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Les villes, tout comme les territoires et les campagnes, sont aujourd'hui contraintes, du fait de choix politiques globaux, de s’adapter à la métropolisation et à la mondialisation. Dans la mise en concurrence mondiale des territoires – sous menace de déclassement et de chômage –, les métropoles rivalisent pour attirer les leaders des multinationales (le coût en infrastructures, parfois géantes et somptueuses, se répercutant sur les collectivités), dans l'espoir d'un ruissellement des richesses sur les couches inférieures de la population : les gouvernements

urbains estiment qu’une croissance ainsi tirée "par le haut" est la condition nécessaire pour résoudre les difficultés sociales auxquelles les grandes villes sont confrontées.

Dans les pays en voie de développement, mais également de plus en plus dans les pays dits "développés", les métropoles apparaissent comme des enclaves permettant un développement au pays par cet effet de "ruissellement". Mais la compétition entre ces métropoles contribue à accroître les inégalités, à la fois entre elles, au sein de leurs populations et par rapport aux villes moyennes. Les espaces entre les réseaux des métropoles constitués de relations privilégiées restant "vides", la logique métropolitaine crée des territoires désarticulés. L’étude de la richesse de ces grandes villes mondiales , de leur accessibilité dans les réseaux d’échanges et de leurs fonctions économiques ou culturelles montre ainsi un creusement des écarts avec la situation de la plupart des autres villes. Le renforcement actuel des processus de mondialisation économique rend ce phénomène de décrochage extrêmement inquiétant pour les petites villes qui, pour la plupart, ne participent pas ou peu aux dynamiques mondiales, mais en subissent les effets.

La politique de "l’entrepreneurialisme urbain"

La notion "d’entrepreneurialisme urbain", présentée par David Harvey à la fin des années 1980, qualifie "une disposition générique à gouverner la ville à la manière d’une entreprise placée dans un contexte concurrentiel, et s’efforçant d’attirer investissements productifs, entreprises en croissance, populations solvables, ou fonds de transferts publics"63. Cette notion, donnant priorité à la valorisation compétitive du territoire à l’échelle internationale, à destination de fonctions économiques supérieures, du tourisme ou de grands événements, est à l'origine d'une vaste littérature, d'études et de rapports.64

Cette politique de gouvernance des villes considère le territoire comme un stock de ressources territorialisées en termes d’accessibilité, de disponibilités foncières, d’offre culturelle et de loisirs, de capacités de R&D, etc. Elle a recours aux techniques de la publicité ou de la communication d’entreprise pour construire et diffuser un marketing du territoire – devenu marque – et concentre ses moyens sur la mise en valeur de ces ressources à destination d’agents économiques mobiles à l’échelle internationale : firmes de services, investisseurs immobiliers, travailleurs qualifiés, touristes et visiteurs, nouveaux habitants ou chalands…. Les formes les plus emblématiques de cette "rationalité entrepreneuriale" sont les projets de reconversion de friches urbaines en aménagement

63 Harvey D., "From managerialism to entrepreneurialism : the transformation in urban governance in late capitalism", Geografiska Annaler - Series B, 71, 1, 1989, p. 3-17 .

64 Par exemple :

Moulaert F., Rodriguez A., Swyngedouw E., The globalized city. Economic restructing and social polarization

in European cities, OUP, Oxford university press, mars 2005, 304 pages.

Fainstein S., Mega-projects in New York, London and Amsterdam, International Journal of Urban and

Regional Research, volume 32, décembre 2008, p. 768-785.

Cronin A.M., Hetherington K., Consuming the entrepreneurial city - image, memory, spectacle, éditions Routledge. New York, mai 2008, 320 pages

Brenner N., Theodore N., Spaces of neoliberalism. Urban restructuring in North America and Western Europe, éditions Wiley-Blackwell, décembre 2002, 312 pages

d'équipements d’envergure internationale (centres de congrès, grands stades, musées, quartiers d’affaires multifonctionnels…) ou d’évènements fortement médiatisés.

Contrairement à l'époque des Trente Glorieuses où l’articulation entre promotion de la croissance de l’économie urbaine et traitement de la question sociale reposait sur une demande à large base sociale soutenue par de fortes redistributions publiques organisées par les États, la rationalité néolibérale a pris le dessus. Aujourd'hui, la priorité est donné à l’amélioration du « climat des affaires » (rabais de taxes, facilités d’extensions, cofinancements en R&D, …) afin de libérer des capitaux importants pour l’investissement, la croissance économique, et en bout de course, éventuellement la création d’emplois.

"La rationalité keynésienne est ainsi retournée : les redistributions sociales ne sont plus considérées comme un garant des performances économiques nationales, mais comme des retombées attendues de ces performances, par le jeu « d’effets de cascade » escomptés – ou « trickle down benefits".65

Comme nous pouvons le constater dans l'exemple de Bruxelles (Cf. encadré ci-dessous), qui n'est nullement une exception, les résultats de la croissance "par en haut" de l’économie ne répond pas aux attentes : elle ne crée quantitativement pas assez d’emplois, ses gains ne sont pas repartis également.

Les bonnes performances en termes de création de valeur ajoutée de l’économie bruxelloise sont bien supérieures à celles de l’économie belge, mais la moyenne des revenus de ses habitants est inférieure à ceux des autres régions du pays. De plus, les inégalités de revenus sont supérieures à Bruxelles par rapport à celles des autres agglomérations belges66, et y sont en nette croissance depuis deux décennies : environ 100 000 actifs y sont au chômage (taux de 17,4 % selon la définition du BIT, contre 8,4 % à l’échelle nationale), et plus d’un quart (!) des 15- 64 ans y vit sous le seuil de risque de pauvreté (contre 15 % à l’échelle nationale). 67

65 Van Hamme Gilles et Van Criekingen Mathieu, "Compétitivité économique et question sociale : les illusions des politiques de développement à Bruxelles", metropoles.revues.org/4550

66 Le dixième décile des déclarations fiscales concentre 35,2 % du total des revenus imposables déclarés à Bruxelles en 2009 (contre 32 % en Belgique) (source : Baromètre social. Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté, 2011)

67 En Belgique en 2010, le seuil de risque de pauvreté correspondait à un revenu mensuel de 973 € pour un isolé, de 1557 € pour un parent isolé avec deux enfants, ou de 2 044 € pour un couple avec deux enfants (source : Baromètre social. Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté, 2011).

Compétitivité économique et question sociale : les illusions des politiques de développement à