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facteurs explicatifs

16.4 Conclusions

VERS L’ÉGALITÉ? OFS 2003 188

Satisfaction dans l’existence en général selon les situations de déprivation G 16.5

© Office fédéral de la statistique (OFS) Source: ERC 1998

Insatisfaction multiple

Satisfaction en général

Moyenne: 8,7

1,7 13,7 49,4 35,2

Insatisfait Assez satisfait Satisfait Très satisfait

Femmes

Moyenne: 8,6

1,6 14,6 55,6 28,2

Hommes

Satisfaction en général

Moyenne: 7,3

12,5 27,4 53,9 6,1

Femmes

Moyenne: 7,1

21,2 31,8 42,5 4,6

Hommes

Satisfaction en général

Moyenne: 8,4

8,4 18,4 53,0 25,2

Femmes

Moyenne: 8,3

6,2 16,7 47,8 29,3

Hommes

Satisfaction en général

Moyenne: 6,8

30,3 26,5 34,7 8,6

Femmes

Moyenne: 6,7

23,8 38,6 32,1 5,5

Hommes

0 à 2 3 ou plus

Cumul de problèmes 5 ou plus0 à 4

16 CUMUL DE DÉSAVANTAGES

16 CUMUL DE DÉSAVANTAGES

souvent une diminution du bien-être, expliquant les pourcentages relatifs aux personnes souffrant d’une double déprivation. Mais ils ont également permis de faire ressortir des cas intéressants de groupes de population où les problèmes et l’insatisfaction ne vont pas de pair, notamment chez les hommes vivant seuls, les hommes de Suisse italophone et les femmes tra-vaillant comme ouvrières/employées non qualifiées.

Il convient de rappeler ici que cette étude est une analyse transversale qui reflète l’image de la population à un moment donné sans donner d’indication sur l’évo-lution des conditions de vie des personnes interrogées avant et après l’enquête. Elle ne permet donc pas de dé-crire ce qu’il adviendra des personnes touchées par les si-tuations problématiques et le cumul de désavantages.

En partant des différents problèmes et insatisfactions, les analyses ont été progressivement étoffées jusqu’à la subdivision de la population en quatre groupes définis selon la situation de déprivation14. Ainsi, plus de 70%

des femmes et des hommes ne connaissent aucune situation de déprivation au sens d’un cumul de problè-mes ou d’une insatisfaction multiple; 16% des femproblè-mes et 10% des hommes présentent seulement un cumul de problèmes; l’insatisfaction multiple non accompagnée de cumul de problèmes est moins fréquente et est un peu moins répandue chez les femmes (4,9%) que chez les hommes (6,4%); enfin, 6,0% des femmes et 4,9% des hommes souffrent d’une double déprivation. Ce dernier groupe est peu important, mais se révèle particulière-ment problématique. Les résultats cachent en effet une réalité aux multiples facettes dont il est difficile de rendre compte à travers un chiffre unique. Les conclusions d’une analyse si condensée doivent porter davantage sur la comparaison et les différences entre les groupes de population affectés. Le groupe le plus fortement touché par les situations difficiles se révèle régulièrement être celui des personnes élevant seules des enfants, presque exclusivement composé de femmes. Dans une moindre mesure, mais toujours parmi les individus les plus dure-ment touchés par le cumul de désavantages, figurent les partenaires vivant dans des ménages avec enfants. Mais l’examen des situations difficiles et des cumuls de pro-blèmes montre que si ce groupe est davantage touché par de mauvaises conditions de vie, il n’affiche par

ailleurs aucun déficit remarquable sur le plan du bien-être. En outre, les femmes à la recherche d’un emploi, les hommes sans formation postobligatoire et ceux de Suisse italophone, ainsi que les personnes de nationalité étrangère (femmes et hommes) font eux aussi partie des groupes les plus affectés par des difficultés dans l’exis-tence. On obtient un portrait à multiples facettes parmi les groupes professionnels, dont certains n’ont pas pu être représentés et commentés en raison de la rareté des cas recensés dans l’échantillon. On a cependant pu remarquer que les personnes appartenant aux groupes professionnels inférieurs (ouvriers/employés non quali-fiés, par ex.) souffrent essentiellement de problèmes matériels, tandis que celles des catégories professionnel-les supérieures (cadres supérieurs et professions intellec-tuelles et scientifiques, par ex.) accusent principalement une surcharge de travail.

