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variabilités spectrales de matières colorantes

4.2.9. Cochenille : synthèse et discussion

Tous les essais réalisés sur l’acide carminique seul, complexé avec un ou des métaux et précipité sous forme de laque ou de mélanges avec une argile ont révélé des caractéristiques spectrales très variables et très dépendantes de l’environnement chimique de la molécule colorante.

L’acide carminique présente les maxima d’absorbance à 495, 525 et 560 nm lorsqu’il est complexé avec de l’aluminium, sous forme soluble ou précipité en laque d’alumine hydratée. Il les présente également lorsqu’il est mélangé avec une argile. En revanche, lorsque l’acide est non complexé, complexé et précipité avec du calcium ou du fer, ou à de fortes concentrations, les motifs sont absents du spectre ou plus difficiles à distinguer.

L’absence de ces caractéristiques spectrales ne signifie donc pas l’absence d’acide carminique dans la couche de peinture étudiée. Leur présence en revanche peut être liée au complexe acide carminique/aluminium, qui peut éventuellement être extrapolée à la présence d’une laque à base d’aluminium.

Dans les peintures rouges du Codex Borbonicus, les données élémentaires (présence d’aluminium et de potassium) corroborent l’hypothèse selon laquelle de l’alun a été utilisé pour précipiter la cochenille sous forme d’alumine hydratée, générant les motifs spectraux à 495, 525 et 560 nm. Il est également possible que la teinte rouge de ces peintures soit à interpréter comme l’ajout d’une matière colorante jaune/orangé à cette laque qui, utilisée pure, génère des teintes violacées. Si tel est le cas, ce colorant est certainement organique puisque rien dans les données élémentaires ne suggère la présence d’un minéral jaune/orange.

De façon semblable, les peintures orange du codex présentent les maxima d’absorbance associés au complexe acide carminique/aluminium ainsi que la détection d’aluminium et de potassium en analyse élémentaire. La présence d’une laque de cochenille préparée à l’aide d’alun est

149 donc probable, certainement mélangée à un colorant organique jaune/orange pour en modifier la teinte.

Dans le cas des peintures brunes de la partie I enfin, la présence d’un bord d’absorption peut être interprétée comme un indice d’une interaction acide carminique/argile. Il vient corroborer les données XRF (présence de silicium) et moyen infrarouge (vibration Si-O) suggérant la présence d'une argile.

4.3. Les couleurs du Bleu Maya

4.3.1. Interrogations

Les données analytiques recueillies sur les peintures bleues du Codex Borbonicus indiquent la présence de bleu Maya (voir chapitre 2). Toutefois, l'origine de la différence entre les profils spectraux des peintures des deux parties du Codex Borbonicus n'a pas été identifiée (Figure 84).

Figure 84. Spectres de réflexion diffuse des peintures bleues des parties I (courbe grise) et II (courbe noire) du Codex Borbonicus (a). Coordonnées colorimétriques CIE L*a*b* associées (b). Rendu RVB qualitatif correspondant à ces coordonnées colorimétriques (c).

L'exemple de la cochenille a montré à quel point les caractéristiques spectrales de colorants dans le domaine visible sont sensibles à de nombreux paramètres de préparation. Il est donc ici légitime de s’interroger : des informations sur le mode de fabrication du (des) bleu(s) Maya du Codex Borbonicus pourraient-elles être révélées par ces caractéristiques spectrales ?

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4.3.2. Etat des connaissances

Une présentation générale du bleu Maya et de sa (re)découverte a déjà été donnée au chapitre 1. En guise de bref rappel, le bleu Maya est un pigment hybride constitué d’une argile (la palygorskite) utilisée comme support minéral chromatiquement neutre, colorée par des molécules d’indigotine (extraites de plantes à indigo) qui lui sont fixées par une interaction spécifique.

Par abus de langage la molécule d’indigotine est parfois aussi appelée indigo. Bien que manquant de spécificité ce terme peut aussi être utile lorsque l’état moléculaire du colorant n’est pas exactement connu (Doménech et al. 2009). En effet, la chimie des plantes à indigo est assez complexe et la molécule finale d’indigotine qui colore en bleu est issue d’une série de réactions dont le précurseur dans la plante est la molécule d’indican. Une série de transformations moléculaires (fermentation puis oxydation) aboutit à la formation de la molécule insoluble d’indigotine (Cardon 2003d). Celle-ci peut encore subir des transformations en fonction de son mode de préparation (générant l’indirubine, le déhydroindigo ou le leuco-indigo) (Figure 85). La couleur d’un tissu teint à l’indigo, ou d’une préparation d’indigo telle que le bleu Maya, résulte d’un mélange moléculaire de colorants en proportions variables (dépendantes du mode de préparation).

Figure 85. Molécules d'indigotine, de déhydroindigo, de leuco-indigo et d’indirubine et couleurs associées.

Plusieurs protocoles pour produire le bleu Maya en laboratoire ont été proposés. Ils peuvent être divisés en deux groupes, selon que la synthèse s’effectue à sec ou en solution(Sanchez del Rio, Martinetto, et al. 2006). Dans le premier cas, de l’extrait d’indigo (indigotine sous forme solide) est utilisé pur et mélangé à l’argile. La préparation est ensuite broyée puis chauffée(Sanchez del Rio, Martinetto, et al. 2006; Doménech et al. 2011). Dans le second cas, l’argile est ajoutée à une macération de feuilles d’indigo. Les feuilles sont retirées de la solution, qui est ensuite oxygénée par agitation (la couleur bleue de l’indigo apparait alors). Le solide est récupéré par filtration avant de subir l’étape finale de stabilisation par chauffage modéré (Sanchez del Rio, Martinetto, et al. 2006).

Ces deux procédés sont historiquement plausibles. Les modes d’extraction de l’indigo étaient en effet bien connus en Mésoamérique, mais aucun indice permettant d'établir les étapes

151 traditionnelles de préparation du bleu Maya n’a été découvert (Doménech et al. 2007). Il est probable que différentes techniques aient été utilisées en fonction du lieu et de l’époque (Doménech et al. 2011).La découverte en contexte archéologique Maya de palygorskite et d’indigo associés à un encensoir à copal suggère l'utilisation possible de la combustion rituelle de copal pour l’étape de cuisson du bleu Maya (Arnold et al. 2008, 2012).

La teinte turquoise particulière du bleu Maya serait attribuable à un déplacement bathochrome des caractéristiques d’absorption de l’indigo lorsque les molécules isolées d’indigotine se lient à la palygorskite (Doménech et al. 2007; Chiari et al. 2007; Reinen et al. 2004; Giustetto 2010; Giustetto et al. 2011; Doménech et al. 2011).

L’étape de cuisson joue également un rôle puisque du déhydroindigo (jaune) se forme lors du chauffage de la préparation. Les paramètres de cuisson influent sur le rapport indigotine/déhydroindigo qui impose la teinte finale (Rondão et al. 2010; Doménech et al. 2009).

Finalement, des mesures réalisées sur des pigments archéologiques montrent que les Mayas maitrisaient la chimie du mélange indigo/palygorskite au point de pouvoir créer des pigments « bleus Maya » de teinte finale jaune, verte et bleue en jouant sur les proportions du système déhydroindigo/indigo/leucoindigo (Vandenabeele et al. 2005; Doménech et al. 2011).