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Chapitre 2 : Problématique et revue de la littérature

2.1 Maisons semi-souterraines hivernales unifamiliales

2.1.2 Configuration interne des maisons semi-souterraines hivernales unifamiliales

Les maisons hivernales présentent des composantes architecturales majeures pouvant être qualifiées de quasi universelles. Toutefois, cette réalité ne s’applique pas à la disposition des aires d’activités à l’intérieur de ces habitations. Kaplan (1983) émet d’ailleurs ses doutes quant à l’existence d’aires d’activités standardisées communes à l’ensemble des maisons semi-souterraines hivernales. En effet, une variabilité a été observée, au niveau archéologique, dans la configuration

des aires d’activités internes des maisons hivernales, tant pour la culture thuléenne qu’inuite historique. Conséquemment, on ne peut que rapporter ici la présence de tendances au niveau de la disposition des aires d’activités de ces habitations.

2.1.2.1 Tunnel d’entrée

Les maisons semi-souterraines ont un accès unique : le tunnel d’entrée (entrance tunnel), qui était aussi partiellement creusé dans le sol et pavé de pierres plates (Figure 8) (Kaplan, 1983). Généralement situé au seuil d’entrée de la maison, le coupe-froid était un élément architectural ayant pour fonction d’empêcher l’air froid de pénétrer dans la maison (Crantz, 1820; Nansen, 1894; Maxwell, 1985; Dawson, 2001; Dawson et Levy, 2005). Kaplan (1983) soutient que ce dernier était souvent composé d’un linteau de pierre situé à la jonction du tunnel d’entrée et de l’intérieur de la maison.

Le tunnel d’entrée consistait, en premier lieu, en une aire de circulation permettant l’accès à l’intérieur de la maison. On attribue également à cette partie de la maison la fonction d’espace d’entreposage (Patton, 1996; Dawson et Levy, 2006) ainsi que de lieu de rejet des déchets. La présence de restes fauniques dans le tunnel pourrait corroborer cette hypothèse (Farid, 1999). On observe également que certains types de maisons avaient une cuisine ou des alcôves intégrées à l’intérieur du tunnel d’entrée (Gulløv, 1997; Dawson, 2001; Whitridge, 2004). De plus, Stefansson (1913) affirme également que les chiens étaient parfois gardés dans le tunnel d’entrée.

2.1.2.2 Aire de vie

L’intérieur de plusieurs de maisons semi-souterraines hivernales (Figure 8) présentait, de façon générale, un plancher pavé de pierres plates (Maxwell, 1985; Dawson, 2001; Dawson et Levy, 2005). Les données ethnographiques et archéologiques tendent à situer l’aire de cuisine au-devant de la maison, d’un côté ou l’autre de l’entrée. En effet, on y retrouve parfois une concentration d’artefacts, de restes fauniques et de dépôts de charbon et de graisse animale (McCartney, 1977; Maxwell, 1985; Farid, 1999). Certains mentionnent aussi une fonction d’aire d’entreposage (Boas, 1964;

Balikci, 1970; Kaplan, 1983; Woollett, 2003; Kaplan, 2012). Boas (1964) soutient qu’une zone située près de l’entrée servait au rejet des déchets. La présence de caches à l’intérieur de la maison a également été observée (Kaplan, 1983). Comme il a été mentionné auparavant, il est important de garder en tête que la disposition des aires d’activités peut varier d’une maison à l’autre (Kaplan, 1983).

Figure 8 : Plan d’une maison semi-souterraine hivernale unifamiliale groenlandaise

Les données ethnographiques témoignent souvent de la saleté qui régnait sur le plancher. En effet, elles mentionnent que le plancher était couvert de déchets de cuisine et de fragments de peaux (Turner, 1894; Hawkes, 1916; Boas, 1964). On rapporte que ces déchets étaient souvent accumulés dans des coins inoccupés de la maison (souvent près de l’entrée) et que, éventuellement, ces déchets étaient sortis de la maison par le tunnel (Habu et Savelle, 1994) et servaient à nourrir les chiens. Woollett (2003) soutient que le nettoyage du plancher pourrait avoir fait partie de la préparation d’une maison avant son occupation hivernale. En effet, suite à l’enlèvement du toit, les déchets se trouvant sur le plancher auraient été pelletés par-dessus les murs de la maison (Woollett, 2003). Néanmoins, une éventuelle surabondance de déchets, au sein d’une habitation, pouvait mener à son abandon (Boas, 1964; Farid, 1999).

2.1.2.3 Plate-forme arrière

Les maisons étaient pourvues d’une plate-forme arrière (sleeping platform) longeant le mur opposé à l’entrée de la maison (Woollett, 1999; Dawson, 2001; Woollett, 2003; Dawson et Levy, 2005) (Figure 8). Cette plate-forme était surélevée du sol par une structure composée, entre autres, de bois (Hawkes, 1916), de sable, de graviers, de tourbe (Kaplan, 1983) et recouverte de pierres plates (Kaplan, 1983; Levy et Dawson, 2009). Elle était surtout utilisée comme lit et comme banc (Crantz, 1820; Maxwell, 1985; Farid, 1999) et pouvait contenir des espaces d’entreposage intégrés (Whitridge, 2004). Elle était recouverte de peaux ou de brindilles afin de permettre aux occupants d’y dormir (Kaplan, 1983). La famille y dormait avec les pieds en direction du mur de la maison (Nansen, 1894).

