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Constitution, hiérarchie des normes et contrôle de constitutionnalité

Dans le document DROIT CONSTITUTIONNEL (Page 64-69)

Article 12 L’article 73 de la Constitution est ainsi modifié :

III. - LA CONSTITUTION, UN ESPACE VIVANT

4. Constitution, hiérarchie des normes et contrôle de constitutionnalité

Le contrôle de constitutionnalité permet à la Constitution de jouer un rôle déterminant et quotidien dans la formation et le développement du droit.

Né dans des conditions différentes selon les Etats, le contrôle de constitutionnalité peut correspondre à deux modèles, américain (doc. n° 1) et autrichien ou kelsénien (doc. n° 2), que l’on oppose traditionnellement, alors même que la réalité contemporaine est, le plus souvent, intermédiaire et plus diversifiée (doc. n° 3).

La France n’échappe évidemment pas à la règle et, avec prudence, a mis en place un contrôle de constitutionnalité qui, depuis 1971, s’est véritablement épanoui, suscitant débats et critiques (doc. n° 4). La doctrine n’a donc pas manqué pour s’interroger sur un éventuel changement de perception à l’égard de la Constitution (doc. n° 5).

Classique, le débat français a été significativement renouvelé par le choix, longtemps envisagé et enfin opéré dans le cadre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, de permettre la contestation de la constitutionnalité des lois a posteriori en prévoyant un mécanisme de renvoi (doc. n° 6). La loi organique permettant sa mise en application (doc. n° 7) a donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel qui en établit une forme de mode d’emploi (doc. n° 8).

Bibliographie:

Outre les indications de la bibliographie générale et parmi le très abondante littérature sur le sujet, on se reportera aux ouvrages et articles suivants :

- G. CARCASSONNE et O. DUHAMEL

: La QPC, Dalloz, Paris, 2010.

- L. FAVOREU : « La constitutionnalisation du droit », Mélanges Drago, Paris, Economica, 1996, p. 25.

- C. GOYARD : « Unité du droit et justice constitutionnelle », Mélanges Drago, Paris, Economica, 1996, p. 43.

- J. LAMBERT : « Les origines du contrôle de constitutionnalité des lois aux Etats-Unis.

MARBURY v. MADISON », RDP 1931, p. 5.

- A. LEVADE : « Les petits cailloux du Conseil constitutionnel ou les décisions anticipatrices de la QPC », AIJC 2010, p. 11.

- B. MATHIEU : « La question prioritaire de constitutionnalité : une nouvelle voie de droit », JCP G 2009, n° 52, p. 54.

- R. PINTO : « A propos des techniques de contrôle de constitutionnalité », RDP 1991, p. 1527.

- D. ROUSSEAU (dir.) : La question prioritaire de constitutionnalité, Paris, Lextenso, 2010.

- E. ZOLLER (dir.) : Marbury v. Madison : 1803-2003. Un dialogue franco-américain / A French-American Dialogue, Paris, Dalloz, 2003.

- numéro spécial : L'accès des personnes à la justice constitutionnelle : droit, pratique, politique, Cah. Cons. const., n° 10.

- numéro spécial : « La QPC », Pouvoirs, 2011, n° 137.

Documents reproduits:

Doc. n° 1 : Cour suprême, 24 février 1803, Marbury v. Madison, 5 U.S. 137 (1803), extrait traduit.

Doc. n° 2 : D. ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Paris, 2010, 9ème éd., p. 16.

Doc. n° 3 : M. FROMONT, « La diversité de la justice constitutionnelle en Europe », Mélanges Ardant, LGDJ, Paris, 1999, p. 47.

Doc. n° 4 : L. FAVOREU, « La place du Conseil constitutionnel dans la Constitution de 1958 » (extrait), (www.conseil-constitutionnel.fr).

Doc. n° 5 : R. REMOND, « Les Français et leur Constitution », Mélanges Conac, Economica, Paris, 2001, p. 23 (extrait).

Doc. n° 6 : Constitution du 4 octobre 1958 (extrait).

Doc. n° 7 : Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, JORF n° 0287 du 11 décembre 2009, p. 21379.

Doc. n° 8 : Cons. const. n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 ; Loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, JORF n° 0287 du 11 décembre 2009, p. 21381.

Doc. n° 1 : Cour suprême, 24 février 1803, Marbury v. Madison, 5 U.S. 137 (1803), extrait traduit.