Les situations de déprivation vont de pair avec la satisfaction générale dans l’existence: les personnes connaissant une double déprivation sont nettement plus insatisfaites que les personnes qui ne cumulent pas les problèmes. Le bien-être a cependant une plus grande influence que les conditions de vie sur la satisfaction dans l’existence, ce qui laisse entendre que des condi-tions de vie plus mauvaises n’entraînent pas forcément une insatisfaction générale dans l’existence.

Il nous a semblé important dans ce chapitre d’analyser le cumul de désavantages des différents groupes de po-pulation de façon séparée pour les deux sexes, afin de mieux mettre en lumière les groupes de femmes et d’hommes particulièrement touchés et de constater les différences entre les deux. Indépendamment des pour-centages respectifs qu’ils représentent dans la population globale, les groupes cités plus haut doivent être considé-rés comme plus ou moins susceptibles d’avoir une qua-lité de vie nettement compromise. Celle-ci peut par exemple se manifester par une précarisation des condi-tions de vie ou par une marginalisation des personnes socialement défavorisées, telles que les femmes élevant seules des enfants. D’autres études15 traitant de sujets semblables font ressortir les mêmes groupes de popula-tion parmi les groupes à problèmes. Il convient donc d’accorder à ces catégories de population une attention particulière sur le plan de la politique sociale.

14 Il faut ici rappeler encore une fois que les analyses portent sur la po-pulation vivant dans les ménages privés. En d’autres termes, certains groupes également touchés ou susceptibles de l’être par les différentes formes de déprivation ne sont pas considérés dans ce rapport (par ex.

les personnes vivant dans les ménages collectifs et les sans-abri).

15 Par ex. l’étude nationale sur la pauvreté de Leu Robert E. et al. Lebens-qualität und Armut in der Schweiz. Berne, editions Paul Haupt,1997 et le rapport sur les «working poor» en Suisse de Streuli Elisa et Bauer Tobias: Working Poor in der Schweiz. OFS, Neuchâtel, 2002.

17 Pauvreté et genre

Monica Budowski, Panel suisse de ménages, Université de Neuchâtel et Robin Tillmann, Panel suisse de ména-ges, Université de Neuchâtel et Office fédéral de la sta-tistique1

Introduction

D’un point de vue macro-économique, le produit inté-rieur brut par habitant de la Suisse est un des plus élevés du monde. Au niveau micro-économique de même, le niveau de vie et le bien-être matériel des individus et des ménages sont en moyenne élevés. Cependant, malgré cette richesse générale, les inégalités de revenus – mesu-rées par exemple par le coefficient de Gini – sont parmi les plus fortes des pays développés (Osberg et Xu, 1997).

Ainsi, la pauvreté reste un problème majeur (Fluder et al., 1999), bien que les pauvres en Suisse se trouvent moins

défavorisés que les pauvres dans d’autres pays (Osberg et Xu, 1997; Smeeding et Rainwater, 2001).

