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Constats sur la trajectoire du mouvement entre 2000 et 2010

Chapitre 1. Introduction générale

1.2 Construire l’objet d’étude : le mouvement antiautoritaire au Québec

1.2.3 Constats sur la trajectoire du mouvement entre 2000 et 2010

Les campagnes de mobilisation de 2000 et de 2010, marquées par les épisodes de contestation d’avril 2001 et de juin 2010, permettent de relever l’existence d’un mouvement antiautoritaire dans la province de Québec sur la base des indicateurs proposés par Tilly (2004, 3-4), notamment le WUNC display. Ce mouvement est un acteur-clé de la campagne contre le Sommet des Amériques de 2001, moment où il émerge sur la scène publique suite à une mobilisation débutée dès les premiers mois de l’an 2000. La disparition éventuelle des groupes porte-étendard qui ont porté la perspective anarchiste dans le cadre de la campagne de Québec n’a pas signifié pour autant la mise au rancart de la pensée et des pratiques développées en leur sein. Au contraire, plus que la résurgence d’une « idéologie née avant son temps » (Castells 2005), la mobilisation de 2010 lors de la rencontre des dirigeants du G8 et du G20 en Ontario témoigne de la prégnance de cette perspective anarchiste dans la province et de la pérennité du mouvement social qu’elle anime.

37 Le coût des mesures de sécurité mises en œuvre pour les sommets du G8 et du G20 de 2010 a été estimé à près de 1 milliard de dollars, tandis qu’environ 20 000 policiers ont été déployés à Toronto lors des événements

À l’occasion de ces épisodes de contestation, les acteurs de ce mouvement ont cherché à concilier dans le cadre d’une approche innovante différents modes d’expression propres au répertoire d’action des mouvements sociaux, tels les marches carnavalesques, les manifestations et les actes de perturbation. Parmi la variété d’actions développées dans le cadre de ces campagnes, certaines étaient organisées dans un objectif d’éducation populaire, voire dans un esprit festif et familial qui témoignait de la dignité des acteurs. Chacune des interventions organisées sous la bannière de la CLAC et du CASA a donné à voir l’unité des participants et des participantes par des slogans, des codes vestimentaires et le recours à une iconographie originale traduisant leurs affinités communes, tel qu’illustré dans les figures 1.1 et 1.2. Le mouvement a également su maintenir l’engagement d’un nombre important de manifestants et de manifestantes lors de ces campagnes en dépit de la condition affaiblissante qu’a représentée chaque occasion la répression dont ils ont été la cible.

Figure 1.1 Iconographie de la CLAC utilisée à l’occasion de la mobilisation de 2001

Figure 1.2 Iconographie de la CLAC 2010 utilisée à l’occasion de la mobilisation de 2010           Source : Quebec Research Interest Group (QPIRG) at Concordia University (S. d. c.)

Au terme de la présentation de ces épisodes de contestation, il est clair que l’anarchisme se trouve au cœur du mouvement qui s’est mobilisé à l’enseigne de la CLAC et du CASA en

2000 et a resurgi avec l’expérience de la CLAC 2010. Formé à la fois de groupes et de réseaux qui se revendiquent explicitement de la pensée libertaire et d’autres qui expriment des affinités idéologiques avec ces idées sans pour autant se déclarer ouvertement anarchistes, ce mouvement est plus consensuellement désigné comme antiautoritaire par les acteurs qui y prennent part. Ces acteurs ont en effet en commun les différentes caractéristiques de l’idéal type de la perspective antiautoritaire contemporaine, repérables dans l’analyse politique, les stratégies d’action et le mode d’organisation qu’ils privilégient. L’analyse attentive de ces épisodes de contestation fait toutefois apparaître certains réaménagements dans la matérialisation de ces caractéristiques lors des épisodes de contestation de 2000-2001 et de 2010, comme présentés dans le tableau 1.3.

Tableau 1.3 Comparaison des caractéristiques du mouvement antiautoritaire lors des épisodes de contestation de 2001 et de 2010

Caractéristiques de la perspective antiautoritaire

contemporaine

État des lieux en 2001 (T1) État des lieux en 2010 (T2)

Analyse politique contre les formes de domination jugées illégitimes Anticapitalisme; Anti-impérialisme; Contre le patriarcat. Anticapitalisme; Anti-impérialisme; Contre le patriarcat; Antiracisme; Anticolonialisme; Contre l’hétérosexisme; Contre l’anthropocentrisme; Contre le capacitisme; Contre l’âgisme. Répertoire d’actions directes

basé sur le respect d’une diversité des tactiques

Campagne d’action ponctuelle; Manifestations;

Éducation populaire; Actes de perturbation.

Campagne visant la consolidation des luttes à long terme; Construction de projets alternatifs au système dénoncé; Manifestations; Éducation populaire; Actes de perturbation. Mode organisationnel inspiré

de la démocratie directe et de l’horizontalité des relations sociales

Appliqué dans quelques groupes d’affinités;

Appliqué dans des coalitions d’individus (CLAC, CASA).

Appliqué au sein d’un ensemble diversifié de groupes d’affinités et de réseaux;

Appliqué au sein d’une coalition de groupes et réseaux (CLAC 2010).

Sur le plan des positions politiques, la critique des enjeux soulevés par l’intégration continentale proposée par la CLAC et le CASA en 2001 était envisagée dans la perspective radicale d’une remise en cause des fondements mêmes du système capitaliste et de l’État. La position antiautoritaire du mouvement était alors affirmée dans le rejet du système hégémonique d’organisation économique représenté par les intérêts de l’État et des grandes entreprises. Même si la CLAC initiale reconnaissait également l’exploitation engendrée par divers systèmes d’oppression corollaires tels le patriarcat et l’impérialisme, le chapitre 2010 de la CLAC a de surcroît précisé le racisme, le classisme, le colonialisme et l’hétérosexisme comme formes de domination à combattre. Cette diversité rendue plus manifeste dans le cadre de la mobilisation de Toronto reflète en ce sens l’hétérogénéité des enjeux abordés par la perspective anarchiste contemporaine.

En ce qui concerne le répertoire des stratégies d’action, l’épisode de 2010 illustre le recours à des tactiques similaires à celles employées en 2001, notamment les manifestations, l’éducation populaire et les actes de perturbation. De surcroît, la campagne de la CLAC 2010 est construite dans l’objectif de consolidation des luttes dans la longue durée, encourageant de manière explicite la construction d’alternatives réelles au capitalisme, alors que la mobilisation de 2001 visait au départ un objectif plus ponctuel. Le réinvestissement de cette caractéristique de l’idéal type de la perspective antiautoritaire contemporaine s’exprime donc à nouveau ici dans l’optique de la diversité des modalités qui caractérisent le répertoire des types d’actions directes mobilisées.

Finalement, le mode organisationnel privilégié par les acteurs du mouvement est demeuré fondé sur les pratiques de la démocratie directe et de la décentralisation au cours de cette période. Toutefois, les espaces dans lesquels ces pratiques sont développées se sont multipliés, passant de l’assemblée générale de la CLAC comme principal espace de rencontre des individus interpellés par une interprétation libertaire des enjeux du Sommet de Québec à une diversification de groupes et réseaux réunis sous la bannière de la CLAC 2010, en dépit de la variété des enjeux plus précis autour desquels ils se mobilisaient respectivement.