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É DITER DES MANUELS SCOLAIRES EN ADOPTANT UNE POLITIQUE DE GESTION DE LA

DE L ’ HOMOSEXUALITÉ : POINT DE VUE DES ENSEIGNANTS

11. LES ÉDITEURS ET LA GESTION DE LA DIVERSITÉ

11.1. É DITER DES MANUELS SCOLAIRES EN ADOPTANT UNE POLITIQUE DE GESTION DE LA

DIVERSITÉ

L’édition du manuel scolaire constitue une activité de production et commerciale spécifique liant la maison d’édition à l’éducation nationale, ses responsables de programmes et ses enseignants, en vue de favoriser les apprentissages des utilisateurs finaux, à savoir les élèves. En dépit de cette spécificité, la maison d'édition n'en demeure pas moins une entreprise responsable de la conception d’un produit dont la qualité dépend de la gestion des acteurs de la chaîne de fabrication.

Le facteur de qualité auquel nous nous limiterons bien entendu ici touche à la représentation des groupes composant la société française et les stéréotypes les concernant. Ce facteur est particulièrement bien décrit depuis quelques années en sciences de gestion. Nous allons proposer une brève revue de quelques uns des travaux concernés avant d’envisager leur application au secteur de l’édition des manuels scolaires.

11.1.1. La gestion de la diversité unicritère ou multicritère La notion de diversité est de plus en plus présente dans les sphères politiques, académiques ou encore médiatiques de la société française. Elle peut se réduire à des types de diversité bien précis, comme la diversité culturelle renvoyant à l’hétérogénéité des identités sociales et culturelles des individus vivant dans une région ou travaillant dans une organisation donnée, selon la définition de Cox (2001) ou encore au genre qui constitue, en France, une approche privilégiée de la diversité en entreprise (Landrieux-Kartochian, 2007). Ces conceptions unicritères de la diversité peuvent être complétées par des définitions plus ‘’englobantes’’ ou multicritères touchant à d’autres motifs de discrimination, comme l’âge, le handicap ou encore l’orientation sexuelle.

Dans cette perspective, nous pouvons évoquer Point (2007, p 235-236) pour qui « la diversité désigne l’ensemble des différences individuelles dans un groupe, que celles-ci soient visibles (race, ethnie, sexe, handicap, etc…) ou moins perceptibles (affiliation politique, orientation sexuelle, valeurs, croyances, personnalités, comportements ou encore le statut de l’individu dans l’organisation) » (2007, p.235).

Au regard des critères prioritairement retenus dans cette étude sur les manuels scolaires, notre regard sur la gestion de la diversité portera surtout sur le le cas des femmes, des minorités visibles, des personnes en situation de handicap, des personnes homosexuelles et des seniors.

11.1.2. La gestion de la diversité et les programmes de lutte pour l’égalité

La notion de gestion de la diversité est une préoccupation récente et les publications qui lui sont consacrées sont déjà nombreuses. Sa conception n’est pas encore très bien stabilisée dans la littérature mais la plupart des auteurs situent l’émergence de cette notion dans les années 90 aux Etats-Unis en réaction aux limites des programmes d’égalité professionnelle qui n’avaient pas apportés les résultats escomptés (Bender, 2007 ; Edelman, L. et Fuller, S. , 2001 ; Kelly et Dobbin, 1998).

La gestion de la diversité tire donc son origine des programmes de lutte contre les discriminations, plus particulièrement dans le domaine de l’accès à l’emploi et à destination des femmes et des minorités visibles. Dans les pays anglo-saxons où de telles mesures ont été prises, Bender rapporte plusieurs travaux justifiant l’intérêt de ces programmes pour redresser numériquement certains déséquilibres dans un premier temps mais conduisant à certaines dérives ou finissant par produire des effets pervers dans la durée. De plus, la plupart de ces programmes cherchent simplement à gommer les différences entre les groupes mais ils n’ont pas l’ambition de changer les comportements ou les représentations des membres des groupes dominants.