La notion de féminisation de la pauvreté, d’origine étasunienne, tout en continuant à orienter bon nombre de travaux sur les pays en voie de développement, est parfois contestée en ce qui concerne les pays dits déve-loppés. C’est dire que la validité universelle de la fémini-sation de la pauvreté est mise en cause. De fait, en dépit de méthodologies différentes, des travaux internatio-naux assez récents tendent à montrer, avec des nuances, que les femmes sont plus touchées par la pauvreté que les hommes dans les pays de l’Union européenne, ou plus largement dans les pays de l’OCDE. Les résultats sont toutefois différenciés. Ainsi, certains travaux avan-cent que les femmes constituent toujours (ou presque) un groupe encourant un risque de pauvreté (monétaire) supérieur à celui de la moyenne ou des hommes (Casper et al., 1994; Mejer et Siermann, 2000; OCDE, 2001);

alors que d’autres n’estiment le phénomène avéré que pour une majorité de pays (Pressman, 1998).

Dans ce chapitre, nous commençons à exploiter le potentiel, certes encore limité, d’une enquête panel en étudiant les transitions en matière de pauvreté entre la vague 1 (1999) et la vague 2 (2000) du Panel suisse de ménages. Une attention particulière est accordée aux différences de genre en matière de pauvreté. Nous procédons en quatre temps principaux. Après une brève présentation des liens entre genre et pauvreté, nous présentons sommairement les différentes approches possibles de la pauvreté. Ensuite, nous passons à la défi nition opérationnelle et aux indicateurs longitudinaux auxquels nous avons recours. Enfi n, nous exposons les résultats de l’analyse dynamique de la pauvreté selon le genre durant la période d’observation.

Genre et pauvreté2

Les parcours de vie des femmes ont changé au cours des dernières décennies: en particulier leur participation à l’activité professionnelle est en augmentation, il en va de même de leur niveau de formation3; ces évolutions ten-dent à favoriser l’indépendance économique des fem-mes. Selon le Rapport social 2000, les inégalités entre les sexes se sont dans l’ensemble réduites en Suisse (Suter et Pahud, 2000). Les femmes restent toutefois en géné-ral plus sujettes à la pauvreté et à la privation (Gordon et Spicker, 1999). Les causes structurelles de la pauvreté des femmes sont liées à la division traditionnelle du tra-vail qui les rattache prioritairement à la sphère domesti-que, et secondairement au marché du travail rémunéré (et donc au système de protection sociale)4. On peut

1 Langue originale: français.

2 Nous parlons ici de genre (et non de sexe) pour souligner l’aspect socia-lement construit des rôles et des partitions entre hommes et femmes.

3 L’élévation du niveau de formation des femmes ne se transpose tou-tefois que difficilement sur le marché du travail, où elles restent sous représentées aux positions élevées.

4 «Traditionnelle» signifie ici que les comportements institués perdurent pour l’essentiel même quand la situation se modifie. Ainsi, l’accès accru des femmes à l’emploi ne provoque pas de réorganisation importante de la répartition du travail domestique. Par exemple, seul un quart des femmes ayant une activité professionnelle à plein temps peuvent compter sur une contribution équitable de leur partenaire (Bühlmann et Schmid, 1999).

17 PAUVRETÉ ET GENRE

VERS L’ÉGALITÉ? OFS 2003 192

brièvement présenter quelques facteurs qui rendent les femmes plus sensibles à la pauvreté au sein des trois sphères mentionnées, soit le ménage, le travail rému-néré, enfin la sécurité sociale.

En termes de comparaison entre les ménages, on observe que les ménages à direction féminine ont en général un revenu (équivalent) moyen inférieur à la moyenne nationale (Rake et Daly, 2002). Les recherches basées sur des mesures au niveau du ménage supposent une distribution équitable des revenus entre les membres des ménages. Or, au moins depuis les travaux de Pahl (1989), on sait que des inégalités importantes existent en ce qui concerne le partage des ressources dans les ménages. Dès lors, certaines femmes font l’expérience de la pauvreté dans des ménages non pauvres à cause de l’inégale répartition des ressources au sein des ména-ges. En outre, le risque de se trouver sans revenu person-nel (et donc en situation de dépendance) est plus élevé pour les femmes que pour les hommes (Rake et Daly, 2002). Enfin, en situation de pauvreté, ce sont les pa-rents qui se privent pour sauvegarder les enfants; en par-ticulier les femmes qui adoptent des comportements de consommation plus «altruistes» en consacrant une part importante de leurs dépenses à l’alimentation et à l’édu-cation des enfants notamment (Adelman et al., 2000).

