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3.1 Lien entre orthophonie et linguistique

Le corpus que nous avons établi dans le cadre de cette étude constitue véritablement le lien entre orthophonie et linguistique. En effet, il est constitué de transcriptions écrites de productions orales de patients ayant un trouble cognitif léger, une maladie d’Alzheimer ou une aphasie primaire progressive (cf. partie théorique orthophonique). Ces transcriptions ont été recueillies de manière rétrospective dans les

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dossiers des patients ayant été testés à l’épreuve de l’élaboration de phrases du Grémots. Le Grémots est une batterie de tests orthophonique créée spécialement pour évaluer le langage dans le cadre neurodégénératif. Dans L’Abrégé d’analyse du contenu (2017), Grinschpoun affirme qu’une analyse de contenu de discours peut éclairer une analyse clinique. En l’occurrence dans cette étude, l’analyse linguistique permettra, nous l’espérons, d’éclairer la clinique orthophonique.

Le lien avec le patient, son utilisation du langage, ses émotions, ses silences et pauses sont autant d’éléments que l’orthophoniste devra prendre en compte dans le cadre de l’évaluation et de la rééducation. Notre travail se situe donc dans une dimension sociolinguistique puisque nous prenons en compte toutes les données définissant le sujet parlant.

La constitution du corpus sera explicitée dans la partie Méthodologie de cette étude.

3.2 Présentation de l’épreuve « Élaboration de phrases » du Grémots

L’épreuve « Élaboration de phrases » est rapidement présentée dans notre partie méthodologie orthophonique. Néanmoins, nous allons détailler sa construction, son fonctionnement et son système de cotation afin de discuter autour de certaines implications analytiques nous permettant d’établir un cadre théorique.

3.2.1 Construction de l’épreuve

Cette épreuve a été élaborée en vue de tester le traitement syntaxique en production. Elle a été créée en se basant sur le modèle cognitif de Garrett (1975 ; 1980) adapté par Bock et Levelt en 1994. Selon ce modèle, la production d’une phrase passe par plusieurs étapes.

La première est l’étape d’élaboration du message se trouvant à l’interface de la pensée et du langage. Le locuteur constitue un message pré-verbal contenant ce qu’il veut transmettre.

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La seconde est l’étape de planification syntaxique comportant des processus fonctionnels et positionnels. Les processus fonctionnels vont permettre d’une part la sélection des éléments lexicaux correspondants au message pré-verbal et d’autre part l’attribution de fonctions syntaxiques à ces éléments (sujet, verbe, complément d’objet direct etc.). Les processus positionnels vont mettre en ordre les unités lexicales pour former une phrase conforme aux règles grammaticales de la langue. Cette sous-étape permet une hiérarchisation des syntagmes. Par exemple en français, le nom est le plus souvent précédé d’un déterminant. Cette étape de planification syntaxique n’est pas sans nous rappeler la notion de rapports paradigmatiques entre les unités selon un axe d’exclusion mutuelle. Le locuteur sélectionne un terme précis à la place d’un autre. Cela nous rappelle également la notion de rapports syntagmatiques, avec une succession linéaire des syntagmes permettant une cohésion syntaxique mais également une cohésion sémantique.

La troisième est l’étape de planification phonologique, l’information phonologique est insérée dans le cadre syntaxique.

L’étape finale consiste en la planification des gestes moteurs de la parole et de l’articulation.

