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Les méthodes et outils de recueil et de construction de connaissances ont été développés de façon formelle et dans de nombreux domaines d’application [Dieng, 1990]. Nous envisagerons ici la mobilisation de ces méthodes et outils dans le cas où les connaissances représentent des besoins identifiés d’utilisateurs de SII.

L’évaluation des besoins des utilisateurs est une des premières problématiques posées à une équipe de développement de systèmes d’information interactifs. En effet, les investissements considérables des phases suivantes ainsi que les coûteuses conséquences d’une mauvaise estimation des besoins imposent aux concepteurs d’y prêter une attention particulière.

Paradoxalement, peu de méthodologies viennent structurer la phase d’identification des besoins. Des outils empruntés aux sciences humaines et sociales (questionnaire, entretien, interview) sont employés mais les données sont souvent recueillies de façon peu formalisée et les grilles de lectures fortement biaisées par l’a priori et les contraintes techniques.

Afin, d'identifier des besoins en information des utilisateurs de SII, il est important de délimiter le champ d'action des termes de besoin et d'usage. Nous ajoutons à ces définitions celle des attentes des utilisateurs, notion qui est souvent rencontrée dans des domaines touchant l’innovation.

La conception d’un SII comprend un double objet d’analyse : une structure technique de production et de diffusion d’information et un contenu sémantique qui est le contenu d'information. Il s’agit donc d’analyser d’une part l’usage de l’information en tant que connaissance intervenant dans l’activité et d’autre part, les artefacts et modalité de sa formulation et de sa diffusion.

Bertrand Gilles définit l'usage comme « un ajustement qui s'opère entre un système technique et les autres systèmes sociaux » [Stiegler, 1997]. Le terme d'ajustement est significatif de la dimension temporelle et adaptative que représentent les phases d'apprentissage et d'appropriation d'un objet sociotechnique. L'usage est le résultat de cet ajustement qui s'opère entre un usager et un objet technique.

Le manque, qui suscite le besoin, peut être perceptible à travers l'usage de produits existants. L’appropriation de l'objet par son destinataire crée des fonctions secondaires ou dérivées d'un objet qui font émerger des besoins ou tout au moins des attentes [Poulain, 2000].

Par l'observation de l'usage effectif des outils et des informations à disposition des utilisateurs, il devient possible de mettre en lumière des besoins explicites ou implicites, sans préjuger de leur nature. Une fois ce besoin réel identifié et représenté, le système d’information à concevoir doit tendre vers une solution qui y réponde de la façon la plus pertinente.

3.1 Identification des besoins en génie logiciel

Dans un processus de conception, le système à développer est d’abord déterminé par une série d’activités nommées « système planning » [Maciaszek, 2001] [Hoffer, 1999]. Les questions posées au cours de cette phase peuvent être synthétisées par « Quelles sont les

En pratique, les données de besoins sont recueillies auprès des décideurs et/ou des utilisateurs par des ergonomes et/ou des experts du domaine. Les besoins sont ensuite analysés dans un processus itératif. Des allers-retours entre l’analyste et l’utilisateur sont préconisés afin de préciser les données. Le processus d’analyse se terminant par une validation des résultats obtenus. Une fois les hypothèses validées, les besoins sont rédigés, triés et classés par ordre de priorités dans des documents dédiés.

De nombreuses techniques d’identification des besoins existent dans divers domaines. En génie logiciel et plus précisément en conception de systèmes interactifs, le spectre des techniques s’étale des plus génériques (comme l’interview) aux plus réalistes (maquettage). Nous présentons dans la suite quelques unes d’entre elles en spécifiant les apports et faiblesses de chacune.

3.2 Techniques de recueil de besoins

3.2.1 L’étude documentaire

Cette ressource est largement utilisée afin de capturer des besoins en se familiarisant avec le contexte d’application. L’étude concerne des documents techniques mais aussi organisationnels et statistiques.

Les rapports techniques concernent les rapports de tests de systèmes existants, manuels, documentation techniques, des captures d’écran…. Les documents organisationnels comprennent les procédures, les guidelines, les descriptions métier…. Enfin, différents documents spécifiques du métier peuvent constituer une ressource d’information comme les revues du domaine d’application par exemple.

Ce mode de recueil d’information, malgré sa richesse, reste une ressource incomplète car dépourvue du contexte de l’usage du système. Le recueil hors contexte induit des informations sur l’utilisation prescrite ou théorique et non des pratiques réelles d’usage. Nous verrons que le même problème se pose avec la technique des questionnaires.

3.2.2 L’interview

C’est une technique fondamentale et constitutive de la plupart des processus d’identification des besoins en GL. Le contact direct favorise une étude dynamique, conviviale et permet les itérations et validations citées plus haut. L’interviewé peut être non seulement l’utilisateur final mais aussi un expert métier afin de collecter des informations sur le domaine d’application.

L’un des freins à une bonne évaluation des besoins recueillis par interview est la complexité d’analyse des données en l’absence de méthodologie structurante [Kotonya, 1998] [Sommerville, 1997]. Les informations collectées peuvent paraître vagues, hors du sujet, ou encore inopportunes et inutilisables. Cet état de fait s’explique souvent par l’absence d’une grille de lecture structurée des données d’interview.

3.2.3 Le questionnaire

Parfois utilisé en complément de l’interview, le questionnaire suppose une vision claire des objectifs poursuivis par le processus de développement. Le risque apparaît donc de mettre en avant l’a priori des concepteurs sur les besoins des utilisateurs du système.