Le développement économique et technologique, la démocratisation relative de l’instruction ont facilité l’accès en masse des femmes au marché du travail. Tou-tefois, ce dernier reste ségrégué horizontalement et ver-ticalement, avec toutes les inégalités que cela implique au niveau des salaires, des possibilités de promotion et de la précarité croissante de bon nombre d’emplois fémi-nins. C’est dire que le travail féminin reste concentré dans un nombre assez restreint de professions et

concerne souvent des emplois peu qualifiés (Ballmer-Cao, 2000). En outre, ces dernières années, le travail des fem-mes se développe en particulier sous la forme du travail atypique; ce dernier ayant une forte incidence sur la cou-verture sociale des salariées. L’emploi à temps partiel notamment, occupé principalement par les femmes, est frappé par différentes formes de discrimination précari-santes. Ainsi, certaines conventions collectives excluent le personnel dont le taux d’occupation est inférieur à 50%. En outre, les emplois à temps partiel restent (mal-gré de récentes mesures) désavantagés en matière d’as-surances sociales (couverture du deuxième pilier). Enfin, on sait que le salaire horaire d’un emploi à temps partiel est inférieur à celui d’un poste à plein temps toutes cho-ses égales par ailleurs (Flückiger, 1999).

17 PAUVRETÉ ET GENRE

La plupart des régimes constituant le système de sécurité sociale en Suisse relèvent des mesures étatiques de lutte contre la pauvreté. Ces régimes sont tous voués à se substituer à (ou à compléter) un revenu provenant d’une activité lucrative, sans lequel les personnes concer-nées risquent de se retrouver dans une situation de pau-vreté ou de précarité. Or, même si la place des femmes dans ce système tend à s’améliorer, les assurances socia-les continuent de concerner en premier lieu socia-les tra-vailleurs salariés. Par conséquent, elles ne tiennent pas compte du travail non rémunéré (excepté le cas du bonus éducatif): travaux ménagers, tâches éducatives et garde des enfants, soins aux adultes. Dans le cadre de la famille, les femmes restent les principales responsables de ces travaux. Dès lors, ce système induit des discrimi-nations entre les personnes du fait de leur sexe, de leur état civil et de leur rôle au sein du couple et de la famille.

Les désavantages des femmes sont, en grande partie, la conséquence de la distribution traditionnelle des rôles entre les hommes et les femmes (Sommer et Schütz, 1998).

Ces différents facteurs (distribution inégale des res-sources au sein des ménages, travail féminin discriminé, non prise en compte du travail non rémunéré par les assurances sociales, etc.) tendent tous en principe à ren-dre les femmes structurellement plus sensibles à la pau-vreté. Or, malgré cela, le portrait que l’on peut faire de la pauvreté des femmes en Suisse semble assez nuancé.

Ainsi, la première étude sur la pauvreté à l’échelle natio-nale, menée en 1992, estimait que le pourcentage de la population résidante que l’on pouvait alors qualifier de pauvre se situait, suivant différents seuils de revenus, entre 5,6 et 10,3% (Leu et al., 1997). C’est dire qu’entre 400’000 et 700’000 personnes environ vivaient dans la pauvreté dans notre pays. Selon cette même étude, les femmes ne pouvaient pas être assimilées à un groupe globalement exposé au risque de pauvreté. En effet, le taux de pauvreté ne présentait pas de différence signifi-cative entre les hommes et les femmes, à l’exception des catégories (qui se recoupent) des femmes divorcées et des personnes élevant seules leurs enfants. Par la suite, des analyses complémentaires ont été menées à partir des mêmes données; elles ne débouchent pas non plus sur la mise en évidence de plus grandes difficultés pour la catégorie des femmes en tant que telle. L’analyse de