La question de savoir si une loi contraire à la Constitution peut devenir une règle applicable dans le pays est une question d’intérêt primordial pour les Etats-Unis ; mais, heureusement, infiniment moins complexe qu’importante. (…)

Le droit originel du peuple à établir pour son futur gouvernement les principes qui, de l’avis général, doivent assurer le bonheur de la nation est l’un des fondements sur lesquels s’est érigée toute la structure sociale américaine. L’exercice de ce droit originel est très étendu, mais il ne saurait être trop souvent répété. Les principes ainsi établis sont donc considérés comme fondamentaux. Et comme l’autorité dont ils procèdent est l’autorité suprême, qui ne peut que rarement agir, ils sont conçus pour être permanents. Cette volonté initiale et suprême définit l’organisation du gouvernement et assigne aux différents départements gouvernementaux leurs pouvoirs respectifs. Elle peut s’en tenir là, ou fixer certaines limites que ces administrations ne doivent pas enfreindre.

L’institution du gouvernement des Etats-Unis correspond à ce second cas. Les pouvoirs du législatif sont définis et délimités, et une Constitution est écrite pour que ces limites ne soient pas mal interprétées ou oubliées. A quoi servirait donc que les pouvoirs soient limités et que ces limites soient fixées par écrit, si elles pouvaient à tout moment être transgressées par ceux que l’on entend restreindre ? (…)

C’est une proposition trop évidente pour être contestée que de dire que la Constitution prime sur tout acte législatif qui lui est contraire ; s’il en était autrement, le Parlement pourrait altérer la Constitution par une simple loi.

Il n’y a pas de moyen terme dans cette alternative. Ou bien la Constitution est supérieure à la loi, inchangeable par des moyens ordinaires ; ou bien elle est au même niveau que les actes législatifs ordinaires et, comme les autres actes législatifs, amendable lorsque le Parlement a envie de l’amender. Si l’on admet la première hypothèse, on doit considérer qu’un acte législatif contraire à la Constitution n’est pas une loi ; si au contraire on adopte la seconde hypothèse, alors les Constitutions écrites sont, quant au peuple, des tentatives absurdes de limiter un pouvoir qui par nature n’est pas limitable.

Assurément, tous ceux qui ont élaboré des Constitutions écrites les ont conçues comme représentant la loi fondamentale et suprême de la nation ; en conséquence, le principe de tout gouvernement de cet ordre doit être qu’une loi du Parlement contraire à la Constitution est nulle. Cette théorie est essentiellement applicable à une Constitution écrite et, partant, doit être considérée par cette Cour comme un des principes fondamentaux de notre société. (…)

Si une loi du Parlement contraire à la Constitution est nulle, doit-elle, indépendamment de sa validité, lier les tribunaux et les obliger à lui donner effet ? Ou, en d’autres termes, bien qu’elle ne soit pas une loi, constitue-t-elle une règle aussi opérante qu’une loi ? Admettre cela reviendrait à renverser dans les faits ce qui a été établi en théorie, et pourrait paraître à première vue une absurdité trop énorme pour qu’il soit besoin d’insister. Nous accorderons néanmoins à ce problème un peu d’attention.

C’est dans une très large mesure le domaine et le devoir du pouvoir judiciaire de dire ce

qu’est la loi. Ceux qui ont pour tâche d’appliquer la règle aux cas particuliers doivent nécessairement expliciter et interpréter la règle. Quand deux lois sont en conflit, les tribunaux doivent trancher sur l’application de chacune d’elles ? En supposant, par exemple, qu’une loi soit en opposition avec la Constitution, et qu’un cas particulier relève aussi bien de la loi que de la Constitution, en sorte que la Cour ait à décider, soit d’appliquer la Constitution en ignorant la loi, soit d’appliquer la loi en ignorant la Constitution, elle devra déterminer quelle est celle des deux règles en conflit qui s’applique au cas particulier. C’est là une tâche essentielle du pouvoir judiciaire. Si les tribunaux doivent se référer à la Constitution, et si la Constitution est supérieure à tout acté législatif ordinaire, c’est la Constitution et non la loi ordinaire qui doit régir le cas auquel toutes deux sont applicables.

