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5.1. Introduction

Les chapitres précédents ont montré l’apport des techniques d’analyses transportables et non-invasives pour la caractérisation de couches picturales historiques. Leur caractère localisé implique la sélection de points d’intérêts lors de la mesure, et les résultats de ces analyses sont considérés représentatifs du matériau étudié. Dans le cas du Codex Borbonicus, la majorité des analyses ont été réalisées sur deux pages supposées représentatives de chaque partie du document (pages 6 et 30 pour les parties I et II, respectivement).

Il convient maintenant d’étudier la répartition de ces constituants sur l’ensemble des 36 pages du manuscrit. Au-delà de la question de représentativité des mesures localisées, la visualisation de la répartition spatiale des matériaux caractérisés peut également faire apparaitre des informations techniques qui ne sont pas révélées par les mesures ponctuelles.

La solution à ces problématiques est donnée par l’application de techniques d’analyses résolues spatialement. Ce type d’applications instrumentales génère des images numériques dont chaque pixel contient des informations analytiques. Il existe des applications instrumentales pour l’acquisition spatiale de chaque technique ponctuelle utilisée lors de cette étude, que ce soient les spectroscopies de fluorescence de rayons X (Ricciardi et al. 2016; Delaney et al. 2014), Raman (Ropret et al. 2012) et moyen-infrarouge (Rosi, Miliani, et al. 2013).

La spectroscopie de réflexion diffuse possède également une instrumentation spécifique générant des données résolues spatialement, appelée imagerie hyperspectrale. Cette technique est celle qui a été retenue pour l’étude du Codex Borbonicus, étant donné sa facilité de mise en œuvre permettant l'étude de la totalité du manuscrit.

Ce chapitre décrira les diverses possibilités de cartographie des constituants du Codex Borbonicus offertes par l’imagerie hyperspectrale. Un état de l’art est présenté, suivi d’une description des instruments et du traitement de données utilisé dans le cadre de l’étude.

Les résultats d'une première application liée à la colorimétrie des peintures du Codex Borbonicus sont d'abord traités. L’exploration des données spectrales par l’application de procédures statistiques communes ainsi que par une approche guidée donnant des résultats complémentaires est ensuite présentée. Etant donné les spécificités des profils d’absorbance associés, les cartographies des domaines spectraux visible et proche infrarouge sont introduites dans deux sections distinctes.

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5.2. Etat de l’art

Une image hyperspectrale est un cube de données réunissant pour chaque pixel de l’image deux coordonnées spatiales (x,y) ainsi que des données spectrales dont le nombre dépend de la résolution de l’instrument utilisé.

Considérons d’abord une image monochromatique (en niveaux de gris). Chaque pixel est alors défini par trois coordonnées, les données spatiales x et y ainsi que la valeur z du niveau de gris que l’on peut associer à une valeur de réflexion diffuse à une longueur d’onde donnée (Figure 106a).

Si un capteur permettant de mesurer l’intensité de réflexion relative à plusieurs longueurs d’onde est utilisé, autant de dimensions supplémentaires sont obtenues pour chaque pixel (Figure 106b). Le cube de données ainsi généré peut alors être visualisé comme la superposition de plusieurs images monochromatiques. Les valeurs de réflexion diffuse associée à chacune des bandes spectrales d’un même pixel spatial dessinent une allure spectrale lorsqu’elles sont disposées dans le même repère R=f(λ). Un tel cube de données est appelé image « multispectrale » dans la littérature.

En augmentant fortement le nombre de bandes spectrales un cube composé de n images est obtenu, ce qui est équivalent à une image unique où chaque pixel spatial contient un spectre de réflexion diffuse à n dimensions (Figure 106c). Le terme « hyperspectral » est alors utilisé, lorsque le nombre de bandes spectrales autorise une bonne résolution des spectres.

En général, une image hyperspectrale est composée de milliers de pixels dans les deux dimensions spatiales et de quelques centaines de bandes spectrales. Les quantités de données impliquées dans cette technique d’imagerie sont donc très grandes (un cube représente typiquement plusieurs giga-octets de données). Lors de l’étude d’une telle image, il est laborieux de consulter une par une chacune des n images ou chacun des x*y spectres enregistrés. L’assistance d’outils statistiques de traitements des données est donc souvent nécessaire.

Deux catégories générales de routines de traitement peuvent être distinguées. Dans les deux cas, l’objectif est de réduire la complexité des données pour en faciliter la visualisation et la compréhension.

Le premier mode de traitement des images hyperspectrales (Cséfalvayová et al. 2011) considère plutôt le cube de données comme une superposition de n images (correspondant aux n bandes spectrales) dont il faut réduire le nombre.

189 Figure 106. Schématisation d’images à 1 (a), 9 (b) et n (c) dimensions spectrales (gauche) et de leur contenu par pixel (droite).

Une réduction statistique de la dimensionnalité des données est alors appliquée en concentrant la variabilité des n images en un nombre minimal d’images composites. Les analyses en composantes principales (ACP) sont souvent utilisées pour cette opération, les images finalement

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obtenues sont alors une représentation en niveau de gris des premières composantes qui représentent au mieux la variabilité des données. Il est également possible de visualiser la répartition des données spectrales de l’image étudiée en fonction de 2 (dans un plan) ou 3 (dans un volume) de ces dimensions synthétiques. Cette représentation permet de détecter des groupes de pixels se différenciant des autres, ce qui peut être associé à une allure spectrale, donc à une composition matérielle différente.