«problèmes cumulés» ignore les éventuelles différences entre hommes et femmes (Niklowitz et Suter, 2002), alors que celle sur l’efficacité et les effets de redistribu-tion des prestaredistribu-tions sociales montre que ces dernières sont plutôt favorables pour les personnes (mères)

éle-17 PAUVRETÉ ET GENRE

5 Ces divergences sont au moins pour partie dues à des questions de méthode, la deuxième étude mentionnée portant sur les inégalités entre les ménages en fonction du sexe du principal apporteur de reve-nus.

vant seules des enfants (Suter et Mathey, 2000).

D’autres études - menées sur la base d’enquêtes égale-ment représentatives de l’ensemble de la population résidant en Suisse – ont permis de renouveler suivant dif-férentes méthodes les estimations relatives à l’ampleur de la pauvreté en Suisse et de définir les groupes les plus sensibles à ce phénomène. En ce qui concerne les fem-mes en particulier, les résultats ne sont pas univoques.

Selon Branger et al. (2002), la part des femmes vivant dans des ménages à bas revenus n’est que très légère-ment plus élevée que celle des hommes; d’autres, au contraire, relèvent des inégalités notables entre hommes et femmes en matière de risque de pauvreté (Budowski et al., 2002)5.

Les travaux mentionnés précédemment présentent essentiellement des analyses transversales. Or, de nom-breuses recherches récentes, basées sur l’analyse de don-nées de panels, ont mis en évidence l’importance de la dynamique de la pauvreté (par exemple Whelan et al., 2000). De fait, même les auteurs les plus prudents ad-mettent qu’il existe d’une année à l’autre un nombre important d’entrées-sorties de pauvreté. En vérité, il est désormais reconnu que la pauvreté doit être étudiée selon une approche longitudinale. En effet, alors que les études transversales laissent penser que les pauvres for-ment un groupe stable et homogène, les approches lon-gitudinales montrent que certaines personnes connais-sent certes de longues périodes de pauvreté, mais qu’il existe également un fort taux de rotation parmi les per-sonnes pauvres. Récemment, des études de type dyna-mique ont été réalisées en Suisse. Elles ne portent toute-fois que sur des sous-populations: soit sur la population active occupée (Streuli et Bauer, 2001; Müller, 2002), soit sur les mères seules (Budowski et Suter, 2002). Mal-gré des méthodologies différentes, ces études conver-gent au moins sur deux points. D’une part, elles révèlent l’existence, en Suisse aussi, d’une alternance fréquente des périodes de pauvreté et de non-pauvreté. D’autre part, elles reconnaissent l’importance des qualifications et de l’emploi comme moyens de sortie de la pauvreté;

même si cela ne constitue pas toujours une condition suffisante comme en témoigne le phénomène des «working poor». Le risque d’être touché par ce dernier phénomène étant notamment plus important pour les femmes.

Nous continuons dans ce qui suit un travail précédent (Budowski et al., 2002) en étudiant la pauvreté selon le genre; plus précisément selon le sexe du principal apporteur de revenus du ménage. Si cette démarche per-met de per-mettre en lumière certaines caractéristiques des rapports entre le genre et la pauvreté, elle connaît certai-nes limites. D’une part, les ménages dont le principal apporteur de revenus est une femme ne constituent pas nécessairement un groupe homogène (ils peuvent com-prendre des femmes divorcées ou séparées en situation précaire comme des femmes célibataires se consacrant à une carrière professionnelle, par exemple). D’autre part, cette démarche tend à occulter l’inégale répartition des ressources au sein des ménages non pauvres et donc à mettre de côté l’expérience de la pauvreté pour les per-sonnes (hommes et femmes) vivant dans des ménages non pauvres, dont elles ne sont pas le principal appor-teur de revenus. En conséquence, notre démarche n’est susceptible d’éclairer qu’une facette de la pauvreté selon le genre.

