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Les conditions structurelles favorisant le tournant créatif local local

Organisation de la thèse

Chapitre 2 : Généalogie du tournant créatif à Detroit

2. Les conditions structurelles favorisant le tournant créatif local local

Nous souhaitons à présent simultanément remonter plus loin dans le temps et élargir le périmètre de notre travail de généalogie. Cela nous permettra de montrer que, si la référence à

la créativité, à l’économie et aux industries créatives est effectivement nouvelle, l’esprit général de la stratégie dans laquelle elle apparaît n’est au contraire nouveau ni localement à

l’échelle des plans de redéveloppement, ni nationalement à l’échelle des politiques urbaines

des villes américaines. Du reste, la stratégie « Road to Renaissance » avec sa proposition de créer un Creative Corridor pour densifier le centre-ville de Detroit est concomitante d’un mouvement démographique supposé de retour d’une population particulière vers les villes

centres observé dans la plupart des métropoles nord-américaines. Nous examinerons d’abord

brièvement ce phénomène et sa résonance dans l’aire métropolitaine de Detroit, puis nous verrons dans quelle mesure l’idée d’un Creative Corridor est l’héritière de plans stratégiques plus anciens, avant de replacer tous ces éléments dans le contexte plus général de l’esprit des

politiques urbaines de redéveloppement économique nord-américaines depuis les années 1980.

2. 1. Le mouvement de retour des jeunes diplômés vers la ville centre

La tendance sociodémographique dont nous souhaitons traiter dans cette section est celle décrite ou supposée en 2002 par Richard Florida dans son ouvrage The Rise of the Creative Class. Nous avons déjà expliqué en introduction que l’ouvrage et la théorie de Richard

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Florida souffrent d’un grand nombre d’imprécisions et que ses préconisations en matière de

politiques publiques d’attraction de la classe créative sont critiquables et ont effectivement été

abondamment critiquées. Pour cette section, la seule question qui nous intéresse est de savoir si oui ou non les villes-centres – par opposition aux suburbs– ont vu leur population croître depuis le début des années 2000 ; et si c’est le cas, est-ce que les caractéristiques démographiques des populations des centres urbains ont évolué dans le sens supposé par Richard Florida ? Le présupposé de sa théorie est en effet que la « classe créative » s’installe

dans des centres-villes (urban core) à forte densité et disposant d’une culture de rue (street level culture) et de nombreux commerces de proximité (Florida, 2002).

2. 1. 1. Le retour des jeunes diplômés dans les centres-villes à l’épreuve des données

La réalité est complexe. Apporter une réponse crédible à cette question requiert une précision quant aux unités géographiques et aux caractéristiques démographiques considérées. Or plusieurs auteurs remarquent que la théorie de la « classe créative » ne se montre précise ni sur le premier ni sur le deuxième critère (Miller, 2009 ; Levine, dans Tremblay et Tremblay (dir.), 2010). Ce que les chiffres du US Census Bureau montrent et qui semble désormais admis par la plupart des experts, c’est que dans les 50 plus grandes métropoles des Etats-Unis, la population des centres urbains ne grandit pas plus rapidement que celle des suburbs. Cependant, il est également vrai que par rapport aux décennies précédentes, la croissance démographique des centres-villes a augmenté, du moins dans les années de l’après-crise, c'est-à-dire jusqu’au milieu des années 2010. En fait, alors que des années 1950 à la fin des années 1990, l’histoire de l’urbanisation américaine est celle de la suburbanisation, depuis une

dizaine d’années cette tendance semble se neutraliser ou, du moins, avoir été freinée97.

A titre d’exemple, le Tableau 3 (Fig. 6) ci-dessous détaille les taux de croissance démographique pour les villes-centres et leurs suburbs des plus grandes aires métropolitaines des Etats-Unis en 2013-2014.