Ceux qui contestent le principe selon lequel la Constitution doit être considérée devant un tribunal comme la loi suprême, sont nécessairement conduits à soutenir que les tribunaux doivent fermer les yeux sur la Constitution pour ne voir que la loi. Pareille doctrine saperait le fondement même de toutes les constitutions écrites. Autant dire qu’une loi absolument nulle d’après les principes et la théorie de notre gouvernement est néanmoins dans la pratique absolument obligatoire, ou encore qu’alors même que le Parlement agirait dans un sens expressément défendu, la loi qu’il aurait ainsi votée sans tenir compte de l’interdiction expresse serait dans la pratique effective. Cela reviendrait à donner au Parlement une toute-puissance de fait et réelle, tout en prétendant confiner ses pouvoirs dans des limites étroites ; autrement dit, imposer des limites et déclarer que ces limites peuvent être transgressées à plaisir. (…)

Doc. n° 2 : D. ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, Montchrestien, Paris, 2010, 9ème éd., p. 16.

A la différence du système américain de contrôle de constitutionnalité des lois, né de la pratique et dans le silence des textes, le modèle européen est le fruit d’un travail théorique d’un grand juriste autrichien, Hans Kelsen, qui s’est efforcé de fonder, en raison pure, la garantie juridictionnelle de la Constitution. Selon Kelsen, « l’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques ». Autrement dit, une règle n’a pas en elle-même et de manière isolée une valeur juridique ; elle n’acquiert une telle qualité que dans la mesure où elle peut être mise en rapport avec une autre norme, qui elle-même est dans une relation juridique identique avec une norme supérieure, qui elle-même… etc. Ainsi, la nature juridique d’une règle résulte de son insertion dans un ensemble hiérarchisé, de la connexion entre elles des différentes couches de règles ; tout se tient par un système particulier de communication où la règle supérieure transmet sa validité à la norme inférieure – qui ne sera donc juridique que si elle peut être imputée à la norme supérieure – et qui, à son tour, transmet et fonde la validité de la norme qui lui est subordonnée.

« Chaque degré de l’ordre juridique, écrit Kelsen, constitue ensemble et une production du droit vis-à-vis du degré inférieur et une reproduction du droit vis-à-vis du degré supérieur ». Et, lorsque sont gravis, règles après règles, tous les échelons de la pyramide, Kelsen, confronté au problème de la source de validité du sommet – la Constitution – et de l’ensemble de l’édifice, pose comme hypothèse épistémologique – et non affirme l’existence – la « Grundnorm », la norme fondamentale de laquelle la Constitution tire sa validité et qui irradie l’ordre juridique tout entier.

Dans un tel système fermé sur lui-même, où le droit s’explique par le droit, l’idée de régularité est essentielle au fonctionnement de l’ensemble. En effet, dès lors que la validité juridique d’une règle dépend de son rapport de correspondance avec le degré supérieur de l’ordre juridique, il est d’une nécessité objective que soit contrôlée, à chaque échelon, l’existence de ce rapport de correspondance et d’imputation : contrôle de la « réglementarité » des actes juridiques individuels, contrôle de la légalité des règlements, et, au bout de la chaîne, le contrôle de la constitutionnalité des lois se déduit fort logiquement du système kelsénien, puisque la loi trouvant son fondement dans la norme immédiatement supérieure ne peut être juridiquement valide si elle n’est pas contraire à la Constitution.

Pour la première fois, un auteur, Hans Kelsen, propose ainsi une théorie de l’ordre juridique qui non seulement fonde et légitime en droit le contrôle de la constitutionnalité, mais encore en fait le cœur et même le garant de la validité de l’ensemble du système juridique, puisque, sans ce contrôle, la garantie de al régularité, c’est-à-dire de l’imputation d’une règle à une norme supérieure, clef de voûte de la théorie kelsénienne, ne serait pas assurée ; sans le contrôle de constitutionnalité, la pyramide s’effondre !

Confronté au problème de la forme de l’organisation du contrôle de constitutionnalité, Hans Kelsen se trouve devant une alternative que son élève et disciple français, Charles Eisenmann, présente de manière brutale mais claire : « contrôle remis à tous les juges ou à une instance unique ».