Concepts et définitions de la pauvreté

Fondamentalement, la définition de la pauvreté dépend de la conception que l’on se donne des besoins humains.

Ces derniers ne se réduisent pas à des besoins biologi-ques. En outre, ils sont historiquement et socialement définis. C’est dire que les besoins humains peuvent (doi-vent) être compris comme à la fois biologiques (ce qui se traduit en termes d’alimentation et de logement, par exemple) et sociaux (soit entre autres en termes de parti-cipation sociale, de loisirs ou de culture). Ceci dit, tous ces besoins ne doivent pas nécessairement être inclus dans la définition de la pauvreté. En effet, à ce niveau, vouloir introduire presque toutes les dimensions de la souffrance et des désavantages sociaux – à l’instar de la définition du Programme des Nations Unies pour le développement6 par exemple - débouche sur une (rela-tive) confusion entre l’état de pauvreté d’une part, et ses causes et ses effets d’autre part. En conséquence, il s’agit de classer les besoins humains en deux catégories dis-tinctes: (1) ceux dont la satisfaction dépend en priorité de conditions économiques et (2) ceux dont la satisfac-tion dépend principalement de condisatisfac-tions non

économi-6 Cette définition est la suivante: «La pauvreté a plusieurs visages et représente plus qu’un bas revenu. Elle renvoie à une mauvaise santé, à des lacunes de connaissance et de communication, à l’incapacité d’exercer ses droits humains et politiques et au manque de dignité, de confiance et de respect de soi» (PNUD, 1997; traduction propre).

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17 PAUVRETÉ ET GENRE

ques. Dès lors, il est possible d’avancer que, si la défini-tion de la pauvreté doit désigner un objet suffisamment précis, il faut alors la lier aux seuls besoins dont la satis-faction dépend de conditions économiques structurelle-ment déterminées.

Ceci posé, la littérature exhibe de nombreuses maniè-res de définir et de mesurer la pauvreté7. A titre d’illus-tration, on relèvera que Spicker (Gordon et Spicker, 1999, pp. 150 et suivantes) repère onze familles de

défi-nitions de la pauvreté, chacune pouvant comprendre plusieurs branches. Boltvinik (1999), quant à lui, pré-sente environ une vingtaine d’approches méthodologi-ques différentes de la pauvreté, en les regroupant en quelques grands types: méthodes non normatives, méthodes directes et multidimensionnelles, méthodes indirectes et unidimensionnelles, enfin un groupe de méthodes combinant certains éléments des approches précédemment mentionnées. Ce n’est pas le lieu d’en faire une recension détaillée; nous nous contentons de mentionner brièvement certains clivages qui traversent le champ des définitions de la pauvreté, afin de situer l’approche utilisée ici.

La première opposition retenue est celle des tions objectives et subjectives. Grosso modo, les défini-tions objectives de la pauvreté utilisent une ou plusieurs informations objectives (revenus, biens disponibles, acti-vités pratiquées) sur la population concernée pour éva-luer la pauvreté. Au contraire, les définitions subjectives de la pauvreté ont recours aux opinions exprimées par la population visée. La définition que nous utilisons dans ce chapitre est clairement de type objectif, excluant la per-ception que peuvent avoir les personnes de l’aisance dans laquelle elles vivent ou de l’écart qui peut exister entre le revenu minimal qui leur permettrait de «joindre les deux bouts» et leur revenu réel.

Un deuxième clivage oppose les définitions absolues et relatives de la pauvreté. Les définitions absolues par-tent de l’idée que la pauvreté est une situation où le niveau de vie des personnes est inférieur à un seuil déterminé traditionnellement en fonction d’un panier de produits de première nécessité qui reste constant en tou-tes circonstances et en tous lieux. A l’opposé, les défini-tions relatives se donnent des seuils de pauvreté qui dépendent de la société et de la période considérées. De fait, ce clivage n’en est peut-être pas vraiment un. En effet, on a progressivement admis que la définition des besoins minimaux était conventionnelle et se référait malgré tout au mode de vie de la société et de l’époque observées. Dès lors, cette opposition semble plutôt se réduire à la question du degré de relativité que l’on veut bien admettre. En tous les cas, l’approche utilisée ici est strictement relative.