La gestion de la diversité s’inscrit dans cette volonté éthique de représentativité des groupes et son émergence est donc due non seulement aux limites des mesures précédentes mais aussi aux intérêts, en particulier économiques, qu’en retirent les entreprises. En revanche, elle peut dans certains cas n'être qu'une coquille vide ou

encore renforcer les stéréotypes et les conflits intergroupes. Pour toutes ces raisons, Bender préconise des approches mixtes, où les politiques de gestion de la diversité ne perdent pas de vue la notion d’égalité. Dans tous les cas, leur mise en place nécessite une forte implication de l’organisation et un suivi de ces mesures dans le temps.

11.1.3. Les intérêts de la gestion de la diversité

Ely et Thomas (1996, 2001) ont identifié trois raisons conduisant les entreprises à s’intéresser à la gestion de la diversité :

- un intérêt juridique de mise en conformité

- un intérêt économique associé à la dimension commerciale

- un intérêt stratégique en termes de ressources humaines tourné vers la recherche de performance

Le régime libéral dont bénéficie depuis plus d’un siècle l’édition scolaire française (Choppin, 1992) conduit à identifier les maisons d’édition comme des entreprises à part entière où la question de la gestion de la diversité mérite d’être posée surtout dans le contexte de cette étude. Elles peuvent, comme le précisent Ely et Thomas, se sentir concernées pour se conformer aux lois antidiscriminatoires en termes de gestion du personnel. Plus directement en lien avec notre objet d’étude, elles peuvent aussi s’y intéresser au regard des prescriptions exigées par les programmes scolaires et les décrets en vigueur explicitement tournés vers les notions de diversité, d’égalité ou encore de discrimination. Cependant, au regard du niveau de contrainte actuel des contenus des programmes et des décrets en vigueur, en matière de non discrimination, d’égalité des chances ou encore de diversité, l’intérêt juridique reste faible dès lors que l'on s’éloigne de la conception des manuels d’éducation, civique, juridique et sociale. De ce point de vue, le niveau actuel d'exigences en termes juridiques ne semble donc pas une raison susceptible d’amener les éditeurs à se soucier davantage de la diversité dans les manuels scolaires.

En revanche, les éditeurs peuvent s’intéresser à la gestion de la diversité en cherchant à s’adresser, pour chaque ouvrage, à la diversité des utilisateurs de manuels scolaires. Cette conception nous rapproche de sa dimension commerciale décrite par Barth (2007) dans le cadre des forces de vente. Dans cette perspective, la gestion de la diversité peut prendre différentes formes le long d’un continuum défini par deux situations extrêmes :

- la diversité est introduite de façon superficielle et uniquement à des fins marketing, - dans le cadre du marketing communautaire, la diversité se limite à la prise en compte de groupes très ciblés.

Les manuels scolaires sont conçus pour être utilisés par un public très ciblé en termes de profession et d’âge (des enseignants et des élèves) mais la diversité dont ces ouvrages sont porteurs dépasse ces deux critères. Les éditeurs peuvent donc rechercher entre ces deux positions à commercialiser un produit unique (à titre d’exemple, le manuel de mathématiques de la troisième doit s’adresser à tous les élèves des établissements scolaires français) dans le plus grand respect de la

diversité du territoire national et des sociétés actuelles. Dans ce cas de figure, la sensibilité des enseignants à l’égard de cette question, au regard des autres critères de choix à partir desquels ils décident d’un ouvrage pour leurs classes, serait alors déterminante d’un point de vue économique pour les maisons d’édition.

