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2 Les connaissances pr´ e-r´ efl´ echies

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 67-76)

ecrit ou oralement. Les connaissances «implicites» sont«’explicitables’, mais pas encore ex-plicit´ees» (Ermine 2000)(Wilson 2002). Les connaissances «tacites», enfin, ne sont pas «ex-plicitables» (Ermine 2000). On peut n´eanmoins s’interroger sur la pertinence de la distinction entre tacite et implicite. Existe-t-il r´eellement des connaissances«non explicitables» ? Si oui, quelle serait la propri´et´e de ces connaissances qui ferait que, par nature, elles ne pourraient pas ˆetre explicit´ees ? Le fait que certaines connaissances a priori tacites peuvent en r´ealit´e ˆ

etre explicit´ees remet en cause, si ce n’est l’id´ee que certaines connaissances ne peuvent ˆetre explicit´ees, au moins l’id´ee que nous avons une id´ee claire de ce en quoi elles consisteraient (voir section 2.4, p. 98).

1.7 Axe de la conscientisation (r´efl´echi/pr´e-r´efl´echi/inconscient)

L’axe de l’´enonciation ne doit pas ˆetre confondu avec celui de la conscientisation, qui concerne l’acc`es `a ses propres connaissances par le sujet. Une connaissance non ´enonc´ee peut ˆetre soit consciente, soit non consciente. Nous distinguons plus pr´ecis´ement trois niveaux de conscien-tisation. Les connaissances «r´efl´echies», d’abord, sont enti`erement conscientes. Les connais-sances«pr´e-r´efl´echies», ensuite, ne sont pas conscientes mais peuvent le devenir. Les connais-sances«inconscientes», enfin, ne sont pas conscientes et ne peuvent pas le devenir.14

Nous nous int´eressons pour notre part aux connaissances implicites et pr´e-r´efl´echies,

c’est-`

a-dire aux connaissances qui non seulement ne sont pas ´enonc´ees mais en plus ne sont pas conscientes `a moins d’un accompagnement m´ethodique (voir figure 1, p. 17). Nous consacrons la section suivante `a la question des connaissances pr´e-r´efl´echies, centrale pour notre sujet.

2 Les connaissances pr´ e-r´ efl´ echies

L’id´ee selon laquelle il existerait des connaissances difficiles `a conscientiser est abord´ee par de nombreuses disciplines et ´evoqu´ee `a travers d’aussi nombreuses notions («tacite», «impli-cite»,«pr´e-r´efl´echi»,«conscience directe»,«exp´erience imm´ediate»,«savoir cach´e», ou encore

«conscience ph´enom´enale»). Dans cette section, nous tentons de cerner la r´ealit´e cognitive commune d´esign´ee par ces diff´erentes notions en abordant successivement les points de vue

13Ce r´esultat a ´et´e obtenu ind´ependamment de la litt´erature sur le sujet puisque nous n’en avions pas connaissance au d´ebut de notre recherche.

14La question pos´ee au sujet de la distinction entre tacite et implicite dans le paragraphe pr´ec´edent peut aussi ˆetre pos´ee au sujet de la distinction entre pr´e-r´efl´echi et inconscient.

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de la philosophie et de la psychologie, de la sociologie, de l’ergonomie et enfin, de la gestion des connaissances.

2.1 Points de vue de la philosophie et de la psychologie

Pour deux raisons, nous pr´esentons conjointement les points de vue de la psychologie et de la philosophie. Tout d’abord, la psychologie ´etant `a l’origine indistincte de la philosophie, de nombreux auteurs pass´es sont `a la fois philosophes et psychologues (c’est par exemple le cas de William James). Ensuite, nous consid´erons que les apports de ces deux disciplines sur la question du pr´e-r´efl´echi sont similaires. En effet, toutes deux proposent des th`eses dont nous consid´erons qu’elles contribuent `a fonder l’id´ee de l’existence de connaissances pr´e-r´efl´echies.

