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De nombreux ouvrages en terre sont soumis aux problématiques d’érosion auxquelles nous nous sommes intéressés dans ce travail. Les ouvrages hydrauliques comme les digues et les barrages en terre sont très majoritairement accidentés par les deux mécanismes généraux d’érosion que constituent l’érosion interne et la surverse : ces deux mécanismes ont été reconnus dans les dernières décennies comme la principale cause de leurs ruptures. D’autres types d’ouvrages peuvent être endommagés ou sinistrés par ces phénomènes comme les remblais d’infrastructures linéaires de transport qui ne sont pas spécifiquement conçus pour supporter les charges hydrauliques mais sont souvent soumis à ce type de sollicitation. Les fondations d’ouvrages de franchissement comme des piles de ponts sont également touchées par le phénomène d’affouillement qui génère une perte de la capacité portante du sol support due à l’érosion amplifiée par la discontinuité de l’écoulement. Cela provoque la rupture de ces ouvrages, en général, pendant des événements météorologiques exceptionnels.

Le terme « érosion » regroupe généralement les phénomènes d’arrachement et de transport de particules par l’écoulement. Cela peut avoir lieu à l’intérieur de la masse d’ouvrages ou en surface. En outre, la dispersion est définie comme la mise en suspension des particules colloïdales d’argiles dans l’eau sans mouvement. Les processus d’érosion interne, externe et de dispersion, étroitement liés les uns aux autres, sont des phénomènes complexes qui dépendent de nombreux paramètres. D’une part, il est difficile de prendre en compte l’influence de tous ces paramètres pour évaluer l’érodabilité d’un sol et d’autre part les études effectuées pour corréler les paramètres classiques de mécanique des sols et les propriétés physiques des sols avec la sensibilité à l’érosion ont mis en évidence une très faible corrélation dans le meilleurs des cas. En conséquence, il est indispensable de mesurer la sensibilité à l’érosion au moyen d’essais dédiés.

Les dispositifs qui ont été utilisés dans le cadre de ce travail ont permis d’étudier trois aspects de la sensibilité à l’érosion : érosion interne (érosion de conduit) par le dispositif d’essai d’érosion de trou (HET), érosion de surface par le dispositif d’érodimètre à jets mobiles

Le dispositif d’essai d’érosion de trou (HET) présente des résultats quantitatifs sur des sols reconstitués au laboratoire. Il étudie l’agrandissement d’un canal d’écoulement créé au milieu d’une éprouvette de sol par analogie à l’érosion de conduit. Tandis que les méthodes d’interprétations classiques de contrainte se basent sur des hypothèses sur l’hydraulique de l’écoulement pour estimer cet agrandissement, nous avons utilisé une nouvelle méthode d’interprétation indépendante des hypothèses courantes sur l’écoulement. Nous avons développé l’appareillage ainsi que le protocole d’essai de manière à rendre cet essai applicable aux sols naturels, aux matériaux peu-perturbés prélevés sur ouvrage ainsi qu’aux matériaux fortement résistants. Un nouveau protocole d’essai a également été proposé pour tester des sols à fortes teneurs en eau comme les sédiments fluviaux. Enfin, une première campagne d’essais croisés menée avec le dispositif de « Ex-Situ Erosion Test Device » a montré des tendances similaires pour deux textures de sol de référence utilisées.

Le dispositif d’érodimètre à jets mobiles (MoJET) étudie la sensibilité des ouvrages à l’érosion de surface. Il présente l’avantage d’être réalisable sur le terrain et en laboratoire. L’exécution des essais est simple et le dispositif est facilement déplaçable. Nous avons proposé d’améliorer le protocole d’essais et de l’appliquer aux ouvrages problématiques afin de caractériser leur sensibilité à l’érosion ainsi que d’étudier l’influence de plusieurs paramètres sur les résultats obtenus. Sur l’ensemble des campagnes d’essais effectuées, une bonne proportionnalité s’est avérée entre la profondeur d’érosion et la masse érodée. Cependant, les essais effectués en laboratoire ont mis en évidence que la forme tracée par les jets dépend fortement de la nature de sol. Par conséquent, il a été retenu d’utiliser la masse érodée comme critère de quantification. Une très faible corrélation ayant été trouvée entre la granulométrie des matériaux testés et leur sensibilité à l’érosion de surface, cela souligne la nécessite de réaliser les essais spécifiques de mesure d’érosion.

La méthode d’essais d’émiettage étudie de façon qualitative la désagrégation d’un échantillon de sol dans l’eau. Nous nous intéressons à rendre cet essai quantitatif et à définir un protocole d’expérimentation indépendant de l’opérateur au travers de suivis continus par caméras et une interprétation automatisée des images acquises. Plusieurs essais effectués sur des mélanges sable-argileux à différentes teneurs en eau initiales ont mis en évidence une tendance générale d’hydratation puis de désagrégation. La répétabilité de la méthode d’essai a été examinée. De plus, la sensibilité de désagrégation dans l’eau et la sensibilité à l’érosion de textures de sol de référence ont été comparées. Enfin, nous avons défini et appliqué le protocole et la méthode d’essais à des sols naturels prélevés sur des ouvrages en terre.

