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Constats et propositions Attentes

2.2. L A PLACE DES DISCRIMINATIONS DANS LES MANUELS D ’ ÉDUCATION CIVIQUE

2.2.2. Constats et propositions Attentes

Les attentes se ressentent à trois niveaux. D’une part, le programme élaboré par le ministre de l’Education nationale (suivant les différentes étapes rappelées précédemment) doit tenir compte du socle commun de connaissances et de compétences ; d’autre part, c’est aux éditeurs de respecter le programme lors de la conception des manuels et enfin c’est aux enseignants de privilégier les manuels reflétant au mieux le socle commun et les programmes. Le sujet de l’étude ne concernant que les manuels scolaires, nos propositions ne s’adresseront qu’aux éditeurs.

Préalablement aux propositions, une première constatation se doit de saluer le respect par les éditeurs du socle commun et du programme en ce que tous les manuels soumis à notre étude retranscrivent certaines dispositions des textes fondateurs : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789119, Constitution du 4 octobre 1958120, Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948121 et la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989122.

Respecter les principes de liberté et de neutralité des éditeurs

Il faut noter que la lutte contre les discriminations ne fait pas partie pour l’instant des obligations positives imposées aux éditeurs, c’est-à-dire susceptibles d’être sanctionnées. Les seules normes qui s’imposent à eux sont celles décrites précédemment. Deux possibilités seraient juridiquement envisageables : instaurer une procédure d’agrément par l’Etat des manuels scolaires, tel que cela a pu être envisagé par le passé, ou mettre en place une procédure de suivi des manuels calquée sur celle existant à l’égard des programmes eux-mêmes123.

Serait-ce souhaitable de consacrer une procédure d’habilitation, compte tenu de la tradition libérale en la matière ? Serait-ce même nécessaire, au regard de la faible utilisation des manuels d’éducation civique ? Ainsi que nous l’avons développé, règne en ce domaine une tradition libérale, et il semble que celle-ci doive par principe être conservée, non seulement au regard de données économiques : le

119 Principalement les articles 1er et 6 (voir supra), parfois l’ article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » ; l’article 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; l’article 13 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés ».

120 Article 1er, voir supra.

121 Notamment l’article 1er : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » et l’article 7 : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination ».

122 Principalement l’article 2 : « Les Etats parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation. Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille ».

manuel scolaire constitue un marché à l’occasion duquel s’exerce une concurrence entre éditeurs, la quête d’originalité en est une conséquence ; qu’au regard des impacts juridique et symbolique qu’aurait une telle obligation : quid des libertés de conscience, de pensée et d’expression ? Une telle recommandation ne nous semble pas participer à la transmission des valeurs qui justement fondent une démocratie.

Elle semble devoir être dès lors écartée.

En revanche, envisager la constitution d’une instance collective chargée d’assurer un suivi des contenus des manuels relativement à la lutte contre les discriminations serait une piste à explorer. Cet organe reflèterait les différentes institutions concernées par la question et assurerait un contrôle du contenu des manuels relativement aux principes d’égalité et de non-discrimination. Cette instance pourrait dès lors publier un rapport annuel présentant ses observations, ce qui participerait, à notre sens, à une prise de conscience collective des acteurs concernés.

Améliorer la lisibilité des notions abordées

Une constatation préliminaire : les définitions données de la notion de discrimination sont, dans l’ensemble, satisfaisantes et rendent compte de la rupture d’égalité qu’elle constitue : « Fait de refuser des droits à une personne sous prétexte qu’elle appartient à une catégorie sociale particulière »124 ; « Fait de traiter une personne (ou un groupe) différemment et, en général, plus mal que les autres »125 ; « Fait de distinguer une personne en fonction de son origine, de son apparence, de ses opinions pour la traiter différemment, de manière injuste »126 ; « Rejet d’une personne parce qu’elle est différente »127. Par ailleurs, reprendre directement l’article L. 225-1 du Code pénal participe à une appréhension juridique de la notion de discrimination128.

Nous regrettons pourtant que les liens entre principe d’égalité et discrimination ne soient pas toujours clairs et pertinents : en ce sens qu’il faut partir du principe d’égalité tel que retenu par notre tradition pour poser ensuite l’illégitimité de la discrimination.

Ainsi, le manuel Hatier intitule la première partie du chapitre traitant de l’égalité :

« Où mène le racisme ? »129. Envisager cette question est pertinent ; mais nous sommes d’avis de ne l’aborder qu’une fois définies les notions de base, en guise par exemple d’illustration de la discrimination et de ses dangers.

Parfois ce sont les intitulés qui prêtent à confusion : par exemple, le manuel Hachette pose la question au sein d’un chapitre dédié à « combattre les discriminations » :

124 Education civique 5ème, « Demain citoyen », Nathan, 2005, p. 18.

125 Education civique 5ème, Hachette, 2001, p. 18.

126 Education civique 5ème, « Grandir ensemble », Hatier, 2006, p. 11.

127 Education civique 5ème, Magnard, 2001, p. 23.

128 Education civique 5ème, Belin, 2004, p. 16.

« Quelles sont les discriminations condamnables ? »130. Or, ainsi que nous l’avons précédemment énoncé, toutes le sont en principe ; il serait donc préférable de simplement définir la notion de discrimination pour ensuite poser les critères ou attributs personnels sur lesquels elle peut se fonder.

Le manuel Belin intitule une partie : « Des discriminations illégitimes » pour ensuite énoncer : « Opérer une distinction entre les individus est contraire au principe d’égalité »131. Or si tel est bien le cas, comment comprendre le précédent intitulé ???