La création d’une instance unique et spécialisée dans le contentieux constitutionnel présente, selon Kelsen, des avantages appréciables pour le bon déroulement de la vie juridique. Le système évite d’une part les interprétations constitutionnelles divergentes qui peuvent apparaître entre les tribunaux aux différents moments d’un procès obligé de gravir les échelons complexes de la hiérarchie judiciaire ; une juridiction unique permet de donner, immédiatement, « la vérité constitutionnelle » et assure, d’emblée, l’unité jurisprudentielle. Ce système permet d’autre part, de clarifier définitivement la situation puisque la décision de non-conformité d’une loi à la Constitution a une valeur absolue qui conduit à son rejet définitif de l’ordre juridique ; la loi ne sera pas promulguée, elle ne produira et n’aura produit aucun effet, elle sera censée n’avoir jamais existé.

La préférence ainsi donnée à une juridiction constitutionnelle unique entraîne un certain nombre de conséquences dont Charles Eisenmann a montré qu’elles lui étaient « liées d’un lien, sinon nécessaire, du moins nature ». Le contentieux constitutionnel étant spécial et indépendant de tout autre procès, l’objet direct et unique du contrôle est nécessairement la constitutionnalité de la loi. Sa contestation ne se fait pas par exception, à l’occasion d’un autre litige porté devant le juge ordinaire, mais par voie d’action, le requérant prenant l’initiative de porter directement la loi devant un tribunal spécial qui a pour mission exclusive de la juger. Dès lors, le juge statuant non pas à propos d’un cas particulier, mais sur la loi prise en elle-même, in abstracto, sa décision ne peut avoir qu’une autorité absolue, s’imposant erga omnes.

Tel est le modèle kelsénien de contrôle de constitutionnalité, opposé point par point au système américain, et que le maître de l’Ecole de Vienne eût la possibilité de mettre en œuvre, puisque son influence intellectuelle lui a permis d’obtenir la création, dans la Constitution autrichienne du 1er octobre 1920, de la Haute Cour constitutionnelle, « premier exemple que l’on connaisse d’une juridiction constitutionnelle spéciale ». Composée de 12 membres, nommés à vie pour moitié par le Conseil national, représentant la Nation, et pour moitié par le Conseil fédéral, représentant les Provinces, la Haute Cour se voit reconnaître de multiples compétences – juge des élections politiques, des conflits entre les ordres judiciaire et administratif, … – parmi lesquelles le contrôle de la constitutionnalité des lois et règlements sur saisine du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et des tribunaux obligés ainsi d’interrompre la procédure en cours devant eux et d’abandonner à la Haute Cour le jugement de la constitutionnalité de la loi. Ainsi est assurée, comme le voulait Kelsen, l’unité de jurisprudence, la Haute Cour constitutionnelle statuant toujours en premier et dernier ressort, ses décisions n’étant susceptibles d’aucun recours et ayant un caractère définitif et absolu.

Comme toute modélisation, celle-ci fournit seulement une grille théorique ; en pratique, les modes de contrôle de constitutionnalité peuvent emprunter, selon des formes et arrangements divers, des caractère à chacun de ces modèles ; globalement cependant, c’est le modèle dit kelsénien et non l’américain, qui inspira les constituant européens, à l’exception des grecs, lorsqu’ils décidèrent d’introduire, à des moments différents liés à l’évolution politique de leur pays respectif, le contrôle de la constitutionnalité des lois.

Doc. n° 3 : M. FROMONT, « La diversité de la justice constitutionnelle en Europe », Mélanges Ardant, Paris, LGDJ, 1999, p.47.

La justice constitutionnelle, c’est-à-dire le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité de tous les actes de l’Etat, qu’ils soient législatifs, administratifs ou juridictionnels, a fait son apparition timide en Europe dès la seconde moitié du XIXe siècle. Néanmoins, c’est incontestablement seulement un siècle plus tard que la justice constitutionnelle devait connaître un développement spectaculaire.