Dans une seconde partie de ce travail, les différentes méthodes d’expérimentation ont été appliquées à deux études pratiques,. La première étude porte sur l’utilisation de la chaux vive pour les traitements des sols lors de la mise en place dans les ouvrages hydrauliques. La première campagne d’essais effectuée sur des éprouvettes confectionnées en laboratoire a démontré un gain de résistance considérable par rapport aux sols non traités. Concernant les

essais HET, la contrainte critique à l’érosion interne n’a pas pu être mesurée concrètement sur les sols traités. L’érosion n’est pas susceptible d’être déclenchée à une contrainte inférieure à au moins quatre fois celle de l’état non traité. La masse érodée à la surface par le dispositif MoJET est au minimum 300 fois plus faible pour les sols traités que pour les sols non traités. Enfin, les sols traités se sont avérés insensibles à l’eau par l’ECT. Cela a été confirmé dans la deuxième campagne d’essais sur les ouvrages expérimentaux, le matériau issu de l’ouvrage traité à la chaux présente donc une sensibilité à l’érosion nettement plus faible que le matériau naturel. Les propriétés des sols traités semblent se préserver sans dégradation pendant une longue durée de sollicitation hydraulique ce qui n’est pas le cas du sol non traité. Bien que cette augmentation de la résistance et la diminution de la sensibilité face à l’érosion ne soient naturellement pas aussi importantes sur les ouvrages qu’en laboratoire, elles restent très significatives par rapport à l’état naturel/non traité.

Une seconde étude porte sur l’influence de la salinité sur les phénomènes d’érosion et de dispersion. Les résultats de cette étude ont montré que la salinité, soit de l’eau environnante soit de l’eau interstitielle, influence la sensibilité à l’érosion/dispersion des sols argileux. L’effet varie selon la nature de l’argile. Une texture avec de l’eau interstitielle salée et de l’eau environnante non salée présente de manière générale une meilleure résistance à l’érosion interne et une dispersivité plus faible par rapport aux autres configurations. Il est à noter que la salinité est en faveur d’une agglomération des particules constitutives des sols. C’est probablement pour cela que la salinité en général augmente légèrement la résistance à l’érosion et la dispersivité des sols argileux.

En conclusion, pour mieux comprendre les processus érosifs dans leur ensemble, il est nécessaire d’étudier conjointement l’érosion sous différents aspects, avec des méthodologies d’essai, des techniques et des méthodes complémentaires. Une texture de sol peut s’avérer assez résistante face à un mécanisme particulier et plus sensible à un autre. À titre d’exemple, un sol gonflant peut être très résistant à l’érosion de conduit à cause du rebouchage des chemins préférentiels d’écoulement et très sensible à l’érosion de surface notamment, à long terme, à cause de la mise en suspension des particules. Un autre exemple marquant est le limon naturel d’un des deux ouvrages expérimentaux au CER de Rouen. Le matériau a été

Perspectives

Les améliorations apportées au dispositif d’essai d’érosion de trou (HET) permettent d’exercer des charges hydrauliques contrôlées et couvrant une large plage de valeurs sur les éprouvettes de sol. Il sera possible d’effectuer des essais sous des charges hydrauliques cycliques ou des augmentations et chutes plus au moins brutales de sollicitations. Ceci est particulièrement intéressant pour étudier les effets de charge-décharge sur l’initiation de l’érosion de conduit. Cela pourrait par exemple se réaliser sur une éprouvette de sol dont le canal d’écoulement initial ne traverse pas complètement l’éprouvette ou bien est constitué d’un matériau différent du reste de l’éprouvette. La possibilité d’appliquer un changement considérable de la charge hydraulique pourrait apporter des informations complémentaires sur le comportement érosif des sols par exemple de trouver une deuxième contrainte critique pour l’érosion régressive (précédemment étudié par Bendahmane et al. 2008) ce qui a été observé de façon incontrôlée dans les essais sur les sols à fortes teneurs en eau.

Des améliorations seraient à apporter au dispositif de l’érodimètre à jets mobiles (MoJET), afin de pouvoir extraire des essais in situ des paramètres plus généraux d’érosion, comme la contrainte critique ou le coefficient d’érosion. Nos observations sur la forme des traces des jets à l’aide d’un scanneur laser ont démontré que la largeur des sillons dépend également de la texture du sol. En conséquence, nous proposons que ce dispositif soit utilisé comme un indicateur simple et in situ. De plus, il est préférable de simuler l’érosion de surface au travers d’un écoulement tangentiel. Nous avons travaillé sur la conception d’un dispositif in situ d’érosion de surface par écoulement tangentiel analogue aux dispositifs d’érosion en canal. Ceci peut être validé dans un premier temps à l’aide d’un prototype dans l’optique de développer un outil complet et performant pour la mesure de la sensibilité à l’érosion de surface in situ.

Le dispositif d’ECT et ses algorithmes d’interprétation pourront être utilisés pour le suivi temporel de l’évolution des géométries complexes. Ceci peut être appliqué pour étudier différents aspects de désagrégation et même d’érosion. Il ouvre également une possibilité de prédire le phénomène d’érosion d’ouvrage en terre à l’aide d’essais géotechniques simples et non destructifs.

Concernant les ouvrages expérimentaux, l’évolution dans le temps des propriétés de l’ouvrage traité à la chaux sera étudiée par la répétition des essais présentés dans ce document à un temps de cure de 365 jours. L’évolution des propriétés des sols traités à la chaux face aux phénomènes d’érosion pourrait également être examinée sur des textures de sol de référence. Il est important de noter qu’il faudrait, dans ce cas, choisir des textures de sol relativement sensibles en état naturel pour que le gain exact en résistance à l’érosion puisse être quantifié.

Finalement, au sujet de l’influence des propriétés physico-chimiques de l’eau sur les phénomènes d’érosion, il serait intéressant sur le plan scientifique d’étudier également l’influence de la salinité à différentes concentrations en sel, par des sels bivalents ou de potentiel hydrogène varié. Des mesures en zétamétrie qui permettent de quantifier le potentiel zéta (interaction électrostatique entre particules) pourraient être corrélées avec les essais ECT et HET pour compléter le présent travail.