, Barnes-Farrell, Ratz, 1997 ; Collela, 2001 ; Santuzzi & al, 2014 ; Santuzzi, Waltz, 2016 ; Baldrige, Viega, 2001) se concentre particulièrement sur les logiciels d’orthographe, or ceux-ci ne mettent pas en évidence l’oubli d’un mot, ne corrigent pas la syntaxe ni les erreurs dans la construction grammaticale de la phrase. Elle se fait au détriment de la prise en compte du temps de la retranscription de la pensée des dyslexiques à l’écrit ainsi que de la nécessité de relecture et de reformulation dont a besoin un dyslexique afin d’obtenir une syntaxe correcte. Ce constat est visiblement oublié dans les recherches superficielles du handicap invisible évoquant succinctement la dyslexie (Santuzzi & al, 2014 ; Austin, Pizzano, 2017 ; Richards, Sang, 2016). Dans le cas de la dyslexie, le rapport au temps prend une dimension opposée à la logique taylorienne et industrielle considérant le temps comme une donnée quantitative productiviste en vue d’une rentabilité à court terme (Hassard, 2010 ; Gasparini, 2010 ; Cappelletti, Noguera, 2005). Le temps de travail et la vie personnelle dans les emplois liés aux services « entretiennent donc un lien plus étroit que dans les situations typiques du travail de salarié industriel » (Gasparini, 2010, p. 199). En effet, la frontière entre espace professionnel de travail et

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espace privé est poreuse pour un travailleur dyslexique, car celui-ci peut être amené à emporter son travail à domicile lorsqu’il est en situation de surcharge professionnelle induite par sa lenteur. Le temps que consacre l’aidant constitue une aide primordiale permettant de reformuler, reconstruire, améliorer et de restituer au mieux la pensée fidèle du dyslexique. Cette intégration entre vies privée et professionnelle (Kilic, 2018) est alimentée par l’inquiétude qu’a le dyslexique de proposer un travail intelligible à l’ensemble de ses collaborateurs ; le handicap fait ainsi entrer les tâches professionnelles au sein même de la sphère privée, rendant ainsi les aidants proches (Belorgey, Pinsard, Rousseau, 2016,Cheneau, 2019, ) vitaux pour le développement bien-être de la personne en situation de handicap.

Les éléments que nous venons de développer dans cette partie cherchent à faire prendre conscience au lecteur du parcours par lequel passe un dyslexique dans une organisation. Ce dernier va ainsi se construire une identité spécifique à son handicap, car les troubles liés à la dyslexie, bien que présents à des degrés différents, sont partagés par tous les dyslexiques. Cette identité va cependant se distinguer par la suite avec l’émergence du stigmate qui lui est associé, traumatisme qui va modifier le processus de développement de l’individu. Le recours au concept de stigmate est nécessaire pour comprendre comment les dyslexiques peuvent gérer leur handicap invisible au quotidien dans les organisations.

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II. L’identité du travailleur dyslexique : L’impact des

interactions intra et inter-personnelles.

« Oubliée, voire complètement niée par l’univers organisationnel, l’intériorité constitue une dimension fondamentale de la gestion » (Chanlat, 2010, p. 260)

L’approche du handicap sous l’angle du psychique nous permet de mieux comprendre le processus intérieur de l’individu et de passer outre les stratagèmes de dissimulation du handicap, les faux semblants (Goffman, 1975 ; Chanlat, 2010) mis au point par les travailleurs dyslexiques. Nous détaillerons ci-dessous les impacts des interactions intra et interpersonnelles sur l’individu ainsi que les stratégies de dissimulations que celui-ci peut mettre en place pour conserver l’invisibilité de son handicap. Concernant ces stratégies, peu de travaux empiriques ont été réalisés (Richard, Barth, 2017), nous avons donc adopté une posture interprétativiste au regard des travaux de King et John (2014) et de Clair, Beatty, et Maclean (2005).

II.I. Construction de l’identité du travailleur dyslexique par des interactions

intra-personnelles : Le stigmate, un rapport à l’entre-soi