Ces th`eses sont : que l’efficacit´e de nos processus cognitifs n’est en rien proportionnelle `a la conscience que nous en avons, que le pr´e-r´efl´echi est n´ecessaire `a notre fonctionnement cognitif, qu’il existe plusieurs degr´es de conscience, l’une directe, l’autre r´efl´echie, et que la connaissance est corporellement ancr´ee.15

• Le d´ecalage entre efficacit´e et conscience des processus cognitifs

Lorsque l’on demande `a quelqu’un de d´etailler la fa¸con dont il proc`ede pr´ecis´ement pour mener une activit´e dont il a l’habitude et la maˆıtrise, comme la marche, la conduite automo-bile ou encore le jeu d’´echecs, il se retrouve tr`es vite devant l’impression qu’il n’a rien `a en dire. Car bien que nous pensions spontan´ement avoir pleine connaissance de ce qui se passe `a l’int´erieur de nous, nous n’acc´edons en r´ealit´e qu’`a une part infime de l’exp´erience subjective qui accompagne nos actes et des connaissances qui les guident. Mais la nature non consciente de nos actes n’entrave en rien leur efficacit´e.

Les observations men´ees par Piaget (1974) aupr`es de jeunes enfants montrent que non seulement nous ne connaissons pas les strat´egies d’action que nous mettons pourtant en oeuvre avec succ`es, mais qu’en plus, nous avons souvent une fausse repr´esentation de ces strat´egies. Les enfants interrog´es par Piaget sur la fa¸con dont ils s’y prennent pour marcher

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a quatre pattes d´ecrivent pour la plupart leur m´ethode selon un sch´ema en Z16 ou en N17 alors que tous suivent en r´ealit´e un sch´ema en X.18Les r´eponses recueillies aupr`es de certains adultes pourtant instruits ne sont pas toujours plus r´ealistes que celle des enfants.

Selon Dreyfus (1992), le degr´e d’expertise d’un sujet est mˆeme inversement proportionnel au niveau de conscience qu’il en a. Le philosophe identifie cinq niveaux de comp´etence dans l’acquisition d’un savoir-faire, allant de celui de «novice» `a celui d’«expert». Si le novice suit consciemment des r`egles pour agir, l’expert se laisse guider quasiment exclusivement par

15Nous ne nous attardons pas sur les apports sp´ecifiques de la psychanalyse pour notre sujet. Car le rap-prochement de la notion de«pr´e-r´efl´echi» avec les topiques freudiennes (inconscient/pr´econscient/conscient ;

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ca/moi/surmoi) n’est pas ´evidente : tandis que la premi`ere est cognitive, les secondes sont affectives. On peut proposer, comme Lechevalier et Lechevalier (2007), de rapprocher la notion d’«inconscient cognitif» de celle de «pr´e-conscient», laquelle d´esigne une zone psychique interm´ediaire entre conscient et inconscient. Mais, d’une part, la notion d’«inconscient cognitif», qui rel`eve des neurosciences, ne doit pas ˆetre confondue avec celle de«pr´e-r´efl´echi»; d’autre part, la tentative de ces auteurs d’´etablir un pont entre l’«inconscient cognitif»

et les travaux de la psychanalyse nous semblant peu probante, nous n’avons pas approfondi nos recherches dans ce sens.

16Une main puis l’autre, un pied puis l’autre.

17Une main puis le pied du mˆeme cˆot´e, l’autre main puis l’autre pied.

18Une main puis le pied oppos´e, le second pied puis la main oppos´ee.

son intuition, laquelle lui permet de prendre en compte l’immense quantit´e de cas particuliers auxquels il a ´et´e confront´e au cours de son exp´erience. L’exp´erience men´ee par l’auteur avec un maˆıtre des ´echecs montre que cette observation est vraie quelle que soit la teneur intellectuelle du savoir-faire en question : occup´e `a r´epondre `a des probl`emes de calcul mental pos´es par l’exp´erimentateur, l’expert conserve la quasi-totalit´e de sa performance sans avoir besoin d’«analyse et de comparaison des voies possibles».19

«L’expert r´eagit `a chaque situation au coup par coup d’une mani`ere qui lui a r´eussi dans le pass´e, il apparaˆıtra qu’il atteint ses anciens objectifs sans jamais avoir eu besoin de les visualiser consciemment ou inconsciemment.» (Dreyfus 1992) p. 459