97 Sources : https://www.brookings.edu/blog/the-avenue/2015/05/21/new-census-data-selective-city-slowdowns-and-the-city-suburb-growth-gap/ ; http://www.newgeography.com/content/003139-even-after-housing-bust-americans-still-love-suburbs ; http://www.census.gov/newsroom/press-releases/2015/cb15-89.html.

151 Fig. 6. Tableau 3 : Taux de croissance démographique pour les villes-centres et leurs

suburbs des plus grandes aires métropolitaines des Etats-Unis en 2013-2014.

Growth Rates, 2013-2014 Metropolitan Area Primary City Growth Suburb Growth Suburb Minus Primary City Atlanta-Sandy Springs-Roswell, GA 1,7 1,6 (0,1) Austin-Round Rock, TX 2,9 3,2 0,3 Baltimore-Columbia-Towson, MD (0,1) 0,6 0,7 Birmingham-Hoover, AL 0,2 0,4 0,3 Boston-Cambridge-Newton, MA-NH 1,0 0,7 (0,4) Buffalo-Cheektowaga-Niagara Falls, NY (0,3) 0,1 0,5 Charlotte-Concord-Gastonia, NC-SC 2,0 1,7 (0,3) Chicago-Naperville-Elgin, IL-IN-WI 0,1 0,1 0,0 Cincinnati, OH-KY-IN 0,2 0,6 0,4 Cleveland-Elyria, OH (0,4) (0,0) 0,4 Columbus, OH 1,5 1,1 (0,4) Dallas-Fort Worth-Arlington, TX 1,7 2,0 0,3 Denver-Aurora-Lakewood, CO 2,2 1,9 (0,3) Detroit-Warren-Dearborn, MI (0,8) 0,2 1,0 Grand Rapids-Wyoming, MI 0,7 1,1 0,4 Hartford-West Hartford-East Hartford, CT (0,4) (0,1) 0,3 Houston-The Woodlands-Sugar Land, TX 1,6 2,9 1,3 Indianapolis-Carmel-Anderson, IN 0,6 1,1 0,5

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Jacksonville, FL 1,1 2,5 1,4 Kansas City, MO-KS 0,7 0,8 0,0 Las Vegas-Henderson-Paradise, NV 1,9 2,1 0,1 Los Angeles-Long Beach-Anaheim, CA 0,7 0,6 (0,1)

Louisville/Jefferson County, KY-IN 0,4 0,8 0,4 Memphis, TN-MS-AR (0,3) 0,5 0,7 Miami-Fort Lauderdale-West Palm Beach, FL 2,0 1,0 (1,0)

Milwaukee-Waukesha-West Allis, WI 0,0 0,2 0,2 Minneapolis-St. Paul-Bloomington, MN-WI 1,3 0,9 (0,4)

Nashville-Davidson--Murfreesboro--Franklin, TN 1,7 2,1 0,4 New Orleans-Metairie, LA 1,4 0,5 (0,9)

New York-Newark-Jersey City, NY-NJ-PA 0,6 0,3 (0,3)

Oklahoma City, OK 1,6 0,9 (0,6) Orlando-Kissimmee-Sanford, FL 2,7 2,2 (0,6) Philadelphia-Camden-Wilmington, PA-NJ-DE-MD 0,3 0,2 (0,0) Phoenix-Mesa-Scottsdale, AZ 1,6 2,3 0,7 Pittsburgh, PA (0,4) (0,2) 0,3 Portland-Vancouver-Hillsboro, OR-WA 1,5 1,4 (0,2) Providence-Warwick, RI-MA 0,4 0,2 (0,1) Raleigh, NC 1,9 2,5 0,6 Richmond, VA 1,5 1,0 (0,5) Riverside-San Bernardino-Ontario, CA 0,7 1,3 0,6 Rochester, NY (0,3) (0,0) 0,3 Sacramento--Roseville--Arden-Arcade, CA 1,1 1,2 0,1 Salt Lake City, UT (0,2) 1,3 1,5

153 San Antonio-New Braunfels, TX 1,8 2,5 0,7

San Diego-Carlsbad, CA 1,5 1,1 (0,5)

