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Le conflit que peut créer la conclusion d’une convention reste neutre si la société ne subit pas un préjudice résultant de son exécution, et qui n’aurait pas été ressenti si cette exécution n’avait pas eu lieu.

Il est indifférent, pour les besoins de la réglementation tendant à prévenir les conflits, que le préjudice soit causé à la société (§1) ou aux associés eux-mêmes (§2).

§ 1. Préjudice causé à la société

La société souffre le plus souvent des préjudices d’ordre matériel causés par les conflits d’intérêts (A). Toutefois, tout comme l’intérêt personnel à caractère moral est capable de léser l’intérêt social1

, la société est également lésée par un préjudice de nature morale qui peut lui être infligé (B).

A. Préjudice matériel

Les dirigeants sociaux ont la charge de sauvegarder le patrimoine social2; donc leurs agissements qui nuisent à la société sont surtout ceux qui affectent le patrimoine social d’une manière négative, soit en l’amoindrissant (1), soit en posant des entraves à son accroissement (2).

1. Amoindrissement du patrimoine social

Toute convention conclue sans contrepartie équitable pour la société aboutit à la réduction de l’actif social et porte ainsi un préjudice direct au patrimoine social. Cette condition de l’existence d’un conflit se retrouve en droit américain. Si la violation par un dirigeant de son obligation de diligence entraîne une loss (perte) pour la société, il est personnellement responsable de la réparation de ce préjudice3.

Les cas les plus fréquents sont ceux où l’intéressé se fait rémunérer par la société sans une contrepartie équitable en services de sa part ; par exemple, en se faisant payer des rémunérations excessives sans travail effectif, ou des pensions de retraite additionnelles consenties sans que des services particuliers soient rendus à la société pendant l’exercice de ses fonctions par le dirigeant, créant ainsi un défaut de proportionnalité des prestations4.

En somme, cet appauvrissement du patrimoine social est la conséquence dommageable dont l’existence justifie l’annulation d’une convention. Cet appauvrissement de l’actif social se retrouve presque toujours dans les abus des biens sociaux, où le patrimoine personnel de l’intéressé s’enrichit injustement aux dépens du patrimoine social5

.

1. V. supra, Intérêt moral, p. 50.

2. P. Pic et J. Kréher, Traité général théorique et pratique de droit commercial, des sociétés commerciales, op.

cit., n° 2088, p. 542.

3. S. Emanuel, Corporations, op. cit., p. 172.

4. Cass. com., 10 février 1998 : Bull. Joly, mai 1998, § 168, p. 521, note P. Le Cannu (pension viagère à titre

de complément de retraite).

2. Obstacle à l’accroissement du patrimoine social

Pour être complet, quoiqu’en dehors du cadre des conventions réglementées, nous évoquons le cas où le dirigeant, qui est censé faire accroître le patrimoine social, et faire tout ce qui est de son pouvoir et engager ses compétences et capacités à ce faire, profite, à des fins purement personnelles, d’une occasion qui se présente à la société, et la détourne en sa faveur. C’est l’ usurpation of a corporate opportunity (détournement d’une chance sociale économique)1, ou le cas de la concurrence faite par un dirigeant à la société qui met un obstacle à l’accroissement de son patrimoine et lui cause un préjudice matériel2

. Ce préjudice est représenté par le montant par lequel l’intéressé voit son patrimoine s’accroître par les résultats positifs de l’exploitation, à l’exclusion de la société et des autres associés, de la chance économique qu’il a détournée.

B. Préjudice moral

Le conflit avec l’intérêt social peut résulter d’un préjudice moral que peuvent lui causer les actes des personnes visées et qui, même s’ils ne résultent pas en un amoindrissement du patrimoine pécuniaire de la société, lui causent néanmoins un dommage qui peut affecter ou menacer sa pérennité. Trois cas de préjudice moral sont envisageables: l’atteinte à la réputation de la société (1.), l’atteinte à sa crédibilité financière (2.) et l’atteinte à son indépendance (3.).

1. Atteinte à la réputation de la société

L’intégrité des dirigeants sociaux est une condition nécessaire pour l’établissement du climat moral dans lequel une société exerce ses activités. L’intérêt social peut souffrir non seulement de l’appauvrissement de l’actif patrimonial et matériel d’une société, mais aussi d’un préjudice non pécuniaire, qui met en cause les valeurs non matérielles d’une société, surtout si elle est cotée en bourse.

Ainsi, une société dont la réputation est affectée négativement par les agissements de ses dirigeants, dans un sens qui va à l’encontre de l’intérêt social, perd un élément très important de son actif. Cet élément immatériel qu’est sa réputation va faire éloigner des contractants et faire perdre à la société des chances de réaliser des affaires qui pourraient être lucratives. Les gens ont tendance à ne vouloir traiter qu’avec des sociétés qui affichent une transparence leur permettant de faire des prévisions raisonnables sur les chances de succès de leurs relations avec elles. Bien entendu, une telle transparence est déjouée quand les dirigeants bafouent

1. A. Tunc, Le droit américain des sociétés anonymes, op. cit., n° 80, p. 142.

l’intérêt social en concluant, dans un intérêt personnel, des conventions avec leur société. Le préjudice moral qui entame la réputation sociale dans de tels cas est non négligeable.

