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7. Synthèse et perspectives

7.3 Conscientisation à l’égard de l’exposition à la radiation

Nos travaux nous ont également permis de constater que les patients et les hémodynamiciens étaient peu sensibilisés à la question de l’exposition à la radiation. De concert avec l’acquisition et le maintien des compétences de l’hémodynamicien avec l’approche transradiale, il faut soutenir la formation et favoriser une prise de conscience à ce sujet (97). Il est de la responsabilité des médecins de diminuer le risque d’effets néfastes attribuable à la radiation pour le patient, le reste du personnel médical et eux-mêmes (38, 181). Une formation de base en physique des radiations et en radioprotection a donc été incorporée au cursus de la formation complémentaire en cardiologie interventionnelle et fait d’ailleurs partie des sujets évalués lors des examens nationaux de fin de spécialisation (234).

Outre cette formation de base, une formation continue est également nécessaire pour améliorer la conscientisation des hémodynamiciens à la question de l’exposition à la radiation. Une étude a d’ailleurs observé les retombées concrètes d’un programme de réduction des doses basé sur la formation en radioprotection en mesurant différents marqueurs de l’exposition à la radiation avant et deux ans après l’instauration du programme (235). Ce dernier comprenait deux jours de formation en radioprotection ainsi que différentes recommandations (p. ex. diminution de la cadence d’images, utilisation d’une collimation maximale). Deux ans après la tenue de cette formation, les auteurs ont observé une réduction significative de 50% du produit dose-surface lors des coronarographies (53 [33-84] Gy cm2

vs 21 [14-32] Gy cm2; p < 0,0001) et des angioplasties (125 [78-184] Gy cm2 vs 44 [27-66]

Gy cm2; p < 0,0001). La prise de conscience à l’égard de l’exposition à la radiation est donc

une mesure simple, économique et efficace permettant d’avoir un impact significatif à court terme sur l’exposition.

D’autres auteurs ont plutôt étudié l’effet d’une « sensibilisation en continu » sur la dose des patients et des hémodynamiciens (236). Dans leur étude, Christopoulos et al. ont comparé deux groupes d’hémodynamiciens, l’un portant des dosimètres ayant la capacité d’émettre des sons et l’autre, des dosimètres usuels. Les dosimètres du premier groupe étaient calibrés pour émettre un signal sonore au-delà d’une certaine dose de radiation. Suite à l’implantation de

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cette mesure, les auteurs ont observé une réduction d’environ 30% de l’exposition des hémodynamiciens, sans toutefois observer de réduction statistiquement significative dans l’exposition des patients. Néanmoins, il s’agit d’une avenue intéressante pour le développement de mesures dédiées à l’optimisation de l’exposition des patients.

La sensibilisation passe aussi par l’éducation du patient à propos des risques attribuables à l’exposition à la radiation. Bien entendu, il serait impensable de discuter systématiquement des risques dès qu’une procédure ou qu’un acte diagnostique implique des rayons X (p. ex. radiographie pulmonaire), d’autant que le risque qui leur est associé est souvent négligeable. Certains auteurs ont donc proposé un seuil d’exposition de 1 mSv pour discuter des risques avec le patient, soit une dose correspondant à un risque de cancer de 1 : 10 000 (237, 238). Ainsi, puisque les interventions coronariennes percutanées génèrent en moyenne une exposition de 7 mSv pour une coronarographie et de 15 mSv pour une angioplastie, les risques devraient généralement être abordés avec les patients lors de l’obtention du consentement à la procédure (20, 237). Or, la terminologie employée pour discuter de l’exposition à la radiation est technique et spécialisée. Les patients ainsi que plusieurs médecins ne la comprennent pas et ne sont donc pas conscients de l’ampleur des risques auxquels l’utilisation de la radiation les expose (20). Lors d’une discussion portant sur les risques attribuables à l’exposition à la radiation, les hémodynamiciens pourraient comparer le risque à l’exposition naturelle annuelle (237) et utiliser une terminologie plus simple, telle que suggérée dans le tableau 7.2. Enfin, il convient de mettre les risques abordés en perspective des autres examens auxquels le patient peut être exposé (Figure 7.2), mais aussi en fonction du risque à vie de développer un cancer fatal, qui avoisine les 25% dans la population générale (239) et de 35% à 50% chez les patients de plus de 60 ans (55).