San Francisco-Oakland-Hayward, CA 1,4 1,4 (0,0)

San Jose-Sunnyvale-Santa Clara, CA 1,2 1,4 0,2 Seattle-Tacoma-Bellevue, WA 1,9 1,5 (0,4)

St. Louis, MO-IL (0,3) 0,2 0,6 Tampa-St. Petersburg-Clearwater, FL 1,5 1,4 (0,1)

Tucson, AZ 0,3 1,1 0,8

Virginia Beach-Norfolk-Newport News, VA-NC 0,3 0,8 0,5 Washington-Arlington-Alexandria,

DC-VA-MD-WV 1,2 1,1 (0,1)

Total Large Metros 1,00 0,99 -0,01

Source : William H. Frey analysis of Census Bureau estimates July 2013-2014, released May 21, 2015.

Les derniers recensements nationaux disponibles révèlent principalement deux tendances

qui contredisent la thèse de Richard Florida. D’une part, ce sont les petites et moyennes métropoles (dont la population est inférieure à 500 000 habitants pour les premières et de 500 000 à 1 million d’habitants pour les secondes) ainsi que les villes de taille moyenne, non métropolitaines qui gagnent le plus de population. D’autre part, dans la majorité des aires métropolitaines, les suburbs enregistrent des gains de population plus élevés que les villes-centres98.

2. 1. 2. Les spécificités de Detroit

A présent, qu’en est-il de Detroit ? Dans le cas de Detroit – et il en va de même pour un certain nombre de ces villes-centres –il est nécessaire de changer d’échelle dans la précision géographique et d’observer l’évolution démographique par quartiers. En effet, il nous semble que la description d’une tendance sociodémographique supposée d’un mouvement des jeunes

98 Source : http://www.newgeography.com/content/005917-moving-away-from-the-major-metropolitan-areas-the-2017-estimates, consulté le 23/09/2018.

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haut-diplômés vers des centres-villes denses et dynamiques ne peut pas s’appliquer à la

majeure partie de la géographie de Detroit qui est constituée de quartiers résidentiels à faible densité et avec parfois une forte proportion de logements vacants. En fait, seuls les quartiers du centre-ville de Detroit, soit un territoire de 7.2 square miles sur les 139 square miles de la ville, répondent à cette description. La carte ci-dessous (Fig. 7) illustre ce point.

Avant d’observer les tendances démographiques à petite échelle à partir de données et de chiffres que nous avons réunis par divers moyens, regardons la situation générale. Entre 2010

et 2017, la population de l’aire métropolitaine de Detroit a augmenté légèrement, passant de

4,296 à 4.313 millions d’habitants (+ 17 000 habitants)99. Dans le même temps, la population de la ville-centre est passée de 711 043 habitants à 673 104 habitants (- 38 000 habitants)100.

La tendance est donc la même qu’au niveau national. Pour autant, la ville-centre a perdu des

habitants à une vitesse moins rapide qu’au cours des décennies précédentes, et des signes montrent que des nouveaux arrivants s’installent dans les quartiers centraux.

Fig. 7. Carte 3 : Taux de vacance des parcelles et densité des quartiers à Detroit.

99 Source : http://www.newgeography.com/content/005917-moving-away-from-the-major-metropolitan-areas-the-2017-estimates, consulté le 23/09/2018.

100 Sources : http://worldpopulationreview.com/us-cities/detroit-population/, consulté le 23/09/2018 ; et

https://eu.freep.com/story/news/2018/05/24/detroit-fife-lake-township-census-bureau-population-drop/633602002/, consulté le 23/09/2018.