De tels énoncés manquent de clarté et de justesse.

Ainsi que nous l’avons développé, si toute discrimination consiste bien en une distinction, toute distinction n’est pas pour autant discriminatoire. Les manuels se doivent de refléter ces nuances et de clairement les retranscrire.

C’est pourquoi il nous semble important de davantage travailler les liens entre les notions abordées en vue d’une meilleure lisibilité par les élèves. Nous recommandons donc que soit reprise par les éditeurs la typologie retenue par le programme de la classe de 5ème en éducation civique (qui apparaît par ailleurs au sein de la majorité des manuels analysés) :

I. L’égalité

A. L’égalité devant la loi

B. Le refus des

discriminations

Les éditeurs conserveraient par ailleurs leur liberté dans la structure et les illustrations au sein de ces parties.

L’intérêt réside uniquement dans un souci de justesse et de clarté des notions appréhendées.

De plus, les principes d’égalité et de non-discrimination semblent parfois difficiles à comprendre du fait de leur énoncé. Certaines phrases sont confuses.

Ainsi, le manuel Belin énonce notamment : « Si tous les individus sont, d’après la loi, égaux en droits, ils sont loin d’être semblables »132. Autre exemple relevé au sein du manuel Hachette : « Affirmer dans un texte le principe d’égalité est nécessaire pour qu’il s’applique, mais ce n’est pas toujours suffisant »133.

Nous reconnaissons que les notions abordées sont complexes et demandent un véritable effort de simplification, mais nous notons que l’effort doit également porter sur la rédaction en vue d’une meilleure compréhension.

130 Op. cit. , p. 18.

131 Op. cit. , p. 16-17.

132 Op. cit. , p. 15.

Respecter le sens des dispositions juridiques envisagées Des confusions d’ordre purement juridique sont parfois opérées.

D’une part, les sources normatives ne sont pas correctement distinguées selon leur nature : par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme est effectivement un texte à « échelle planétaire » alors que la loi et la Constitution n’ont vocation à s’appliquer qu’au sein d’un Etat.

Il existe en droit différentes normes à différentes valeurs et à différents champs d’application, préférons dès lors respecter cette typologie et ne pas engendrer de confusion chez les élèves. Ainsi, la loi et la constitution ne s’appliquent qu’en France et ne sont pas à assimiler à la Déclaration universelle des droits de l’homme.

C’est pourquoi, le fait d’opérer un renvoi à l’article 7 de cette déclaration au sein de la phrase : « La loi française punit la discrimination » n’a pas de sens en droit134. Envisager successivement deux textes à différentes valeurs sans autre précision peut induire en erreur d’un point de vue normatif : « A l’échelle de la planète, la Déclaration universelle des droits de l’homme, rédigée en 1948, est la première référence aux droits fondamentaux (liberté et égalité) pour tous les peuples. Quant à la Constitution de 1958, elle garantit l’égalité devant la loi de tous les citoyens, quelles que soient leur origine, leur religion etc. »135. Il s’agit bien de textes fondateurs du principe d’égalité mais qui, d’un point de vue juridique, sont à différencier : la Déclaration ne dispose pas d’une valeur contraignante en droit interne.

D’autre part, certaines phrases cumulent les erreurs: « Aujourd’hui, la France qui reconnaît la Convention internationale des droits de l’enfant a pris certaines mesures : le Code pénal prévoit des sanctions contre ceux qui pratiquent une forme de discrimination », et le manuel opère un renvoi à l’article 2 de la Convention136. Une telle formulation, en plus d’être floue, prête à confusion. D’une part, toutes les dispositions de la Convention de New York ne sont pas directement invocables devant le juge français. D’autre part, ce n’est pas parce que la France est partie à la Convention de New York que le Code pénal sanctionne la discrimination, c’est parce qu’elle constitue une violation du principe d’égalité, tel que garanti en France par des dispositions à valeur constitutionnelle. Enfin, le Code pénal et la Convention internationale des droits de l’enfant constituent deux sources normatives à différentes valeurs, dans ce sens opérer un renvoi à la Convention, alors qu’il est question de la prohibition de la discrimination par la législation française semble confus.

Notons enfin, dans un souci de rigueur, que le Code pénal n’est pas « un recueil de lois »137 mais une compilation de dispositions normatives touchant à la matière pénale et s’appliquant en droit interne.

134 Education civique 5ème, Hachette, 2001, p. 18.

135Education civique 5ème, Magnard, 2001, p. 13.

136 Ibid., p. 23.

Nous recommandons ainsi que l’effort de simplification dans l’appréhension de ces notions juridiques complexes s’opère sans dénaturation.

Invitation à l’attention des éditeurs

Nous encourageons par ailleurs l’intégration des dispositions du Code pénal sanctionnant toute distinction illégitime au sein des manuels d’éducation civique de 5ème. Il s’agirait à notre sens de faire apparaître très clairement que la discrimination est pénalement sanctionnée. Il s’agit d’un délit grave que le droit réprime par des condamnations pécuniaires et/ou d’emprisonnement.

Nous proposons donc aux éditeurs de véritablement mettre l’accent sur l’illicité de la discrimination à travers la reproduction des dispositions l’énonçant.

Dans le même ordre d’idées, il nous semblerait intéressant que soit mentionnée l’existence de la Halde en précisant ses rôles et mode de saisine. Il s’agirait non seulement d’illustrer l’engagement de l’Etat à combattre les discriminations, mais également d’informer les élèves. Il est vrai qu’apparaît déjà l’existence de certaines associations ou mécanismes mis en place pour lutter contre les discriminations et dans ce sens il semblerait que la Halde y trouve toute sa place.