2. Atteinte à la crédibilité financière de la société

Une conséquence normale de la mauvaise réputation d’une société est la perte de sa crédibilité financière. Les intéressés qui profitent des contrats conclus avec la société, même si ceux-ci ne portent pas à cette dernière un préjudice matériel, en raison de l’existence d’une contrepartie valable et équitable, pourront porter néanmoins atteinte à la crédibilité financière de la société. Si les contrats passés par les dirigeants d’une société avec celle-ci se multiplient, les institutions financières avec qui elle traite seraient dans le doute et craindraient que les fonds qu’ils auraient avancés à la société ne puissent leur être remboursés au cas où la société tombe en déconfiture. Les banques seraient aussi réticentes à traiter avec des sociétés dont la gestion est assurée par des dirigeants peu scrupuleux qui n’hésitent pas à puiser dans les fonds sociaux, à travers des pratiques abusives, telles la conclusion de conventions auxquelles ils sont intéressés et dont l’exécution cause un préjudice qui affecte le droit de gage général de ces banques sur l’actif social.

La deuxième incidence de telles pratiques se fait ressentir dans le marché des actions des sociétés cotées en bourse. Les investisseurs sont naturellement découragés d’acheter des actions d’une société dont la réputation des dirigeants menace la valeur de ses titres, laquelle menace provient du fait que la valeur boursière de la société est fonction de sa santé, non seulement matérielle mais aussi morale.

3. Atteinte à l’indépendance de la société

Les filiales, dans les groupes de sociétés, qui sont contrôlées par une société holding sont, en dépit de leur personnalité juridique distincte, soumises à la volonté de la société mère et le plus souvent les administrateurs de ces filiales « s’inclinent devant les conditions dictées par cette société mère, car la stabilité de leur mandat social en dépend1. C’est pour ne pas contrarier la société mère qu’ils donneront leur autorisation à une convention qui penche en faveur des intérêts de la holding, sous le prétexte de l’intérêt du groupe2

. En résultat, la filiale devient une victime de l’abus d’influence commis par la société mère causant à sa filiale non seulement un préjudice pécuniaire mais un préjudice moral qui fait de cette dernière un simple instrument entre les mains de la première.

Un conflit d’intérêts peut exister également quand le préjudice est causé aux associés.

1. D. Bureau, actualisé par J.- J. Ansault, Contrats entre les administrateurs et la société, op. cit., n° 89, p. 60

§ 2. Préjudice causé aux associés

Comme nous l’avons souligné plus haut, en traitant l’intérêt commun des associés1

, et vu la parenté établie entre l’intérêt social et celui des associés, le préjudice causé à ces derniers peut être aussi un préjudice causé à la société elle-même. Il peut être direct (A) ou indirect (B).

A. Préjudice direct

Quand un associé tire un profit d’une convention conclue avec sa société, sans que ses co- associés en profitent aussi et dans la proportion de leur participation au capital de la société, l’égalité entre associés se trouve rompue et le principe de l’intérêt commun des associés lésé. Ce préjudice est direct, l’équilibre entre associés est perdu dès que l’associé en cause commence à profiter tout seul de la convention, en privant les autres associés de leur quote- part de ce profit. Les implications financières d’un tel déséquilibre peuvent n’apparaître qu’indirectement.

B. Préjudice indirect

Contrairement à l’hypothèse où le préjudice direct causé aux associés résulte d’un traitement qui est plus en faveur de l’un que des autres, l’associé intéressé bénéficiant, par exemple, d’une convention conclue avec la société, le préjudice indirect causé aux associés résulte de l’amoindrissement de leur patrimoine personnel à la suite de la réduction des fonds propres de la société par l’avantage réalisé, sans contrepartie, ou sans contrepartie suffisante, par l’associé qui aurait violé l’intérêt commun.

C’est ainsi que dans le cas d’une convention conclue entre un associé et sa société en vertu de laquelle l’associé intéressé reçoit de la société, en contrepartie de ses services, une rémunération bien au-delà de la valeur réelle des prestations rendues, la situation prend évidemment un tournant dangereux si les prestations de l’intéressé sont inexistantes ou modiques, justifiant dans la plupart des cas des poursuites pénales pour abus de biens sociaux. Le préjudice est dit indirect dans ces cas, parce que les autres associés n’en souffrent pas directement. C’est la diminution de l’actif social par les montants indûment prélevés, en exécution de la convention abusive, qui va se répercuter négativement sur leur quote-part dans le capital social.

1. V. supra, Intérêt commun des associés, pp. 36 et s.

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