Farid (1999) mentionne que le matériel relié à la fabrication d’outils est souvent retrouvé au fond de l’aire de vie, à la base de la plate-forme arrière. Cela pourrait indiquer que la fabrication d’outils était pratiquée alors que les hommes étaient assis sur le rebord de la plate-forme (Farid, 1999). Boas (1964) mentionne que c’est sur la plate-forme qu’étaient laissés les enfants pendant que la mère faisait ses tâches domestiques quotidiennes. Turner (1894) mentionne également que c’est sur la plate-forme que les fillettes jouaient à la poupée. Malgré le fait qu’une culture matérielle miniature associée aux enfants est reconnue par les archéologues, les enfants thuléens et inuits ont été peu étudiés (Park, 2006). Donc, leur place au sein de l’habitation demeure nébuleuse. Les sources

ethnographiques n’identifient pas d’aire réservée au jeu dans la maison. Cela laisse supposer que le jeu prenait place à plusieurs endroits dans la maison.

On suppose également que les occupants de la maison consommaient leurs repas assis au bord de la plate-forme arrière puisqu’on retrouve parfois des rebus alimentaires à sa base (Maxwell, 1985). Nansen (1894) rapporte d’ailleurs que les repas étaient parfois servis dans de grands bols posés sur le plancher, devant les occupants de la maison qui, assis sur la plate-forme, se servaient dans le bol et mangeaient ensemble.

Selon Nansen (1894), les hommes étaient généralement assis sur le rebord de cette plate-forme lorsqu’ils étaient dans la maison. Ils s’y installaient pour socialiser et fabriquer des outils (Balikci, 1970). Ces témoignages viennent corroborer les données archéologiques montrant que les instruments de fabrication d’outils sont souvent retrouvés au pied de la plate-forme arrière. Certaines maisons possédaient également des plates-formes latérales (Nansen, 1894; Boas, 1964; Patton, 1996) servant à s’asseoir, à travailler (Crantz, 1820; Farid, 1999) ou à recevoir les invités (Nansen, 1894).

2.1.2.4 Support de lampe

Les supports de lampe (lampstand) se situaient généralement près des murs et de la plate-forme arrière afin que les femmes puissent entretenir les lampes tout en restant assises sur la plate-forme (Nansen, 1894; Balikci, 1970; Farid, 1999). Kaplan (1983) soutient que les maisons semi- souterraines thuléennes du Labrador ne présentaient souvent qu’une seule lampe en stéatite. Les femmes avaient la tâche de l’entretenir, de s’assurer qu’elle demeurait allumée et d’éviter que sa flamme produise trop de fumée (Dawson, et al., 2007). Cette lampe permettait de chauffer et d’éclairer la maison. Elle servait également à cuisiner et était utilisée pour faire fondre la glace et la neige qui deviendraient l’eau potable (Whitridge, 2004). Des supports étaient parfois suspendus au plafond, au-dessus de la lampe, et étaient utilisés pour faire sécher des vêtements ou suspendre les outils de cuisine (Egede, 1818; Crantz, 1820; Nansen, 1894; Turner, 1894).

Comme les lampes constituaient les sources de lumière principales de la maison, les activités demandant un travail méticuleux étaient pratiquées près des supports de lampe. Des activités aussi minutieuses que la couture, le tannage des peaux et la sculpture devaient être pratiquées à proximité des lampes. Ces diverses activités impliquaient l’utilisation de plusieurs types d’artefacts tels que le

ulu (couteau féminin), les aiguilles (Dawson, et al., 2007), le foret à arc et les contenants à urine en

stéatite. L’urine était effectivement utilisée dans le travail des peaux (Crantz, 1820).

Taylor (1974) mentionne que le travail des peaux avait lieu à la fin de l’automne et impliquait une grande partie de la maisonnée : les hommes préparaient les peaux alors que les femmes en faisaient des vêtements. Dawson et al. (2007) insistent sur le fait que l’activité de couture, qui était pratiquée par les femmes, était très vitale pour le mode de vie inuit. En effet, la compétence des couturières inuites était garante de la qualité des vêtements qui allaient protéger les hommes pendant la chasse.

2.1.2.5 Extérieur de la maison

On retrouvait l’aire de dépotoir (midden) principale d’une maison semi-souterraine hivernale à l’extérieur de la maison, près du tunnel d’entrée (Farid, 1999; Woollett, 2003). L’existence de dépotoirs communautaires a aussi été signalée par Whitridge (1999). On mentionne également la présence de caches ayant une fonction d’entreposage (Park, 1997; Farid, 1999; Whitridge, 1999, 2004). Les embarcations des occupants d’une maison étaient également entreposées à proximité de l’habitation (Crantz, 1820). On peut supposer que les chiens étaient aussi gardés à l’extérieur la majeure partie du temps.

Il va sans dire que des aires d’activités extérieures communes ont existé à proximité des habitations. Whitridge (2004) mentionne d’ailleurs l’existence de structures communautaires, appelées qariyit, dans lesquelles prenaient place des rituels chamaniques ainsi que des performances de danse et de chant. Dans son étude doctorale, portant entre autres sur le site de Qariaraqyuk (Île Somerset), Whitridge (1999, 2004), mentionne la présence de sentiers et d’aires d’activités extérieures. Puisque l’objet de notre projet de recherche ne comprend que l’intérieur de maisons semi-souterraines hivernales, ces dernières ne seront toutefois pas englobées dans notre échantillonnage et nos analyses.

2.1.2.6 Entretien de la maison

Comme il a été mentionné, les maisons semi-souterraines en tourbe étaient occupées uniquement pendant la période hivernale. Elles étaient souvent réoccupées chaque année par le même groupe de personnes. Conséquemment, un entretien annuel devait être réalisé afin de préparer chaque nouvelle occupation de la maison. Woollett (2003) soutient que cet entretien devait comprendre la reconstruction du toit ainsi que le nettoyage des déchets reliés aux occupations antérieures.