155 Source : Detroit Future City, 2012.

L’enjeu d’établir une densité créative dans le but d’attirer et/ou de retenir les jeunes cadres

et hauts diplômés à Detroit se situe principalement dans la zone dénommée Greater Downtown (en bleu marine le plus foncé sur la carte). Que cela constitue une bonne ou une

mauvaise politique d’un point de vue moral ou même du point de vue de l’efficience

économique ne nous importe pas pour le moment (nous traiterons de cela dans le chapitre 5). A ce stade, nous souhaitons seulement déterminer si ce mouvement d’installation des jeunes

hauts diplômés dans les centres-villes urbains à forte densité existe ou non. Pour le savoir,

nous avons donc essayé d’examiner les tendances démographiques du Greater Downtown et

de chacun de ses quartiers. Pour l’ensemble de la zone, entre 2000 et 2010, la population a baissé de 13 % (contre une baisse de 25 % pour l’ensemble de la ville de Detroit). Cependant,

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Fig. 8. Carte 4 : Evolution démographique dans le Greater Downtown par quartiers entre 2000 et 2010.

Source : Hudson-Webber Foundation, 2013.

Nous avons également examiné l’évolution démographique à Detroit par code postal (ZIP code) afin de voir s’il existait un fort contraste entre les zones situées à l’intérieur du Greater

Downtown et celles plus périphériques. Pour les quartiers de Woodbridge, Lafayette Park et Rivertown, le périmètre des ZIP codes ne correspond pas exactement au périmètre identifié par la Hudson-Webber Foundation dans son rapport 7.2 Square Miles. Les chiffres sont connus pour la période 2000-2010 tandis que pour la période 2010-2015 ce sont des estimations et pour la période 2015-2020 ce ne sont que des projections.

157 De manière générale, entre 2010 et 2015, la tendance est à une baisse de la population à Detroit, bien que cette baisse soit ralentie par rapport à la décennie précédente. En nous intéressant de plus près aux caractéristiques démographiques, nous nous apercevons que pour

l’ensemble de la ville, l’estimation pour la période 2010-2015 est à une augmentation du

revenu moyen et du revenu médian par foyer, ainsi qu’à une faible diminution du pourcentage de la population noire au profit d’une faible augmentation du pourcentage de la population

blanche et des populations d’origine hispanique et asiatique. Ces tendances sont valables pour

toute la ville et pour chacun de la vingtaine de ZIP Codes de Detroit, à quelques exceptions près tenant surtout à l’augmentation du pourcentage des populations d’origine hispanique et

asiatique qui est beaucoup plus forte dans et aux abords de leurs quartiers historiques

d’implantation qu’ailleurs101.

Cette tendance est légèrement plus marquée pour les ZIP Codes du Greater Downtown

qu’ailleurs mais pas de manière significative pour la période 2010-2015. En revanche, sur la période 2000-2010, nous remarquons une différence nette entre les quartiers du Greater Downtown et tous les autres (à une seule exception) : le revenu moyen et le revenu médian

par foyer ont augmenté dans tous les quartiers du Greater Downtown, tandis qu’ils ont

diminué partout ailleurs, et parfois assez nettement. Dans le quartier de Downtown et dans des quartiers comme Eastern Market ou Milwaukee Junction qui ne sont pas compris dans le périmètre du Greater Downtown délimité sur la carte ci-dessus mais en sont limitrophes102,

ces augmentations du revenu par foyer s’accompagnent d’une augmentation de la population

blanche. Ce sont les seuls quartiers où il y a une augmentation en volume d’une partie de la population, blanche ou noire. Ces tendances s’accompagnent généralement d’une augmentation, quoiqu’assez peu significative, du nombre de diplômés du secondaire et du

supérieur, surtout pour les détenteurs d’un Associate’s degree, c’est-à-dire de l’équivalent d’une licence.

En résumé, quoique plutôt faible en volume, une tendance semble se dessiner au cours des

années 2000 d’une augmentation (parfois seulement relative, souvent en volume) de la

population blanche, du revenu médian et moyen par foyer et de la population diplômée du supérieur dans les quartiers centraux du Greater Downtown ou parfois limitrophes

101 C’est-à-dire dans le sud-ouest (Southwest) surnommé « Mexicantown » et les quartiers environnants pour les populations d’origine hispanique et à Hamtramck et dans les quartiers environnants, ainsi qu’à Downtown pour les populations asiatiques (parmi lesquelles sont comptées les populations originaires du Moyen-Orient).