Cette approche présente l’avantage de concentrer en quelques représentations la complexité du cube de données. Le problème principal posé par ce traitement est que les valeurs finales associées aux différents pixels spatiaux sont difficiles à interpréter d’un point de vue spectral et donc compliquées à relier à des spécificités matérielles.

La seconde stratégie consiste à classer les pixels spatiaux en groupes présentant une allure spectrale commune. En général dans le domaine du patrimoine, elle est réalisée de manière supervisée, ce qui implique la définition de spectres de référence. Ceux-ci peuvent être extraits de l’image (référence interne (Delaney et al. 2010)) ou provenir d’une base de données de spectres de matériaux de composition connue (référence externe (Mounier et al. 2014)).

Chaque spectre de l’image étudiée est alors comparé aux spectres de référence et est associé à l’un ou l’autre en fonction d’un indice de proximité. Le résultat final d’un tel traitement est en général une image permettant de visualiser la répartition spatiale des différentes classes spectrales associées à des couleurs choisies (Figure 107).

Figure 107. Schématisation de la routine de classification spectrale.

L’intérêt de cette méthode est qu’une partie des nombreuses informations du cube des données est concentrée en une image finale dont chaque pixel spatial est associé à une appartenance à telle ou telle classe, que l’on peut associer à une allure spectrale. De plus, lorsque la

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Il faut finalement mentionner qu’il est possible d’utiliser une routine hybride(Delaney et al. 2014), dans laquelle une première étape de réduction de la dimensionnalité des données permet de détecter les spectres les plus représentatifs de la variabilité d’une image, qui sont ensuite utilisés pour une classification spectrale (référence interne).

Ces différents traitements ne sont pas équivalents, et le choix du protocole utilisé dépend grandement de l’objectif de l’étude. D’une manière générale, si le but de l’étude est par exemple la visualisation d’un tracé sous-jacent, alors une réduction de la dimensionnalité est pertinente puisque le sens de la cartographie finale importe moins que la visualisation efficace du tracé recherché. Si au contraire on s’intéresse à la distribution d’un matériau précis (associé à une forme spectrale), alors une classification est plus appropriée.

De nombreux travaux utilisant ces techniques statistiques, portant sur l’étude de peintures sur toile, sur panneau de bois ou murales (Comelli et al. 2008; Rosi, Miliani, et al. 2013; Sciutto et al. 2012; Daniel et al. 2015; Dooley et al. 2013; Thoury et al. 2011) et de textes et enluminures de manuscrits (Klein et al. 2007; France et al. 2010; Ricciardi et al. 2009, 2012; Padoan et al. 2004; Mounier et al. 2014; Joo Kim et al. 2011; Mansfield et al. 2002; Attas et al. 2003; Snijders et al. 2016) ont ainsi été publiés dans les 15 dernières années. Les traitements statistiques de ces cubes de données ont permis de visualiser avec succès des dessins préparatoires, des repentis, des couches picturales décolorées, l’utilisation de plusieurs liants ou matières colorantes, ou encore des traitements de restauration récents.

Ce type d’approche statistique appliqué aux données hyperspectrales du Codex Borbonicus sera proposé. Une méthodologie alternative et complémentaire se concentrant non sur les formes globales des spectres de réflexion mais sur la cartographie de motifs spectraux spécifiques sera également détaillée.

5.3. Instrumentation, mise en œuvre et traitement des données

5.3.1. Instrumentation et acquisition

Deux imageurs (Specim Corp. (Finlande)) ont été utilisés dans le cadre de cette étude pour couvrir le domaine spectral du visible au proche infrarouge (400-2500 nm). L’imageur visible et très

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proche infrarouge (VNIR, de l’acronyme anglophone Visible - Near InfraRed) est le spectrographe ImSpector N10E équipé d’un capteur CCD de 1600 pixels spatiaux et 1200 pixels spectraux, opérant de 395 à 1000 nm. Le système proche infrarouge (SWIR, Short WaveInfraRed) est constitué d’un spectrographe ImSpector N25E équipé d’un détecteur MCT à température stabilisée de 320 pixels spatiaux et 256 pixels spectraux, calibré de 1000 à 2500 nm.

Les deux imageurs fonctionnent en mode « push-broom », ce qui veut dire que les détecteurs mesurent à chaque instant, à l’aide d’un système dispersif, les spectres d’une bande de pixels spatiaux (1600 ou 320 en fonction du capteur), et qu’un déplacement leurs permet de scanner une image. Ils sont donc montés sur une barre motorisée qui permet de diriger le faisceau d’acquisition verticalement vers le bas et de scanner horizontalement (Figure 108).

Figure 108. Géométrie du montage pour l’acquisition des images hyperspectrales (a). Détail du champ couvert par le capteur lors de l’enregistrement d’une page du Codex Borbonicus (b).

La résolution spatiale des images obtenues dépend de l’objectif utilisé et de la distance de travail qui définissent la largeur du champ mesuré. Un capteur de distance est positionné au niveau des détecteurs pour contrôler cette distance. Elle est modulée par le déplacement vertical du plateau d’un chariot élévateur sur lequel l’objet étudié est déposé.

La source de lumière (deux rangées de 3 ampoules halogènes de 35 Watts de la marque Osram disposées de chaque côté du détecteur, à un angle de 45°C) est fixée avec les imageurs et permet d’éclairer la bande d’acquisition toujours de la même façon au cours du déplacement. Afin de limiter l’exposition à la lumière de l’objet en cours d’acquisition (ici le Codex Borbonicus), un écran est également fixé au bloc imageur/source. Grâce à une fente réalisée dans cette plaque, seule la bande analysée (3 cm de large) est éclairée pendant l’acquisition (Figure 108a).