Contrairement à l’interview, le questionnaire est un outil passif. Aucune opportunité d’approfondir ou de clarifier les données n’est possible. Cependant le questionnaire permet des études quantitatives sur des échantillons plus larges ainsi qu’un traitement statistique des

données. Dans ce dernier but, les questionnaires de besoins utilisateurs contiennent un minimum d’interrogations ouvertes au profit des Questionnaires à Choix Multiples (QCM).

Dans son étude intitulée «what we say / what we do » (ce que nous disons et ce que nous faisons) [Deutcher, 1974] le sociologue américain Irwin Deutcher présente un certain nombre d’exemples de résultats contradictoires obtenus selon que l’enquête est conduite par observation ou par questionnaire. Cette analyse met en lumière le biais possible entre les déclarations des personnes et leurs actes réels. I. Deutcher démontre que c’est la relation directe et particulière avec les individus qui induit des comportements pouvant être opposés aux attitudes exprimées.

3.2.4 Le maquettage

Le maquettage est de plus en plus utilisé dans le développement d’applications logicielles. Les maquettes sont conçues de façon à visualiser tout ou partie du système afin que les utilisateurs puissent l’évaluer.

Une maquette de logiciel est essentiellement une GUI (Graphical User Interface) qui simule le comportement du système dans différentes situations d’usage. Les réponses de simulation sont souvent simplement codées dans une base de données, l’objectif étant d’obtenir l’évaluation par les utilisateurs de tel ou tel comportement système.

Le maquettage devient indispensable lorsque les fonctionnalités développées sont très innovantes ou encore dans les phases intermédiaires d’évaluation (dans le contexte de conceptions itératives).

3.2.5 La conception collaborative

La technique consiste à réunir utilisateurs, concepteurs et parfois développeurs dans des ateliers d’explicitation. Les acteurs du projet sont constitués en groupes avec un leader, un secrétaire, des utilisateurs et des développeurs. Le groupe doit sortir avec un capital de problèmes et de solutions grâce à la synergie qu’il aura réussi à créer [Caelen, 2006].

3.3 Le recueil de données par observation

Les sciences humaines et sociales (SHS) disposent d'un certain nombre de méthodes de recueil et d’analyse de données [Bangier, 2004]. Certaines de ces méthodes sont communes à celles exploitées par le GL. Ainsi, l’entretien et le questionnaire visent, en ergonomie, à connaître les caractéristiques sociodémographiques des personnes (âge, profession,…) ainsi que leurs attitudes et comportements à l'égard de leurs valeurs et de leurs activités.

Nous traiterons ici plus particulièrement de l’observation de l’activité [Caelen, 2007]. Cette technique est préconisée en GL lorsque l’analyste des besoins peine à obtenir des

L'observation de l’activité peut se définir comme la retranscription des événements et tâches survenus au cours d’une période d’observations donnée. H. Peretz dans [Peretz, 1998] en propose une typologie, selon l’objectif visé, en quatre types d’observations. Nous présentons ici cette typologie à laquelle nous avons ajouté un cinquième type qui est l’observation scénarisée. Nous verrons par la suite comment ce mode d’observation a été utilisé dans notre méthodologie.

3.3.1 Observation au sens large

L'observation au sens large, telle celle des changements sociaux, est une méthode d'analyse de la période contemporaine (études des observatoires de l'INSEE7 par exemple), qui ne privilégie pas le rapport direct aux individus mais plutôt l'analyse de documents, de données statistiques ou, dans une moindre mesure, des entretiens ou des questionnaires. L'objectif de ce mode de recueil est de dresser un panorama du paysage social contemporain à l'étude.

3.3.2 Observation de faits

Elle consiste à se rendre sur les lieux d'études durant une courte période pour s'informer des usages, procéder à des entretiens sans assister de façon prolongée et systématique aux événements décrits. Les résultats apparaissent sous forme d'épisodes anecdotiques considérés comme typiques et significatifs d'un état des lieux. C'est une forme de pré enquête préparant des formes plus approfondies de recueil.

3.3.3 Observation comme travail de terrain

Elle implique une présence systématique et prolongée sur les lieux d'enquête et au sein du groupe social étudié. Au cours de ce séjour les données sont recueillies auprès des personnes en utilisant des procédures dites « réactives » (entretiens, questionnaires) ou encore « non réactives » (repérages, observation des événements, des actes ou des propos tenus par les individus dans leurs contexte naturel).

3.3.4 Observation au sens le plus déterminé

Elle consiste à se retrouver mêlé à une situation sociale pour l'enregistrer puis l'interpréter en s'efforçant de ne pas la modifier. Cette situation sociale particulière est toujours le produit d'une interaction entre les participants à l'enquête et l'observateur, une observation ponctuelle de cette sorte nécessite de s'être rendu sur les lieux plusieurs fois pour des analyses préliminaires du contexte. La mise en forme des résultats est une séquence d'événements décrits avec précision.

3.3.5 Observation scénarisée

Nous ajoutons dans cette classification l'observation de situations construites ou scénarisées. Cette technique rejoint, dans sa procédure et sa mise en forme des résultats, l'observation déterminée tout en se rapprochant, dans son projet, de formes plus expérimentales de sociologie et de psychologie [Valentin, 1993] [Béguin, 1997].

Dans une observation scénarisée, l’analyste provoque des situations particulières ou détourne des situations réelles de leurs cours naturel. Il entraîne, par la même, les participants dans des actes étrangers à leurs perspectives premières. Le travail de pré enquête et de pré terrain est ici primordial car l'observation est moins neutre et plus participative.

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L'observateur doit, dans un premier temps, exposer tout ou partie du scénario aux sujets, pour, ensuite, se faire oublier de la situation qu'il a créée afin que celle-ci devienne naturelle. Dans le cas ou le pré terrain serait négligé, les résultats seraient très fortement biaisés et ne seraient qu'un film où le sujet jouerait un rôle de composition.