102 En fait Eastern Market est compris dans le périmètre du Greater Downtown délimité par la Hudson-Webber Foundation dans son rapport « 7.2 Square Miles » mais n’apparaît pas sur la carte, probablement par manque de données. Il s’agit du quartier dont les rues sont dessinées juste au nord de Lafayette Park (à l’est sur la carte).

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(Milwaukee Junction-Poletown, voire le North End). Les estimations pour 2015 semblent confirmer cette tendance. Par ailleurs, si l’évolution démographique n’est pas impressionnante en volume, l’évolution du nombre de restaurants et de commerces l’est davantage. Entre 2013

et 2015, le nombre de restaurants serait passé de 301 à 378 (+ 20 % environ) et le nombre de commerces de 311 à 352 (+ 10 % environ) dans le Greater Downtown (Hudson-Webber Foundation, 2015).

Enfin, ces recherches de données chiffrées visent en fait surtout à vérifier de manière empirique ce que la presse, les blogs, les résidents et un certain nombre de chercheurs

affirment sur la base d’observations plutôt que de chiffres. L’accumulation du nombre de

publications scientifiques ou non sur ce sujet103 nous paraît désormais constituer une preuve suffisante de la réalité du phénomène, d’autant que des géographes n’hésitent pas à parler de

gentrification à Detroit – à raison à notre avis – sans appuyer leurs propos par des données quantitatives (Safransky, 2014).

En définitive, il semble bien que le Greater Downtown de Detroit devienne progressivement un lieu de gentrification et (re)devienne un lieu de consommation. Les

observations à partir desquelles Richard Florida échafaude sa théorie, c’est-à-dire,

rappelons-le, l’existence d’une tendance des jeunes cadres (qu’il identifie abusivement à une « classe créative ») à retourner s’installer dans les centres-villes, bien qu’imprécises ne sont pas

complètement erronées, du moins pour le cas de Detroit. Cela ne signifie pas pour autant que sa théorie soit vraie ni ne se vérifie, et encore moins que ses préconisations en termes de politiques publiques visant à attirer ce type de population sur le territoire soient justifiées104.

D’autant qu’il faut relativiser les résultats de notre étude démographique en gardant à l’esprit

que dans le même temps (2000-2015), la population des suburbs a augmenté nettement plus que celle de Detroit et a fortiori que celle de son centre-ville.

2. 1. 3. Résonnance et variation locales de la théorie de Richard Florida

Que la théorie de la « classe créative » soit fausse n’empêche pas son importante diffusion ni la croyance effective en la validité de cette théorie qui reste tenace aujourd’hui parmi un

grand nombre de décideurs. En témoignent huit des entretiens que nous avons réalisés au cours desquels, spontanément, l’agent interrogé mentionne Richard Florida ou la « classe

103 Voir par exemple : http://www.nbcnews.com/news/nbcblk/gentrification-detroit-leaves-black-residents-behind-n412476, consulté le 2 novembre 2015 ; http://www.truth-out.org/opinion/item/40260-how-gentrification-is-killing-us-cities-and-black-lives, consulté le 20 avril 2017 ; http://infinitemiledetroit.com/Bougie_Crap_Art,_Design_and_Gentrification.html, consulté le 23/04/2018.

104 Pour une critique détaillée des thèses de Richard Florida, voir la section de l’Introduction, « Villes et territoires créatifs : un enjeu de communication territoriale ».

159 créative ». Bien que des réticences soient parfois exprimées sur des points de détail, cette

référence se fait presque toujours sur le mode de l’argument d’autorité. Parmi ceux-ci, il nous semble intéressant de restituer et d’analyser les propos de Lou Glazer, Président et

cofondateur de Michigan Future Inc., think tankd’obédience démocrate.