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Tableau 7.2 Terminologie à utiliser pour communiquer le risque attribuable à une exposition à la radiation

RCR : Royal College of Radiology. Adapté de (20, 237, 240). Examen Dose efficace (mSv) Nombre de radiographies équivalentes Risque de cancer fatal et non fatal additionnel à vie Temps équivalent à l’exposition naturelle Terme de quantification du risque Pictogramme RCR Radiographie < 0,1 1 1 : 1 000 000 3 jours Négligeable ⚛

Coronarographie 5-10 350 1 : 5000 à 1 : 1000 3 ans Faible ⚛⚛⚛ Angioplastie 10-100 750 1 : 1000 à 1 : 100 7 ans Faible ⚛⚛⚛⚛

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Figure 7.3 Comparaison du risque de cancer supplémentaire attribuable à l’exposition à la radiation selon différents examens radiologiques

161 7.3.1 Suivi des patients

Enfin, au-delà de la communication des risques, nos travaux nous ont permis d’identifier un besoin de développement d’outils pour suivre les patients suite à une exposition à la radiation, particulièrement si celle-ci est importante. À cet effet, la Société canadienne de cardiologie (SCC) recommande de mettre en place une plateforme pour suivre les doses de radiation des patients à travers le Canada (38). En effet, si un suivi est effectué par Santé Canada pour les travailleurs exposés à la radiation, aucun suivi systématique n’est prévu pour les patients. Cette plateforme pourrait prendre la forme d’un registre national dans lequel seraient automatiquement inscrits les patients exposés à la radiation dans un cadre médical, que ce soit à des fins diagnostiques ou thérapeutiques. Idéalement, l’exposition devrait être quantifiée, mais le type de procédures devrait minimalement figurer au registre afin de pouvoir effectuer un suivi longitudinal permettant d’estimer le risque cumulatif d’effets secondaires indésirables. Selon plusieurs organisations chargées de la radioprotection (FDA, IAEA, OMS), un tel registre répondrait à plusieurs objectifs (241) :

• suivre les patients à risque de développer des effets secondaires; • supporter le processus de justification avec des données probantes;

• supporter le processus d’optimisation avec l’adoption de niveaux de référence diagnostiques basés sur les données probantes;

• générer de l’information sur les risques attribuables à l’exposition à la radiation; • créer un outil de recherche.

Cette initiative est d’ailleurs supportée par un groupe de chercheurs québécois qui a suivi pendant trois ans plus de 100 000 patients après un infarctus du myocarde via une base de données de la Régie de l’assurance maladie du Québec afin d’estimer leur risque de cancer attribuable aux investigations radiologiques répétées entourant leur événement cardiovasculaire (242). Ces auteurs recommandaient qu’un registre national soit mis en place, particulièrement dans le contexte où on n’envisage pas de réduction de l’exposition à court terme en raison de la complexité croissante des procédures réalisées chez des patients présentant de plus en plus de comorbidités (22).

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Plutôt que de suivre tous les patients exposés à la radiation, une approche efficiente prioriserait le suivi des patients ayant été exposés à une dose importante. À cet effet, certains auteurs suggèrent l’utilisation de seuils fixés à 60 minutes d’utilisation du mode fluoroscopique d’acquisition d’image et à 500 Gy cm2 pour dépister les patients à risque nécessitant un suivi

(188, 243). L’utilisation des niveaux de référence diagnostiques locaux pourrait aussi être bénéfique pour identifier les patients s’éloignant de la médiane des doses enregistrées dans un centre.

Parallèlement au suivi des patients via un registre, d’autres marqueurs indirects pourraient être utilisés pour assurer le suivi des patients à risque, notamment grâce aux progrès réalisés dans l’étude des marqueurs biologiques. On sait que les rayons ionisants laissent des traces au niveau cellulaire sous la forme de bris de la double hélice d’ADN et d’aberrations chromosomiques (cf. section 1.3.3). Or, des auteurs ont observé près de deux fois plus d’aberrations chromosomiques dans les lymphocytes circulants chez une cohorte de 31 hémodynamiciens comparativement à 32 contrôles non exposés à la radiation et apparentés pour l’âge et le sexe (244). Ces marqueurs biologiques potentiels pourraient éventuellement servir d’indicateurs indirects du risque de cancer ainsi que du développement de la carcinogénèse (245). Il serait intéressant de transposer cette expérience chez des patients exposés aux rayons X afin de valider la pertinence de ces marqueurs dans leur suivi (15). Il s’agit d’une perspective particulièrement intéressante dans le contexte d’une médecine ambulatoire telle que pratiquée dans le système de santé québécois afin d’assurer le suivi de patients demeurant en région suite à leur épisode de soins en centre urbain.