La troisième opposition est celle des approches direc-tes et indirecdirec-tes de la pauvreté. Les définitions direcdirec-tes évaluent la pauvreté en observant la situation réelle (en termes de conditions de vie ou de consommation) de la population concernée, alors que les définitions indirectes considèrent les ressources (les revenus essentiellement) comme déterminantes pour l’estimation de la pauvreté.

Ce clivage a fait l’objet de nombreux débats. Ringen, le premier, a opéré cette distinction entre approches direc-tes et indirecdirec-tes. Dans le même temps, il relevait d’une part que les études de pauvreté combinaient (trop) sou-vent une définition directe et une mesure indirecte de celle-ci, et estimait par la même nécessaire l’établisse-ment d’une correspondance entre définition et mesure (de préférence directes) de la pauvreté d’autre part. Non sans contradiction, Ringen affirme également que la pauvreté peut être mesurée en utilisant à la fois des informations sur les ressources et sur les modes de vie (Gordon et Spicker, 1999, pp. 39-42). Quoi qu’il en soit, la méthode défendue ici - qui ne tranche pas entre les approches directes et indirectes – est de celles qui, à la suite des travaux de Townsend (1979), identifient la population pauvre à celle ayant à la fois de faibles res-sources et faisant l’expérience de privation en termes de conditions de vie. En ce qui concerne les pays industriali-sés, ce type de démarche est généralement considéré comme scientifique (Gordon et Spicker, 1999, p. 116)8.

7 La plupart des approches de la pauvreté reposent sur un concept dicho-tomique de celle-ci impliquant que l’on peut faire une distinction claire et tranchée entre pauvre et non-pauvre. Or, une telle distinction n’est pas très réaliste. En effet, quelle que soit la définition retenue, il y a un continuum entre les situations et en conséquence toute coupure a quel-que chose d’arbitraire. Il n’en demeure pas moins qu’il est nécessaire de se donner un ordre de grandeur de la population concernée. Dès lors, afin de réduire l’arbitraire tout en maintenant la possibilité d’évaluer l’ampleur du phénomène, un certain nombre d’auteurs proposent des démarches qui visent à traduire les transitions graduelles de la pauvreté à la non-pauvreté.

8 On peut également avancer des arguments empiriques en faveur de ce type d’approche. De fait, en raison notamment d’erreurs de mesures, se baser sur la seule pauvreté monétaire ou la seule pauvreté d’existence (conditions de vie), quand on travaille sur des fi chiers d’enquête, semble risqué (Lollivier et Verger, 1997).

17 PAUVRETÉ ET GENRE

Le dernier clivage, en partie contenu dans la distinc-tion précédente, oppose les approches unidimensionnel-les et multidimensionnelunidimensionnel-les. On a pu montrer (Budowski et Tillmann, 2002) que la majorité des études de pau-vreté s’appuient finalement sur une définition de celle-ci en termes d’exclusion des modes de vie communs (acceptables) dans une société donnée. Cette position impliquant en particulier assez clairement une définition multidimensionnelle de la pauvreté. Or, malgré cela, la plupart des mêmes travaux ont recours à une mesure unidimensionnelle du phénomène (le plus souvent en termes de revenu). Afin de réduire le hiatus fréquent entre définition et mesure, l’approche présentée dans ce chapitre s’inscrit dans les démarches de type multidimen-sionnel.