• La fonction cognitive du pr´e-r´efl´echi

A travers la notion de«tacit knowledge» (voir aussi p. 26), Polanyi (1962), (2009) insiste sur l’id´ee selon laquelle il existe une connaissance tacite `a la source de tout processus cognitif, que ce processus soit d’ordre technique ou scientifique, manuel ou intellectuel. Plus pr´ecis´ement, parmi les informations que nous manipulons pour agir, nous n’aurions acc`es qu’`a celles dont la conscience est utile pour guider notre action. Par exemple, lorsque l’artisan enfonce un clou, il ressent la pression du marteau dans sa paume, ce qui lui permet d’´evaluer la pression exerc´ee par le marteau sur le clou. Mais il n’a pas conscience de cette pression car seul le clou l’int´eresse. Tandis qu’il se focalise sur le clou, en a une «conscience centrale»(«focal awareness»), il ne s’int´eresse au marteau qu’en tant qu’il le renseigne sur la pression exerc´ee sur le clou. Autrement dit, il n’a de la sensation de pression provoqu´ee par le marteau dans sa paume qu’une«conscience secondaire» («subsidiary awareness»), tacite et incorpor´ee. Le marteau est comme «une extension de son ´equipement corporel».20 Autrement dit, il ap-paraˆıt que la nature non consciente de certains ´el´ements de notre exp´erience fait partie du m´ecanisme mˆeme de la connaissance et de la diff´erence fonctionnelle des informations que nous traitons pour agir.

Dans le mˆeme ordre d’id´ees, les recherches de la psychologie exp´erimentale t´emoignent en faveur de la th`ese selon laquelle la nature pr´e-r´efl´echie de certaines de nos connaissances permet d’all´eger la charge mentale du sujet `a travers la notion d’«automatisme cognitif»

(Perruchet 1988a), (Perruchet 1988b), (Camus 1988). L’acc`es au lexique dans la lecture est un exemple de processus dit «automatique». Les principales caract´eristiques d’un automa-tisme cognitif sont de se r´ealiser sans monopoliser la charge mentale du sujet, lequel peut parall`element r´ealiser une autre tˆache ; sans contrˆole intentionnel, c’est-`a-dire sans que la volont´e du sujet ne puisse ni d´eclencher ni interrompre la r´ealisation de l’automatisme ; sans conscience ;21 avec une grande rapidit´e ; et enfin, sans interf´erence avec des alt´erateurs de l’attention comme l’alcool. L’id´ee d’automaticit´e est li´ee `a la th´eorie de la modularit´e de l’esprit selon laquelle pour r´ealiser des tˆaches complexes, le sujet fractionne ses processus cognitifs en modules ind´ependants et automatiques, ce qui lui permet de ne pas surcharger son attention, consacr´ee aux processus sup´erieurs de d´ecision (Segui et Beauvillain 1988).

En bref, le caract`ere non conscient de certains processus cognitifs semble avoir pour fonction d’´economiser le champ limit´e de notre attention.

19(Dreyfus 1992), p. 459.

20(Polanyi 1962), p.Vii, traduction de l’auteur.

21Ce crit`ere est toutefois refus´e par certains psychologues qui consid`erent que l’incapacit´e dans laquelle se trouve un sujet de d´ecrire son activit´e apr`es coup ne signifie pas qu’il l’a r´ealis´ee sans conscience.

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• Conscience directe et conscience r´efl´echie

Nous avons compris le caract`ere non imm´ediatement conscient d’une grande part de nos processus cognitifs. Ajoutons maintenant que ce caract`ere ne doit pas ˆetre compris comme un inconscient d´efinitif. Car le champ de notre conscience ne se r´eduit pas `a son point focal.

Plusieurs auteurs, dont certains ont ´et´e mentionn´es dans les paragraphes pr´ec´edents, insistent en effet sur l’existence d’un niveau de conscience qui fait partie de notre exp´erience v´ecue et intervient dans nos processus cognitifs tout en restant `a premi`ere vue invisible.

L’existence d’un niveau de conscience qui reste le plus souvent inaper¸cu par le sujet a ´et´e mis en ´evidence par James (2003) `a travers la notion de «connaissance par familiarit´e». Ce type de connaissance nous est donn´ee par les sensations pures, c’est-`a-dire par«les r´esultats imm´ediatssur la conscience des courants nerveux tels qu’ils p´en`etrent dans le cerveau, avant qu’ils aient ´eveill´e aucune suggestion ou association li´ee `a l’exp´erience pass´ee.»22 Mais cette connaissance, de l’ordre de la simple mise en contact avec l’objet pr´esent, est constamment re-lay´ee par un autre degr´e de connaissance avec laquelle elle se confond presque imm´ediatement : la«perception». Au quotidien, un adulte23 n’est jamais sensible `a ses pures sensations : aus-sitˆot qu’il sent un objet, il le nomme, le cat´egorise, ou encore le compare, et donc le«per¸coit».