3.2.2 Présentation de l’épreuve

Le patient testé doit produire une phrase à l’oral à partir d’un ou plusieurs mots qui lui sont présentés à la fois à l’écrit et oralement. L’examinateur reporte mot à mot ce que le patient produit sur le cahier de passation prévu à cet effet. En général, pour constituer un corpus les linguistes sont souvent face à la transcription de deux types de productions orales : un monologue ou une conversation parfois régulée par des questions/réponses afin d’instaurer des tours de parole. Or, dans notre étude, nous sommes dans une situation d’évaluation de production contrainte tout à fait particulière. Cette information est importante car nous devons en tenir compte dans l’analyse du corpus. Le patient étant en situation de test, l’orthophoniste ne peut l’aider et ne lui donnera aucunes indications même en cas d’échec. Les tours de parole sont uniquement régulés par la consigne et la présentation des items. Les réponses du patient s’éloignent d’un cadre écologique puisqu’elles sont induites par les items qui lui sont proposés. De plus, le temps de latence entre la consigne et la phrase produite est chronométré ajoutant

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une source de stress supplémentaire. Le patient est donc nécessairement plus angoissé que dans une situation spontanée et naturelle. L’examinateur en est pleinement conscient et devra en tenir compte dans son évaluation puisque cela peut modifier les performances.

La consigne est la suivante : « Je vais vous dire des mots, vous allez faire une phrase avec ces mots. Vous n’êtes pas obligé de les utiliser dans l’ordre donné ». Un extrait de l’épreuve est consultable en Annexe XIV.

3.2.3 Présentation des items

Afin de varier la complexité des phrases pouvant être produites, les items ont été choisis selon plusieurs variations : une variation du nombre de mots à insérer, une variation dans la proximité sémantique des substantifs choisis et une variation de valence des verbes proposés.

Les six items sont les suivants : serrure/clé ; main/voiture ; allumette/feu/jardin ; canapé/crayon/pompier ; déposer ; confier. Ce sont les seuls items présentés au patient. Ceux-ci feront l’objet d’une analyse spécifique dans la partie Résultats de notre étude.

3.2.4 Cotation de l’épreuve

Le test prévoit une analyse quantitative et qualitative.

De manière quantitative, l’examinateur doit observer la production orale et l’analyser d’un point de vue normatif. En effet, il cotera un point si la phrase est correcte sur les aspects sémantique et syntaxique ou zéro si un ou plusieurs de ces aspects ne sont pas respectés. Ce système de notation reste vague pour l’examinateur. Qu’est-ce qui est considéré correct syntaxiquement et sémantiquement ? Doit-il se fier uniquement à son expérience de locuteur, à sa conscience linguistique pour pouvoir coter les productions ?

Une grille qualitative est proposée pour guider le clinicien avec quatre aspects à vérifier : respect des mots énoncés sans dérivation morphologique, structure syntaxiquement correcte, adéquation rôles thématiques et grammaticaux, cohérence et plausibilité de la phrase. Ces indications nous paraissent floues et peu précises. Elles

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n’aident pas forcément l’examinateur à analyser et coter les phrases face à l’infinité de productions possibles. C’est pourquoi le but de cette étude est de proposer une grille plus exhaustive pour guider le clinicien dans la cotation de cette épreuve.

Nous nous occuperons des aspects syntaxique et sémantique. Tandis que Noémie Auger s’est intéressée à deux nouveaux aspects pouvant être pertinents dans la cotation de l’examinateur : l’énonciation et la pragmatique.

3.3 Implications analytiques

Une infinité de phrases peut être produite dans cette épreuve, nous serions tentées de dire qu’il existe autant de phrases que de locuteurs. En effet, Saussure affirme qu’on « est tenté d’assimiler l’immense diversité des phrases à la diversité non moins grande des individus qui composent une espèce zoologique […] entre les phrases c’est la diversité qui domine » ([1916] 1996, p. 148-149). Face à la multiplicité des productions il nous faudra alors aborder la question de la norme, de la variation et de l’usage.

De plus, la consigne de cette épreuve demande au locuteur de produire une seule phrase. Mais qu’est-ce qu’une phrase au sens syntaxique du terme ? Il nous faudra la définir afin de pouvoir analyser correctement notre corpus.

Les consignes de cotation ne détaillant pas ce qu’est un énoncé sémantiquement correct, nous aborderons également plusieurs niveaux d’analyse sémantique afin de nous guider dans notre travail et de nous aider au mieux dans la construction de notre grille.