En somme, l’approche de la pauvreté adoptée ici est de nature objective, relative, mixte (directe et indirecte) et donc aussi multidimensionnelle. Elle est de la famille des définitions de «pauvreté consistante». Ce dernier terme correspondant à la situation de personnes qui, à la fois, ont un revenu inférieur à une certaine fraction du revenu moyen et connaissent une privation en termes de conditions de vie (de biens et d’activités jugés essentiels).

Dans ce cadre, s’il fallait poser une définition de la pau-vreté, elle serait la suivante: des personnes vivent dans des situations de pauvreté si leur revenu est insuffisant et que de plus elles n’accèdent pas aux conditions de vie généralement considérées comme acceptables dans la société dont elles sont membres9.

Ces quelques précisions en termes de concepts et de définitions faites, venons en très brièvement à différents types d’interprétation de la pauvreté (pour un bref aperçu: Layte et Whelan, 2002). Au cours de ces derniè-res années, deux perspectives interprétatives de la pau-vreté - celle du cumul des désavantages et celle de l’indi-vidualisation - ont émergé; toutes deux peuvent être considérées comme s’inscrivant en faux vis-à-vis des tra-ditions d’analyse en termes de classes sociales. Cette dernière perspective pose que, peu ou prou, la position sociale d’un individu est ce qui donne la meilleure prévi-sion des ses conditions de vie, de ses pratiques et repré-sentations (tout en admettant l’existence d’autres fac-teurs pouvant compliquer l’effet propre de celle-ci).

Dans cette perspective, les situations de pauvreté

devraient être associées aux positions dominées de l’espace social. L’analyse en termes de cumul de désa-vantages prend une autre direction. En effet, elle définit un clivage principal au sein de la société entre une large majorité intégrée et une minorité victime d’exclusion.

Cette perspective propose donc un modèle simple et dichotomique de la structure sociale (inclus, exclus)10. La minorité ainsi définie est censée être constituée de grou-pes cumulant les désavantages et les transmettant de génération en génération. Dans ce cadre, la pauvreté est donc conçue comme étant de nature plutôt permanente.

A l’opposé, l’hypothèse de l’individualisation de la pau-vreté – apparue en partie en réaction à l’approche précé-demment mentionnée – considère ce phénomène comme relativement transitoire, associé à des événe-ments particuliers et à des étapes du cycle de vie. Par conséquent, il serait aussi assez indépendant des clivages sociaux traditionnels. Nous procéderons par la suite à une première évaluation (fortement limitée par le peu de recul historique autorisé actuellement par les données utilisées) de ces différentes interprétations. La présenta-tion des résultats se fera de manière différenciée selon le sexe du principal apporteur de revenus du ménage.

Cette approche se justifie dans la mesure où nous dispo-sons d’une mesure de la pauvreté au niveau du ménage;

en conséquence, les caractéristiques de la personne qui y contribue le plus fortement sont supposées être détermi-nantes dans la compréhension du phénomène (de la pauvreté). En particulier, les femmes qui se trouvent être en situation d’avoir le revenu principal au sein de leur ménage sont en principe frappées des désavantages structuraux précédemment mentionnés. Afin d’alléger un peu la lecture, et par convention, nous parlerons désormais de ménages à contribution masculine ou fémi-nine (en lieu et place de ménages dont le principal apporteur de revenus est un homme ou une femme).

Mesures, indicateurs et hypothèses

Nous considérons donc comme pauvres les ménages et les personnes qui présentent deux signes d’indigence, soit ceux qui cumulent une pauvreté monétaire et une pauvreté d’existence. Dès lors, plusieurs étapes sont nécessaires pour identifier la population pauvre suivant notre approche.

9 La définition de la pauvreté utilisée ici ne correspond donc pas aux seuils monétaires usuels en Suisse (au moins en matière de statistique de la sécurité sociale), à savoir la limite qui donne droit aux prestations complémentaires et le seuil retenu par la Conférence suisse des

institu-tions d’action sociale (CSIAS). 10 Au moins dans ses versions «vulgaires» ou «vulgarisées».