Le troisième intérêt affecte plus directement, en profondeur et dans la durée l’ensemble de l’organisation en vue de la rendre plus performante. Les travaux en gestion de la diversité décrivent alors des pratiques en ressources humaines (recrutement, intégration, évaluation, rémunération, formation, gestion des carrières, environnement de travail) visant à diversifier la main d’œuvre. Cependant, dans le cadre particulier de ce travail sur les mécanismes pouvant conduire les éditeurs à produire des stéréotypes dans les manuels scolaires, la commande qui nous a été fixée ne porte pas sur une analyse organisationnelle des maisons d’édition. Il s’agit de proposer, au regard de la spécificité de l’édition des manuels scolaires, des pistes de réflexion susceptibles d’aider ces entreprises à concevoir des produits où la représentation de la diversité est irréprochable. Par conséquent, la diversité de la main d’œuvre dont il est question ici concerne l’ensemble des acteurs qui interviennent dans la conception des manuels scolaires, le personnel de la maison d’édition en charge de la réalisation du manuel mais également les auteurs retenus pour chaque ouvrage. La diversité dont ils sont porteurs et leur niveau d’expertise dans ce domaine affectera la façon dont la diversité sera représentée dans les manuels scolaires. Il convient donc de s’intéresser à ces acteurs.

11.1.4. Politiques de gestion de la diversité dans la conception des manuels scolaires

La prise en compte de la diversité tout au long de la chaîne des acteurs impliqués dans la conception des manuels scolaires peut être observée à partir des politiques de gestion de la diversité mises en œuvre dans les maisons d’édition. Contrairement à d’autres secteurs d’activités, celui de l’édition scolaire pourrait être plus réservé ou se sentir moins concerné par la gestion de la diversité. En effet, comparativement aux sites Internet des grandes entreprises européennes (Point, 2007, op. cit.) qui communiquent sur leur conception de la diversité, les pages de présentation des principaux éditeurs français de manuels scolaires211 n’évoquent pas ce terme (ni celui de discrimination, de stéréotype ou encore d’égalité). La spécificité de l’édition des manuels scolaires, comparativement à d’autres secteurs de l’économie, serait-elle une raison suffisante pour écarter les maisons d’édition des intérêts des politiques de gestion de la diversité ? La conception des manuels scolaires ne peut-elle pas tirer des avantages d’une mise en œuvre des politiques de gestion de la diversité en vue d’éradiquer les stéréotypes des manuels scolaires ? Les éditeurs ne peuvent-ils pas s’inspirer des dispositifs et des outils développés en gestion de la diversité pour les aider dans cette tâche ?

211 La liste de ces éditeurs est celle des responsables des maisons d’édition contactés dans le cadre de l’enquête décrite plus loin. Les sites de ces maisons d’édition ont été consultés en juillet

Pour répondre à ces questions, nous nous sommes inspirés de réflexions issues de certaines entreprises appliquant des politiques de gestion de la diversité que nous avons adapté à la spécificité de l’édition des manuels scolaires en France. Le tableau ci-dessous constitue la réponse théorique à ces interrogations. Il sera confronté à la réalité du quotidien des maisons d’édition grâce à l’enquête réalisée auprès de plusieurs responsables d’édition. Il constitue une adaptation du schéma proposé par la revue IMS-entreprendre (décembre 2004) à destination des entreprises afin de les inviter à favoriser la diversité.

Tableau 11.1.4 : Politiques de gestion de la diversité dans la conception des manuels scolaires.

Ce tableau propose des stades de développement permettant aux maisons d’édition qui se reconnaissent dans les strates inférieures, de passer d’une attitude défensive à l’égard de la prise en compte de l’éradication des stéréotypes et du traitement de la discrimination dans les manuels scolaires, à une attitude proactive tournée vers la gestion de la diversité. Nous avons imaginé ici quelques exemples afin d’illustrer ces différents stades. Les entretiens vont nous aider à positionner les discours des responsables d’édition dans ce tableau afin de vérifier la pertinence de cette proposition, en vue des recommandations à faire aux éditeurs.

11.2. M ÉTHODOLOGIE : LE DÉROULEMENT DE