La distinction faite par James entre la connaissance imm´ediate des objets et leur connais-sance intellectualis´ee ´evoque celle que fait Block (1995) entre «conscience ph´enom´enale»

(exp´erience qualitative, priv´ee et non-communicable) et«conscience d’acc`es» (repr´esentation utilisable pour le raisonnement et le contrˆole de l’action) ; ou encore celle que Polanyi ´etablit entre «conscience secondaire» et«conscience centrale» (voir paragraphe pr´ec´edent).

Mais c’est probablement la distinction entre «conscience pr´e-r´efl´echie» (ou «directe», ou encore «en acte») et «conscience r´efl´echie» (Husserl 2001), (Vermersch 2000) qui d´ecrit le plus pr´ecis´ement d’un point de vue ph´enom´enologique la distinction entre deux niveaux de conscience, l’une premi`ere, brute, non communicable, occupant le second plan de l’atten-tion, et l’autre seconde, r´esultant d’une construction cognitive, communicable et occupant le premier plan de l’attention (d’o`u notre pr´ef´erence pour le terme «pr´e-r´efl´echi» par rapport aux autres termes susceptibles de qualifier des connaissances encore non conscientes mais qui peuvent le devenir). La «conscience directe» comprend toutes les perceptions, sensations et sentiments qui composent le v´ecu du sujet `a un instant donn´e. La «conscience r´efl´echie»

correspond au v´ecu en tant qu’il est «regard´e» et verbalis´e par le sujet. Par exemple, au moment mˆeme o`u je r´edige ce texte, j’entends par intermittence le bruit des travaux dans la cour, je sens le dossier de ma chaise exercer une pression dans le milieu de mon dos, je vois des dossiers multicolores empil´es `a la p´eriph´erie gauche de mon champ de vision. Avant de porter mon attention sur ces sensations et d’en rendre compte par des mots, je n’en avais qu’une conscience pr´e-r´efl´echie, `a pr´esent j’en ai une conscience r´efl´echie. Ci-dessous la d´efinition exacte que donne Vermersch (2001) de la notion de«pr´e-r´efl´echi », en s’appuyant notamment sur les recherches de Husserl (2001) et Piaget (1974) :

«Ce concept d´ecrit `a la fois un mode de la conscience, qui est ante pr´edicatif (dont le

22(James 2003), p.54.

23Selon James, seul le nourrisson peut ressentir des sensations pures.

langage est absent pour nommer le contenu de l’exp´erience), qui est simple conscience du monde au sein de l’action, et d’un second point de vue comme non encore r´efl´echi, dont il reste `a op´erer la prise de conscience et qui ne rel`eve pas encore de la conscience r´efl´echie, qui est conscience d’elle-mˆeme en mˆeme temps qu’elle est conscience du monde.»(Vermersch 2001), p. 210

Vermersch (2000) insiste sur le fait que le passage de la conscience directe `a la conscience r´efl´echie n’est pas automatique et requiert une activit´e de r´efl´echissement, laquelle peut ˆetre facilit´ee par certaines techniques d’entretien. Nous reviendrons sur ces techniques `a la p. 98.

• L’ancrage corporel de la connaissance

La plupart des auteurs qui s’int´eressent `a la dimension pr´e-r´efl´echie des connaissances in-sistent sur la dimension corporelle de l’exp´erience v´ecue et sur le rˆole des sensations dans les processus cognitifs. Car les connaissances pr´e-r´efl´echies `a la source d’un savoir-faire se manifestent en grande partie sous la forme de sensations physiques.

Selon James (2003), il y a une sensation `a l’origine de chacun de nos sentiments, chacune de nos pens´ees, chacun de nos actes. Cette th`ese va `a l’encontre du sens commun : contrairement `a ce que l’on croit, nous ne tremblons pas parce que nous sommes effray´es mais sommes effray´es parce que nous tremblons.

«(...) Chaque fois que je tente de ressentir ma pens´ee en activit´e, ce que je parviens `a saisir est un fait corporel, une impression qui me vient du front, de la tˆete, de la gorge ou du nez.»(James 2003), p. 433.