En effet, les travaux de cette organisation et de son Président peuvent être rapprochés de ceux de Richard Florida et ils témoignent de la continuité qui existe entre le thème de la créativité (économie, industries et « classe » créatives) et les thèmes plus anciens de la société post-industrielle fondée sur une économie des services et qui repose sur la prééminence des travailleurs du savoir et de la classe des professionnels et des techniciens (Bell, 1973/1976). Continuité qui a maintes fois été relevée (Garnham, 2001 et 2005 ; Tremblay, 2008 ; Bouquillion 2010 ; Bouquillion (dir.), 2012). Voici un extrait des propos de Lou Glazer :

the places that are doing well, that have a broad middle class are over concentrated in the knowledge sectors of the economy, have a high proportion of adults with a four year degree because knowledge-based employers and college educated adults are concentrating in big metropolitan areas that are even more prosperous than the State and increasingly, in America, largely because of the millennials, they have a central city that have a large proportion of its residents with a four year degree. The millennials in America, I believe, start choosing to live in cities so you have to have a city that works105 (Lou Glazer, entretien avec l’auteur, Ann

Arbor, 16/10/2015).

Nous retrouvons dans ces propos l’idée présente dans la théorie de Richard Florida que la nouvelle génération106 de jeunes diplômés et cadres du tertiaire choisit de vivre en ville, par opposition à la vie dans les suburbs. Toutefois, le Président de Michigan Future Inc. donne

une perspective plus nuancée de cette idée. D’une part, il ne réduit pas la cible de son champ

d’action à une « classe créative » mais parle de l’ensemble des secteurs liés à la production de

connaissance ; d’autre part, il est conscient de l’importance de deux échelles géographiques

différentes : celle de la métropole qui comprend les suburbs et celle de la ville-centre de la

105 Les endroits qui s’en sortent bien, qui ont une bonne classe moyenne, ont une surconcentration dans les secteurs économiques liés à la connaissance, et ont une grande proportion d’adultes détenteurs de masters parce que les employeurs du secteur de la connaissance et les adultes ayant une formation universitaire sont concentrés dans des grosses métropoles qui sont encore plus prospères que leur Etat, et de plus en plus, aux Etats-Unis, surtout à cause des millenials (de la génération Y), ces endroits ont une ville-centre avec une forte proportion de résidents détenteurs d’un master. La génération Y en Amérique, je crois, commence à choisir de vivre en ville, donc il est nécessaire d’avoir une ville qui fonctionne bien.

106Le terme millenials (parfois traduit en français par « génération Y ») désigne la génération née entre 1977 et le milieu des années 1990, selon un des rapports publiés par Michigan Future Inc. (Michigan Future Inc., 2008b).

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métropole. Les deux comptent même s’il conclut en disant que les jeunes détenteurs d’un

master choisissent plutôt de vivre dans la ville-centre.

Ce constat de l’importance croissante des villes-centre découlerait de transformations

structurelles de l’économie qui tend à devenir une économie basée sur la connaissance/le

savoir. Notre interlocuteur l’exprime ainsi :

We have focused on the Michigan economy but I think with the central notion that if the State wants to be prosperous in the future it would have to transition away from a manufacturing-based economy to a knowledge-manufacturing-based economy. We had never really focused on the creative economy separate from being a component of the knowledge economy. That’s 1991 so it has

been 25 years almost107(Lou Glazer, entretien avec l’auteur, Ann Arbor, 16/10/2015).

Nous retrouvons donc l’idée pivot de la stratégie « Road to Renaissance » d’une transition d’une économie industrielle traditionnelle, c’est-à-dire manufacturière, du secteur secondaire

et qui produit des biens matériels, vers une économie de la connaissance, c’est-à-dire du secteur tertiaire et qui produit des services mais également des biens immatériels, une économie basée sur la production de savoirs et de connaissances. Cette idée, que nous