Les premiers pas ont été faits presqu’ensemble par deux pays, l’Autriche et la Suisse (respectivement en 1867 et 1874). Il est remarquable que chacun d’eux ait commencé par créer principalement deux procédures, l’une pour régler les conflits entre les parties composantes de l’Etat fédéral, l’autre pour assurer la protection des droits des individus garantis par la Constitution, procédure qui devait connaître un grand succès un siècle plus tard. Toutefois, il fait noter que la procédure e recours individuel pour violation des droits constitutionnels n’était pas admise alors sans restriction ; en effet, les actes susceptibles d’être contrôlés n’étaient pas les mêmes : en Autriche, le recours ne pouvait être dirigé que contre un acte administratif ; en Suisse, il pouvait être dirigé contre tout acte d’un canton, qu’il soit législatif, administratif ou juridictionnel, ainsi que contre tout acte de la Fédération, à l’exception toutefois de la loi fédérale, exception qui était d’ailleurs de portée assez restreinte à une époque où la quasi-totalité des lois étaient cantonales et qui n’a pas encore disparu même si son élimination est constamment annoncée. En outre, quelques différences opposaient (et opposent toujours) les deux pays : la juridiction compétente était, en Autriche, une juridiction spécialisée dans le jugement des litiges constitutionnels, le Tribunal d’Empire, alors qu’en Suisse, c’était la nouvelle cours suprême fédérale, le Tribunal fédéral, qui connaissait principalement des litiges de droit commun régis par le droit fédéral (principalement les litiges civils). La distinction est toutefois assez mineure dans la mesure où des chambres spécialisées dans les affaires constitutionnelles furent créées au sein du Tribunal fédéral.

Cependant, la Suisse s’est séparée très vite de l’exemple autrichien du fait que les tribunaux ordinaires ont complété la révision constitutionnelle de 1984 en se reconnaissant compétents pour vérifier incidemment la constitutionnalité de tout acte public, qu’il soit législatif, administratif ou juridictionnel, à l’exception, bien sûr, de la loi fédérale en raison de l’interdiction faite au Tribunal fédéral de contrôler ce type d’acte (art. 113 de la Constitution).

Ce faisant, la Suisse combinait ainsi le système américain de contrôle diffus de la constitutionnalité avec un système de contrôle plus concentré. Les deux systèmes ne sont d’ailleurs pas sans lien entre eux : en effet, le Tribunal fédéral peut, dans le cadre du recours individuel (appelé en Suisse recours de droit public), contrôler le bien-fondé du jugement d’un tribunal ordinaire se prononçant sur une question de respect de la Constitution fédérale (mais non, bien évidemment, de la Constitution cantonale en cause). Ainsi, elle rejoignait d’autres pays européens, situés curieusement à la périphérie de l’Europe, qui avaient déjà introduit le système américain de contrôle incident de la constitutionnalité, à savoir la Norvège, la Grèce et le Portugal.

Ce bref rappel des origines de la justice constitutionnelle en Europe suffit à montrer que la justice constitutionnelle n’a pas fait ses premiers pas en instituant un contrôle abstrait (ou à titre principal) de la constitutionnalité imité aux lois, ni en créant des juridictions spécialisées en matière constitutionnelle. C’est le fonctionnement du fédéralisme et la défense des droits de l’homme qui ont été les principaux moteurs de l’innovation. En particulier, le souci d’assurer prioritairement la protection des droits de l’homme aboutit nécessairement au développement de procédures concrètes de contrôle de la constitutionnalité.

L’institution du contrôle abstrait de la constitutionnalité des lois dans la Constitution autrichienne de 1921 a-t-elle eu pour effet de renverser complètement la tendance et de faire apparaître un modèle européen qui serait caractérisé par deux traits, la concentration des compétences juridictionnelles dans une cour spécialisée dite Cour constitutionnelle et la prépondérance du contrôle abstrait et principal de la constitutionnalité des seuls actes normatifs, voire des seules lois ? Il est exact que ce type de procédure a été adopté par certains pays européens. Néanmoins, cette vue, qui prévaut en France, nous paraît très largement erronée.

Elle l’est à un double titre. D’une part, dans la plupart des pays d’Europe, le contrôle de constitutionnalité n’est jamais abstrait de façon prépondérante et, en réalité, le degré

d’abstraction de la justice constitutionnelle varie beaucoup d’un pays à l’autre. D’autre part, dans la plupart des pays européens, la justice constitutionnelle n’est jamais totalement concentrée entre les mains d’une seule juridiction et, en réalité, le degré de concentration varie beaucoup d’un pays à l’autre. Ainsi, il n’y a pas un seul modèle européen, mais des systèmes extrêmement

d’abstraction de la justice constitutionnelle varie beaucoup d’un pays à l’autre. D’autre part, dans la plupart des pays européens, la justice constitutionnelle n’est jamais totalement concentrée entre les mains d’une seule juridiction et, en réalité, le degré de concentration varie beaucoup d’un pays à l’autre. Ainsi, il n’y a pas un seul modèle européen, mais des systèmes extrêmement

Dans le document DROIT CONSTITUTIONNEL (Page 64-69)

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