Gendlin (1992) conceptualise l’id´ee d’une implication originelle et ´etroite du corps dans notre rapport au monde avec la notion de «sens corporel» («body-sense»). 24 Selon le philosophe, le «sens corporel» permet au sujet de se situer au sein de son environnement, d’interagir avec une situation. «It is the body’s way of living its situation».25 Ce sens ne se r´eduit pas

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a une addition de sensations. Il consiste en un sentiment global qui permet `a chaque instant de savoir qui nous sommes et ce que nous faisons, d’avoir des intentions et d’envisager des actions possibles. Gendlin (1992) illustre le sens corporel par le sentiment que nous pouvons avoir d’ˆetre suivi, la nuit, par un groupe d’hommes dans la rue. Nous ne pouvons ni voir, ni toucher le groupe qui se situe derri`ere nous. Mais nous ´eprouvons le sentiment de leur pr´esence

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a travers l’espoir de ne pas ˆetre suivi, le sentiment d’ˆetre en danger, ou encore le besoin de marcher plus vite. Le corps, dot´e du sens corporel, contient un grand nombre d’informations implicites, «not (or not yet) capable of being phrased», qui nous permettent de prendre des d´ecisions complexes.

L’id´ee que la connaissance n’a de r´ealit´e qu’en tant qu’elle est poss´ed´ee par un sujet fon-damentalement incarn´e, situ´e et agissant se trouve aussi au fondement de la th´eorie de l’enaction (Varela et Maturana 1992), (Varela et al. 1993), (Varela 1996a) (voir aussi p.

65). En s’inspirant du mod`ele biologique pour comprendre la connaissance, Varela aboutit `a

24Le sens corporel pr´ec´ederait non seulement le langage mais aussi le ph´enom`ene de la «perception» lui-mˆeme. Gendlin (1992) consid`ere que la perception comprise comme interaction avec le monde `a travers les cinq sens que sont la vue, le toucher ou encore l’ou¨ıe, ne peut ˆetre premi`ere. La perception contient d´ej`a l’id´ee construite d’une s´eparation entre le sujet et son environnement alors que le sens corporel renvoie `a l’id´ee de leur indistinction fondamentale.

25(Gendlin 1992), p.344.

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une conception de la cognition comme «action incarn´ee (embodied action)»,26 c’est-`a-dire comme ph´enom`ene inscrit dans les interactions permanentes que le sujet entretient avec son environnement, par lesquelles ces deux r´ealit´es se co-constituent.

«(...) La connaissance d´epend d’un monde ins´eparable de nos corps, de notre langage et de notre histoire corporelle - bref, de notre corpor´eit´e.»(Varela et al. 1993), p.210.

La reconnaissance de l’ancrage corporel de la cognition est capitale pour la question du recueil des connaissances pr´e-r´efl´echies. Si les processus cognitifs prennent leur source dans la dimension incarn´ee du sujet, nous avons alors besoin d’une m´ethode de recueil qui connecte les experts27 avec une situation pr´ecise et leurs sensations (voir p. 98).

2.2 Point de vue de la sociologie

Nous l’avons ´evoqu´e `a la p. 62, certains sociologues soulignent le caract`ere implicite de la plupart des connaissances qui r´egissent les pratiques sociales des individus.

Nous faisons ici r´ef´erence aux notions d’«allant de soi» (Garfinkel 2007) et d’«habitus»

(Bourdieu 2000). 28 Les «allants de soi» sont des sortes d’«attentes d’arri`ere-plan» que les membres d’une collectivit´e ont vis-`a-vis du comportement des autres. Tant que le cours ha-bituel des choses n’est pas perturb´e, ces attentes sont«vues sans qu’on y prˆete attention»29.

«Le membre de la soci´et´e utilise les attentes d’arri`ere-plan comme sch`eme d’interpr´etation.

(...) Si on l’interroge `a leur propos il a peu, sinon rien, `a en dire.»30 Pour faire apparaˆıtre les allants de soi de leur propre famille `a ses ´etudiants, Garfinkel leur a par exemple donn´e la consigne de se comporter avec elle comme un observateur ext´erieur. Les autres membres de la famille, qui n’´etaient ´evidemment pas pr´evenus de l’exercice, ont r´eagi avec confusion, voire

(...) Si on l’interroge `a leur propos il a peu, sinon rien, `a en dire.»30 Pour faire apparaˆıtre les allants de soi de leur propre famille `a ses ´etudiants, Garfinkel leur a par exemple donn´e la consigne de se comporter avec elle comme un observateur ext´erieur. Les autres membres de la famille, qui n’´etaient ´evidemment pas pr´evenus de l’exercice, ont r´eagi avec confusion, voire

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